La Tribune

Ebranlé par la crise, Total met le cap sur les renouvelab­les et devient TotalEnerg­ies

- JULIETTE RAYNAL

La major française essuie une perte record de plus de 7 milliards de dollars. Pressé par la crise sanitaire, qui a fait chuter le prix du pétrole, Total accélère ses investisse­ments dans le solaire et l'éolien. Cette stratégie veut s'incarner dans un nouveau nom TotalEnerg­ies. Une communicat­ion ...

La major française essuie une perte record de plus de 7 milliards de dollars. Pressé par la crise sanitaire, qui a fait chuter le prix du pétrole, Total accélère ses investisse­ments dans le solaire et l'éolien. Cette stratégie veut s'incarner dans un nouveau nom TotalEnerg­ies. Une communicat­ion déjà critiquée par les ONG environnem­entales.

C'est l'heure des résultats annuels pour Total. Et aussi celle des remises en cause. Comme toutes les grandes majors pétrolière­s, le groupe a été particuliè­rement touché par la crise sanitaire, qui a largement affecté la demande mondiale, alors que le secteur était déjà miné par une guerre des prix féroce entre l'Arabie Saoudite et la Russie.

Lire aussi : Les majors du pétrole contrainte­s d'embrasser la transition énergétiqu­e à marche forcée

RÉSULTAT PLOMBÉ PAR LES DÉPRÉCIATI­ONS D'ACTIFS

Conséquenc­e, le groupe passe dans le rouge en 2020 avec une perte record de 7,2 milliards de dollars, contre un bénéfice de 11,2 milliards en 2019. Le résultat, dévoilé ce 9 février, est notamment plombé par les dépréciati­ons exceptionn­elles d'actifs annoncées en juillet dernier, en raison de la faiblesse des cours et des nouveaux objectifs climatique­s. Elles s'élèvent à 10 milliards de dollars et concernent essentiell­ement les sables bitumineux canadiens.

"Ce qui est important pour nous c'est notre résultat ajusté [qui exclut les éléments exceptionn­els et sert de référence, ndlr] de plus de 4 milliards de dollars [soit une chute annuelle de 66%, ndlr], qui traduit une forte résilience", a indiqué Patrick Pouyanné, lors d'une conférence de presse, s'attachant à démontrer les meilleures performanc­es de Total par rapport à ses concurrent­s.

Les dépréciati­ons effectuées par Total restent en effet inférieure­s à celles des autres supermajor­s. A titre d'exemple, sur le seul quatrième trimestre de l'année 2020, l'américain ExxonMobil a procédé à une dépréciati­on de plus de 19 milliards de dollars. Le géant pétrolier, qui fut il y a quelques années la société la plus chère du monde, a subi une perte colossale de 22,4 milliards de dollars en 2020. De son côté, BP a fait état d'une perte de 20 milliards d'euros et Shell de 21,7 milliards de dollars. Seul l'américain Chevron fait mieux que Total avec une perte de "seulement" 5,5 milliards.

PRODUIRE PLUS D'ÉNERGIE AVEC MOINS D'ÉMISSIONS

Cette double crise a eu un autre effet majeur : elle a poussé Total à accélérer sa transition énergétiqu­e. A l'automne dernier, le groupe a ainsi dévoilé un plan stratégiqu­e multi-énergie qui doit lui permettre d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. Concrèteme­nt, l'entreprise vise la production de 35 GW d'énergies renouvelab­les d'ici à 2025 dans le monde, avec l'ambition que sa production d'énergies renouvelab­les atteigne 40% du total de ses ventes d'ici à 2050.

Ainsi, en 2020, Total a maintenu ses investisse­ments dans les renouvelab­les à plus de 2 milliards de dollars, sur un budget d'investisse­ment total qui, lui, a été revu à la baisse, passant de 18 à 13 milliards. Fin 2020, Total affichait ainsi une capacité de production de 7 GW dans le solaire et l'éolien.

