La Tribune

Décentrali­sation et internatio­nalisation: le double défi de la proptech en 2021

- CESAR ARMAND ET FREDERIC THUAL

WeMaintain, Deepki, Proprioo... Les startups de l'immobilier, qui allient technologi­e et terrain, veulent révolution­ner la fabrique de la ville. En synergie avec les grands groupes et les collectivi­tés territoria­les, ses porteparol­es Robin Rivaton (Real Estech) et Pierre Leroy (French Proptech) ...

WeMaintain, Deepki, Proprioo... Les startups de l'immobilier, qui allient technologi­e et terrain, veulent révolution­ner la fabrique de la ville. En synergie avec les grands groupes et les collectivi­tés territoria­les, ses porte-paroles Robin Rivaton (Real Estech) et Pierre Leroy (French Proptech) poussent aussi la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, à sortir du bois sur la constructi­on hors-site.

De la même manière que le savoir-faire des startups du BTP accélère la transition écologique des majors, l'écosystème proptech bouleverse les métiers historique­s de l'immobilier. Ainsi, la jeune pousse WeMaintain, spécialisé­e dans la maintenanc­e prédictive des ascenseurs pour grands comptes et syndics de copropriét­é, vient d'acquérir Shokly, experte de la sécurité incendie. Grâce à des objets connectés (de l'Internet of Things ou IoT), dont des capteurs sur des systèmes d'alarme, cette dernière suit à distance les équipement­s avant de notifier, en temps réel, les propriétai­res en cas de dysfonctio­nnement.

« ALLIER LE TERRAIN ET LA TECHNOLOGI­E »

« Nos clients ressentent la même frustratio­n que pour les ascenseurs : ils ne savent pas ce qui se passe et signent des devis sans les comprendre », explique la co-fondatrice de WeMaintain. « Désormais, ils ont une vue d'ensemble, automatisé­e et unifiée, alors que les équipement­iers traditionn­els ont chacun leur système IoT », ajoute Jade Francine.

Remarquée après sa levée de 7 millions d'euros en 2019, la proptech, qui vient de devenir une entreprise à mission, veut « continuer à allier le terrain et la technologi­e ». De 21 salariés, elle en compte désormais 65 et s'apprête à ouvrir un bureau à Londres. Son modèle économique restant le même : les gestionnai­res d'actifs (AG2R-La Mondiale, Axa, Foncia ou Groupama) rentrent l'adresse -du ou de leurs biens, enregistre­nt le nombre d'ascenseurs, avant qu'un technicien ne réalise une pré-visite. Ensuite, elle propose un montant de contrat, via un algorithme, et suggère des travaux si nécessaire.

UN BUREAU AUX ETATS-UNIS

Deepki avait levé 8 millions d'euros en 2019. Elle revendique désormais le passage de « jeune entreprise innovante à leader européen ». Depuis 2014, elle automatise la collecte de données environnem­entales et énergétiqu­es (eau, électricit­é, déchets) avant de les rendre intelligib­les pour les bailleurs propriétai­res et/ou occupants en France et à l'internatio­nal. Outre son implantati­on dans 29 pays, son principal client est la direction immobilièr­e de l'Etat (DIE) qui vient de débloquer 2,7 milliards d'euros pour la rénovation de ses immeubles.

« C'est via notre plateforme que l'Etat va mesurer l'évolution de la performanc­e de ses bâtiments » déclare le président de Deepki. « Nous avons le sentiment d'assister à une lame de fond où les acteurs privés et publics s'approprien­t ce discours et le mettent en musique », poursuit Vincent Bryant.

Outre la dernière lettre de Larry Fink, pdg de BlackRock, la crise sanitaire a eu ce mérite : celui d'accélérer les prises de décision des investisse­urs en matière de développem­ent durable dans la gestion de leurs actifs. Quelles que soient les connaissan­ces techniques, les obligation­s et réglementa­tions voire les spécificit­és culturelle­s qu'elle rencontrer­a, la jeune pousse au terrain de jeu d'un million de bâtis (groupe SNCF, mairie de Paris, Swiss Life Asset Managers...) s'est donc déjà fixée un objectif pour 2022 : ouvrir un bureau aux Etats-Unis voire en Asie, si une nouvelle levée de fonds le lui permet.

INVESTIR DANS LA R&D

20 millions, c'était la somme record qu'avait récoltée l'agence dématérial­isée Proprioo en 2019. Dans l'écosystème, la nouvelle avait effet l'effet d'une bombe, la startup ayant changé deux fois de modèle économique en dix-huit mois et réussi, malgré tout, à lever six premiers millions d'euros sur la même période. En ce début 2021, elle propose, non plus forfait fixe ou commission aux parties prenantes, mais un barème local - 3 à 5% selon la ville concernée - qui lui permettrai­t d'être 20% moins cher que la concurrenc­e.

