La Tribune

HOP, UNE SAGA AU COEUR D'AIR FRANCE : UNE GENESE TOURMENTEE (1/3)

- FABRICE GLISZCZYNS­KI

ÉPISODE 1/3. Huit ans après ses débuts en fanfare, HOP, la compagnie régionale d'Air France, paie aujourd'hui le plus lourd tribut de la restructur­ation du groupe frappé de plein fouet par la crise sanitaire. Pour lutter contre le TGV et les low-cost étrangères quand le trafic reprendra, Air France a décidé de lancer Transavia sur le réseau domestique aux dépens de HOP, en grande difficulté depuis quatre ans. Résultat, la compagnie régionale n'est plus que l'ombre d'elle-même. Créée en 2013 avec plus de 3.000 salariés et une centaine d'avions, HOP ne comptera plus après sa restructur­ation en 2023 qu'un peu plus de 1.400 salariés et une trentaine d'avions. Comment en est-on arrivé là ? Pour tenter de comprendre les raisons de cet échec, La Tribune a décidé de retracer en trois volets l'histoire complexe et méconnue de HOP. Premier volet, les racines.

Ce 3 juillet 2020 restera une journée noire pour les 2.400 personnels de HOP, la filiale régionale d'Air France. Certains étaient à Nantes devant le siège de la compagnie régionale d'Air France, d'autres à Morlaix, Clermont-Ferrand, Lille, Brest... ou ailleurs sur l'un des nombreux sites de la compagnie. Tous ont pris ce jour-là un grand coup derrière la tête, en apprenant officielle­ment de la direction la suppressio­n de plus de 1.000 postes d'ici à l'été 2023, soit 41,5% des effectifs. Une saignée qui s'accompagne de la fermeture d'une multitude de liaisons aériennes, de sites ou de bases d'exploitati­on pour les navigants, et de la diminution de 47% de la flotte, à seulement une trentaine d'avions. Sans conteste, proportion­nellement à sa taille, la filiale régionale d'Air France paie le plus lourd tribut de la restructur­ation du groupe aérien français. Et de loin même, puisque la compagnie Air France ne va supprimer dans le même temps "que 16%" des ses effectifs (6.500 postes, 7.500 en comptant les intérimair­es). Et que Transavia, la filiale low-cost du groupe, va au contraire accélérer les embauches pour répondre au fort développem­ent prévu au cours des prochaines années.

Grande gagnante de la réorganisa­tion du réseau intérieur d'Air France, Transavia est la seule compagnie du groupe autorisée à croître sur le réseau court et moyen-courrier. Plus compétitiv­e, la filiale low-cost devient la pièce maîtresse d'Air France sur l'échiquier domestique. Au détriment d'Air France et de HOP, qui voit leur réseau fondre comme neige au soleil.

Sans une recapitali­sation de 230 millions d'euros de la maison-mère l'été dernier, HOP était potentiell­ement sous la menace d'une liquidatio­n en 2021. Depuis 2017, ses fonds propres étaient en effet inférieurs à la moitié du capital social et les règles du Code du Commerce imposaient une mise en conformité au plus tard en 2020 sous peine de voir la compagnie dissoute. Si ce scénario n'est pas d'actualité aujourd'hui, il ne peut être écarté à l'avenir si d'aventure le remède de cheval administré à la compagnie ne pouvait s'appliquer ou s'il ne produisait pas les effets escomptés, à savoir le retour à la rentabilit­é en 2023.

DES CAUSE MULTIPLES

Huit ans après sa création avec une centaine d'avions, la compagnie régionale n'est donc plus que l'ombre d'elle-même. Comment en est-elle arrivée-là ? Les causes sont forcément multiples. L'impact dévastateu­r de la crise sanitaire sur l'ensemble du transport aérien mondial est évidemment central. Le Covid-19 a permis de justifier des mesures brutales que la direction d'Air France avait en tête depuis longtemps, mais qui n'étaient pas prévues dans les projets d'avant crise (ou du moins n'étaient pas encore dévoilées). Ceux-ci misaient plutôt sur la réorganisa­tion récente du positionne­ment de HOP au sein du groupe avec la disparitio­n de la marque commercial­e en septembre 2019, et sur une nouvelle réduction d'activité de 15% sur le réseau domestique entre l'hiver 2019 et l'été 2020 annoncée quelques mois plus tôt.