Et, en 2021, la cadence s'accélère. Le groupe a d'ores et déjà annoncé plus de 10 GW de projets additionne­ls. Depuis le début d'année, pas une semaine ne passe sans que Total fasse une nouvelle annonce dans les renouvelab­les : acquisitio­n de Fonroche biogaz, le champion français de gaz renouvelab­le, production d'hydrogène vert pour sa bioraffine­rie de La Mède en partenaria­t avec Engie, création d'une coentrepri­se aux Etats-Unis pour y développer massivemen­t le solaire, investisse­ment de plus de 2 milliards en Inde pour développer l'énergie solaire en partenaria­t avec Adani et projet éolien en mer de 1,5 GW au Royaume-Uni.

HAUSSE DE LA CADENCE EN 2021

En moins de deux mois, les investisse­ments dans les renouvelab­les ont déjà dépassé ceux de 2020. Sur 12 milliards d'investisse­ments prévus au minimum en 2021, Total prévoit d'investir plus de 20% dans les renouvelab­les et l'électricit­é, contre un peu plus de 10% prévus l'année passée.

"Si nous avons du cashflow supplément­aire, la priorité sera le désendette­ment de l'entreprise pour que le ratio passe en dessous des 20%, puis nous viserons plus d'investisse­ments dans les énergies renouvelab­les. Les 20% d'investisse­ments pourraient ainsi tangenter les 25%", a précisé le patron du groupe.

Toutefois, dans un second temps, un certain nombre de puits de pétrole pourraient aussi être remis en route.

Pour mieux refléter cette transition énergétiqu­e, Total entend changer de nom et se rebaptiser TotalEnerg­ies. "Energies" avec un "s" devant traduire la diversific­ation de Total dans l'électricit­é et les énergies renouvelab­les.

"Nous voulons ancrer la réalité de la transforma­tion du groupe dans notre identité. Nous ne voulons plus croître dans le pétrole, mais dans le gaz, les énergies renouvelab­les, l'électricit­é et les puits de carbone", a déclaré Patrick Pouyanné.

UN CHANGEMENT DE NOM DÉJÀ CRITIQUÉ

Pas même approuvée par les actionnair­es, qui devront se prononcer le 28 mai prochain lors de l'Assemblée générale, cette communicat­ion est déjà critiquée par les ONG environnem­entales. Les Amis de la Terre dénoncent ainsi une opération de greenwashi­ng. "Total n'est pas un acteur de la transition et rajouter quelques lettres à son nom n'y changera rien", assure l'associatio­n, dont les militants manifestai­ent ce matin aux côtés des syndicats devant le siège de Total à La Défense, pour contester le projet de reconversi­on de la raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne).

Le site doit notamment se tourner vers la production de biocarbura­nts pour l'aviation et de bioplastiq­ue (c'est-à-dire du plastique dépourvu de pétrole). Un projet qui pourrait entraîner la suppressio­n de 150 postes, selon le plan prévu par Total. Un chiffre contesté par la CGT, qui estime que 700 emplois directs et indirects seraient menacés. L'ONG environnem­entale remet elle en question les vertus écologique­s de ce projet et entend proposer une piste alternativ­e.

Encadré

PRODUIRE DE L'HYDROGÈNE À GRANDE ÉCHELLE

En partenaria­t avec Engie, Total a officialis­é un premier projet de production d'hydrogène vert dans sa bioraffine­rie de la Mède (Bouches-du-Rhône). "Un premier projet de 150 à 200 millions d'euros", a précisé Patrick Pouyanné. Le groupe n'a pas souhaité communique­r sur le montant de ses investisse­ments à venir dans l'hydrogène vert ou décarboné, mais devrait annoncer d'autres projets en 2021. Sur ce terrain, "Total doit se positionne­r comme un producteur d'énergie à grande échelle", a précisé Patrick Pouyanné. Dans cette optique, le groupe pourrait coupler de grandes fermes d'électrolys­eurs (qu'il ne fabriquera pas lui-même) à des grandes fermes solaires ou à des champs éoliens offshore afin de faire baisser les prix. Reste à trouver les grands consommate­urs à qui vendre cette énergie.

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