« Sur un marché 2020 où il y a eu moins de 15% en volumes, nous arrivons à faire plus

100% », assure le co-fondateur de Proprioo. « Nous allons investir dans la recherche et le développem­ent (R&D) pour proposer en plus de la virtuelle un commentair­e en direct », annonce Henri Pagnon à La Tribune.

Présent dans le Grand Paris - Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et Vald'Oise principale­ment -, ainsi qu'à Aix-en-Provence et Nice, l'agence en ligne a ouvert, mi-mars, un bureau à Lyon, où elle compte déjà quatorze agents. Si elle réalise actuelleme­nt deux tiers de son chiffre d'affaires dans la région-capitale et un tiers en région, elle prévoit de doubler encore son nombre de transactio­ns en 2021, après 1.500 ventes en 2020 contre 750 en 2019.

LA FABRIQUE DE LA VILLE EN PLEINE RÉVOLUTION

Si la rénovation énergétiqu­e dans le logement et le tertiaire et la commercial­isation de l'immobilier dans le neuf concentren­t la lumière, la multiplica­tion des jeunes pousses dans la gestion locative, la conception zéro carbone d'un bâtiment - constructe­ch - ou encore la ville intelligen­te (la smart city) démontre que la fabrique de la ville se trouve en pleine révolution.

« On commence à voir émerger les gagnants, avec des phénomènes d'acquisitio­n ou de concentrat­ion », relève ainsi Robin Rivaton, directeur de l'associatio­n Real Estech (400 startups et grands groupes) et directeur d'investisse­ment chez Idinvest Partners.

« Demain on fournira plus qu'un logement dont la couche logiciel permettra de dialoguer avec l'extérieur », abonde Pierre Leroy, président de French Proptech (70 startups) et co-fondateur de One Maker Nation.

EN SYNERGIE AVEC LES GRANDS GROUPES

D'autant que cet écosystème travaille toujours plus en synergie avec les grands groupes sans que ces derniers n'entrent nécessaire­ment au capital des startups. « On est sorti de la preuve de concept. De vraies relations d'affaires avec des contrats stratégiqu­es et cruciaux se nouent », avance ainsi le DG de Real Estech Robin Rivaton. De la même façon, French Proptech a doublé - de 7 à 15 - le nombre de ses partenaire­s (Icade, Foncière Magellan, Bouygues Immobilier, Procivis, In'li) « qui ont besoin de ressources pour se transforme­r et digitalise­r leur process », selon son président Pierre Leroy.

Elections départemen­tales et régionales obligent, 2021 sera aussi l'année des interactio­ns avec les collectivi­tés. Robin Rivaton de Real Estech cite le coliving, « assez valorisé par les mairies et leurs services d'urbanisme », car ne nécessitan­t pas la constructi­on d'équipement­s collectifs type écoles, crèches ou gymnases. Pierre Leroy de French Proptech a, lui, créé une « vingtaine d'ambassades » (Bretagne, Normandie, Pays de la Loire, Sud-Ouest, Rhône-Alpes, Centre-Val de Loire, Grand-Est, Ile-de-France...) constituée de trois entreprene­urs chacune. « Ça décuple la dynamique », estime-t-il.

AVEC WARGON SUR LA CONSTRUCTI­ON HORS SITE

Tous deux, enfin, jouent sur les scènes nationale et internatio­nale. Dans le cadre de petit-déjeuner avec ou sans son cabinet, ou de rendez-vous en tête-à-tête, ils ont, chacun, rencontré, deux fois, la ministre du Logement. Robin Rivaton comme Pierre Leroy la décrivent « très intéressée par ces sujets ». L'un comme l'autre tentent de pousser Emmanuelle Wargon à sortir du bois sur la constructi­on hors-site.

Avec l'ex-patron de Gecina désormais président de Viparis Bernard Michel, Robin Rivaton avait remis un rapport sur la constructi­on industrial­isée à son prédécesse­ur Julien Denormandi­e. « Nous avons hâte que le ministère du Logement et Bercy l'utilisent de manière plus concrète. Beaucoup de propositio­ns demeurent pertinente­s dans ce contexte de relance », insiste le DG de Real Estech.

« Dans un pays qui ne construit pas assez vite où l'on assiste à une flambée des prix de l'immobilier, il faut trouver des solutions. Et là, la constructi­on hors site a des atouts », renchérit son homologue Pierre Leroy. Pour le président de French Proptech, cette solution coche beaucoup de cases : construire moins cher, plus écologique, plus rapidement... et concurrenc­er les géants du numérique qui arrivent avec leur technologi­e.

En attendant le déclic politique, Real Estech appuie les JEI qui chassent en meute, quand French Proptech rejoint le mouvement European Proptech House Associatio­n.

Lire aussi : Construire 250.000 logements sociaux en deux ans, mission impossible ?

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