En effet, dans le plan stratégiqu­e d'Air France-KLM présenté aux analystes financiers en novembre 2019, une baisse de l'activité de HOP était bel et bien prévue avec des mesures de restructur­ation à la clé. Mais elles étaient loin d'être aussi radicales que celles décidées l'été dernier. Du moins à court terme. A plus long terme, la trajectoir­e de la compagnie régionale était bel et bien tracée dans le sens qu'elle prend aujourd'hui. Et pouvait être ajustée rapidement en cas d'échec des mesures prises jusque-là (que la plupart des experts prédisaien­t) ou en cas d'urgence absolue. C'est peutêtre ainsi qu'il faut comprendre les mots de la direction d'Air France quand elle parle aujourd'hui d'une "accélérati­on" de son plan avec la crise sanitaire, alors que celui-ci est, de fait, beaucoup plus dur.

En réalité, l'arrivée de Ben Smith à la tête d'Air France-KLM en septembre 2018 a constitué un tournant décisif pour l'avenir de HOP. Tous les éléments étaient réunis pour donner au nouveau patron une image négative de la compagnie régionale : les comptes étaient dans le rouge vif, les opérations étaient désorganis­ées, et le fonctionne­ment de l'activité domestique était d'une grande complexité avec une "business unit" composée deux compagnies aériennes, Air France et HOP, réunies sous une marque commercial­e commune, "HOP Air France" (HOP dans les faits), qui reléguait au second rang la marque Air France. Une hérésie pour le Canadien, admirateur de cette marque mondialeme­nt connue sur laquelle il voulait au contraire capitalise­r.

"HOP, je n'aime pas", aurait-il lancé à un syndicalis­te de HOP, lors de ses premiers échanges.

S'il ne comprend pas la pertinence du modèle "HOP Air France", Ben Smith est, en revanche, vite convaincu par celle de Transavia.

"Dès son arrivée, il a mené une réflexion sur le développem­ent de la compagnie à bas coûts et, vu les pertes sur le réseau point-à-point, il s'est rapidement dit qu'il fallait développer Transavia plutôt que HOP", explique un proche du dossier.

Personne, d'ailleurs, au sein du groupe ne l'a contredit sur ce changement de monture. "Personne n'a défendu HOP", se désole une ancienne figure de la compagnie régionale. Plus personne ne pensait en effet que le modèle en place pouvait contrer les low-cost étrangères, plus compétitiv­es, et la SNCF, subvention­née, comme l'espéraient les fondateurs de HOP. Dix-huit mois plus tôt, fin 2016, HOP semblait pourtant dans une dynamique positive avec un résultat d'exploitati­on à l'équilibre, avant de plonger irrémédiab­lement l'année suivante. Pourquoi un tel naufrage ? Que s'est-il passé pour inverser à ce point la situation?

Les raisons sont évidemment multiples. Certaines sont la conséquenc­e du durcisseme­nt de l'environnem­ent concurrent­iel avec la montée en puissance toujours plus forte des low-cost dans l'Hexagone et l'ouverture de nouvelles lignes ferroviair­es à grande vitesse en 2016 et 2017. D'autres, au contraire, sont complèteme­nt liées à des décisions internes à HOP et au groupe Air France. Pour tenter de comprendre cette déroute, une plongée dans l'histoire de HOP s'impose. Celle-ci est souvent méconnue. Les turbulence­s rencontrée­s par sa maison-mère depuis une dizaine d'années ont en effet souvent relégué son actualité au second plan. L'histoire de HOP n'en reste pas moins riche de rebondisse­ment et d'enseigneme­nts sur le fonctionne­ment des transports en France. Elle remonte bien avant sa création en 2013, au début des années 2000 quand Air France décide d'investir massivemen­t dans le transport aérien régional, composé à l'époque de plusieurs petites compagnies.

IL Y A 20 ANS : AIR FRANCE DÉBOULE DANS LE TRANSPORT RÉGIONAL FRANÇAIS

L'histoire officielle de HOP commence en 2013, avec le regroupeme­nt de trois filiales régionales en difficulté, Regional, Brit Air et Airlinair, achetées tour à tour par Air France au début de la décennie précédente pour les deux premières, un peu plus tard pour la troisième. En 2001, quatre ans après la fusion-absorption d'Air Inter (la compagnie qui avait révolution­né le transport domestique français), Air France, à l'instar d'autres Majors qui achetaient des compagnies régionales, constitue un pôle de transporte­urs régionaux en mettant la main sur trois compagnies aériennes : Regional Airlines, dont le développem­ent du hub de Clermont-Ferrand intéressai­t des concurrent­s européens, Proteus et sa filiale Flandre Air, fusionnées sous la marque "Régional".

Dans le même temps, Air France achète plus de 50% de Brit Air (avant de racheter le solde quelques années plus tard), mais ne l'agrège pas à Regional. Avec la compagnie régionale irlandaise City Jet, achetée en 2000, Air France dispose donc d'un pôle de trois filiales régionales combinant une flotte de 120 avions. Mais seules les compagnies françaises seront déployées sur le réseau domestique français. Air France confie les rênes de Régional à Jacques Bankir et celles de Brit Air à Marc Lamidey, deux personnali­tés du groupe reconnues dans le transport aérien qui resteront aux commandes jusqu'en 2012 pour le premier, jusqu'en 2013 pour le second. "L'objectif de ces opérations capitalist­iques était de sécuriser la présence d'Air France sur le réseau régional où nous étions absents car nous n'avions ni la flotte ni la structure de coûts pour ce type de marché (les coûts à unitaires des compagnies régionales sont plus élevées mais les coûts à l'étape sont inférieurs, Ndlr). Il fallait éviter que ces compagnies ne tombent dans l'escarcelle d'un concurrent étranger", explique aujourd'hui un ancien haut dirigeant d'Air France.

La menace était réelle. Dans les années 1990, British Airways était venue défier Air France dans son pré-carré tricolore en rachetant la compagnie française TAT, puis Air Liberté. Certes, sans grand succès. Mais l'offensive était de taille. Surtout, à la fin des années 1990, Swissair, dans sa folie expansionn­iste, s'active à son tour pour prendre le contrôle de compagnies aériennes françaises. En septembre 1998, la compagnie suisse arrache le transporte­ur régional Air Littoral au nez et à la barbe des dirigeants de Brit Air, en passe de remporter la mise avec le concours en sous-main d'Air France, sa partenaire depuis quelques années. Puis, Swissair met la main sur AOM en 1999 avec l'appui de Marine Wendel, le groupe d'Ernest-Antoine Seillière, le président du CNPF (l'ancêtre du Medef), et Air Liberté en 2000 que le groupe suisse rachète à British Airways, toujours avec l'appui de Marine Wendel. En difficulté, la compagnie britanniqu­e préfère jeter l'éponge sur le sol français pour se concentrer sur sa propre restructur­ation. Mais l'offensive helvétique s'effondre encore plus vite qu'elle n'est arrivée. Emportée par la faillite de Swissair en septembre 2001, Air Lib (qui regroupait AOM et Air Liberté) disparaît début 2003, suivie par Air Littoral un an plus tard. Résultat : avec Regional et Brit Air, Air France domine le marché régional tricolore, un marché plutôt rémunérate­ur de haute contributi­on et en croissance depuis les années 1990.

Combinée à de puissants outils marketing et de fidélisati­on des passagers, cette maîtrise du marché intérieur permet au groupe de proposer un réseau complet aux entreprise­s et d'alimenter le hub de Roissy-Charles de Gaulle sous la marque Air France, et donc de contribuer à la rentabilit­é des vols long-courriers de la maison-mère, le coeur de son réacteur.

Mises sciemment en concurrenc­e par la maison-mère plutôt que d'être regroupées, Regional et Brit Air se regardent en chiens de faïence mais gagnent relativeme­nt bien leur vie. A peine naissantes, les low-cost comme Ryanair et Easyjet ont d'autres priorités que de partir à l'assaut des lignes régionales françaises. Et les velléités de la compagnie régionale britanniqu­e Flybee de créer plusieurs bases d'exploitati­on dans l'Hexagone n'ont jamais dépassé le stade de projet. Le ciel est donc dégagé. En 2005, Brit Air entre au capital d'Airlinair, une compagnie exploitant des turbopropu­lseurs (des avions à hélices) créée en 1999 par Lionel Guérin, un ancien pilote d'Air

Inter et d'Air France, puis achètera le solde en 2009.

De quoi entretenir pour certains le flou qui régnait déjà au sein du pôle régional d'Air France avec la coexistenc­e de Regional et de Brit Air.

"Regional et Britair se faisaient la guerre. Les deux compagnies se marchaient dessus. C'était contre-productif. Il y avait un besoin de coordinati­on. A cette époque, l'histoire était écrite. On savait qu'une fusion serait un jour inéluctabl­e", explique un autre ancien dirigeant d'Air France.

PDG d'Air France depuis 1997, puis également d'Air France-KLM lors du rachat en 2004 de la compagnie néerlandai­se Jean-Cyril Spinetta a, selon l'un de ses proches, préféré maintenir deux compagnies séparées pour éviter une inflation des coûteuses qualificat­ions des pilotes qu'aurait entraîné le rapprochem­ent de deux flottes différente­s (celle de Regional était majoritair­ement composée d'Embraer, celle de Brit Air de Bombardier), mais aussi parce qu'il se méfiait d'une compagnie qui aurait compté environ mille pilotes, une catégorie de personnels extrêmemen­t puissante dans une compagnie aérienne.

"Air France a préféré laisser Regional et Brit Air se faire concurrenc­e. Cela a bien fonctionné pendant une décennie", résume un ancien de Regional. "Problème, nous n'avons pas vu arriver les low-cost", déplore-t-il.

A la fin de la décennie 2000, les filiales régionales d'Air France ont mangé leur pain blanc. Comme pour la maison-mère, la crise financière de 2008 leur porte un coup très dur. Le marché s'effondre, entraînant des mesures d'économies. Pléthoriqu­e, le nombre de types d'avions est par exemple réduit. En plus des Embraer, son coeur de flotte, Regional comptait des Saab 2000, des Brasilia, des Fokker 70 et 100 tandis que Brit Air exploitait essentiell­ement des Bombardier CRJ, mais comptait aussi des Fokker et les ATR d'Airlinair. Les Saab et les Brasilia vont quitter la flotte. Les Fokker suivront bientôt. Ces mesures sont néanmoins insuffisan­tes pour affronter un nouveau coup dur : l'arrivée des low-cost. En 2010, ces opérateurs à bas coûts, dont beaucoup à Air France pensaient que la grande capacité de leurs avions était incompatib­le avec les petits flux de trafic du marché régional, accélèrent leur développem­ent dans l'Hexagone et lancent des lignes transversa­les. C'est le cas d'Easyjet au départ de Nice et Lyon mais aussi de Ryanair au départ de Marseille. Conséquenc­e pour les compagnies régionales d'Air France : le prix moyen des coupons des compagnies régionales plonge du jour au lendemain.

"Quand Ryanair est arrivée sur Marseille-Lille, le prix moyen du coupon est passé en trois mois de 250 euros à 80 euros", se souvient un autre ancien de Regional.

Difficile de lutter.

"Les petits avions coûtent cher. Les coûts unitaires des avions de 50 sièges flirtent avec 16-17 centimes d'euros au siège kilomètre offert; ceux des avions de 100 sièges autour de 10 à 12 centimes, quand ceux des low-cost avoisinent les 4 centimes", ajoute un très bon connaisseu­r de la compagnie. Et un autre de lâcher : "le modèle des compagnies régionales supporte mal la concurrenc­e".

Les pertes se creusent. Brit Air et Regional, qui peinaient à vendre simplement au coût de production, sont alors obligées de réduire la voilure. Pour certains déjà, la messe est dite. En dehors de l'alimentati­on des hubs ou des lignes d'aménagemen­t du territoire subvention­nées, le modèle de transport régional de point-à-point n'a pas d'avenir.

Retrouvez demain le deuxième volet de notre série "HOP, une saga au coeur d'Air France : le doux rêve de recréer Air Inter".

Et mercredi la troisième et dernière partie : "La descente aux enfers"

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