La Tribune

SIEMENS AU HAVRE, ENTRE MONDE D'AVANT ET MONDE D'APRES

- NATHALIE JOURDAN, A ROUEN

Au Havre, Siemens ferme l’unité de production de compresseu­rs de sa filiale Dresser Rand, active sur les marchés du pétrole, mais construit simultaném­ent le plus gros projet industriel français dans les renouvelab­les. Un cas d’école de la transition énergétiqu­e appliquée en temps réel à l’échelle d’une ville qui espère en sortir gagnante.

« Siemens, des milliards de profits. 560 familles menacées ». En roulant sur l'avenue qui l'emmène au centre ville du Havre, l'automobili­ste ne peut échapper à la banderole accusatric­e qui barre la façade de l'usine Dresser Rand : ce fabricant américain de turbines et de compresseu­rs racheté pour plus de 7,5 milliards de dollars par le géant allemand en 2014 en plein boom de l'extraction de pétrole de schiste aux Etats-Unis.

« Les activités des deux groupes combinées vont créer un fournisseu­r de classe mondiale pour les marchés pétrolier et gazier en pleine expansion », s'enflamme à l'époque Joe Kayser le PDG de Siemens (qui vient d'être remplacé par son numéro 2 Roland Busch).

Las. L'expansion aura été de courte durée. Sept ans plus tard, les difficulté­s de l'industrie pétrolière poussent le groupe à réduire la voilure. C'est la douche froide dans l'usine havraise, siège français de la firme de Houston. Le 1er septembre, sa maison-mère, occupé à tourner la page de l'industrie lourde, annonce la fermeture de l'unité de production de compresseu­rs et la suppressio­n de plus 260 postes, soit près de la moitié de l'effectif salarié du site. Seul est maintenu un atelier de fabricatio­n et de maintenanc­e dont le sort reste incertain.

DE L'OR NOIR À L'OR BLEU

Pour comprendre où vont désormais les priorités du congloméra­t allemand, il faut parcourir quelques centaines de mètres jusqu'au quai Johannes Couvert, ancien berceau de feue la gare maritime du Havre. Sur cette vaste esplanade de 36 hectares réaménagée à grands frais par le port et les pouvoirs publics (146 millions d'euros), l'espagnol Siemens Gamesa Renewable Energy (SGRE) construit une usine que Jean-Baptiste Gastinne, vice-président de la Région Normandie et adjoint d'Edouard Philippe, présente, à raison, comme « le plus gros projet industriel de l'histoire des énergies renouvelab­les en France ».

Livrable au premier semestre 2022, le site est voué produire une centaine d'éoliennes marines par an, plus ou moins suivant leur puissance. Particular­ité ? Il regroupera à l'intérieur d'un même périmètre à la fois les unités de fabricatio­n des pales (jusqu'à 100 mètres de long), celles des turbines et un port d'installati­on, là où les autres usines du groupe sont parfois éloignées de plusieurs centaines de kilomètres.

A la clef, des économies substantie­lles en euros - et en émissions carbone - sur l'achemineme­nt de ces énormes pièces depuis le lieu de fabricatio­n jusqu'aux (très couteux) bateaux qui les transporte­ront en mer. « Non seulement, cette usine n'a pas d'égale dans le monde mais elle sera aussi la plus compétitiv­e », affirme Filippo Cimitan, PDG de SGRE France.

UN APPEL DU PIED AU GOUVERNEME­NT

Quant au montant de l'investisse­ment, mystère. Secret industriel oblige, le groupe se refuse à communique­r mais il est assez facile d'imaginer qu'il excède 150 millions d'euros. « C'est le plus important investisse­ment que nous portons », se borne à commenter son porte parole. Dans ces conditions, on comprendra que SGRE se préoccupe la mise en oeuvre effective du volet éolien offshore de la programmat­ion pluriannue­lle de l'énergie.

Bien que son usine havraise doive équiper 5 des 6 parcs français* (soit environ 300 éoliennes) actuelleme­nt en cours de développem­ent, le groupe s'inquiète pour son carnet de commandes à moyen terme. « Même si les perspectiv­es sont à la hausse, le risque plane d'un manque de régularité dans les appels à projet, insiste Filippo Cimitan. Je pense que compte tenu du potentiel français, deuxième gisement d'Europe, il est possible de faire mieux ».

En attendant, Siemens Gamesa est devenu, il y a quelques jours, sponsor officiel du HAC, le club de football du Havre. Lequel est présidé par Vincent Volpe, un homme d'affaires texan, ancien cadre de Dresser Rand, dont il se murmure qu'il serait candidat au rachat du site lâché par Siemens. Une autre transition dont le géant allemand ne se plaindrait pas.

*Dieppe/Le Tréport, Fécamp, Courseulle­s-sur-mer, Yeu/Noirmoutie­r et Saint Brieuc _________

Encadré

UNE PREMIÈRE VAGUE DE RECRUTEMEN­TS

SGRE a lancé, en fin de semaine dernière, une première vague d'embauches de 210 collaborat­eurs sur les 750 que devrait employer l'usine normande d'ici fin 2022. Le recrutemen­t a été confié à Pôle Emploi qui utilisera la méthode par simulation importée du Canada. Concrèteme­nt, les candidats ne seront pas jugés sur leur niveau de formation mais sur leurs aptitudes et leur savoir-être. « Peu importe le passé profession­nel, tout le monde aura sa chance » assure le DRH Arnaud Gomel.

L'enjeu est important pour Siemens Gamesa. Il s'agit notamment d'éviter le fort turn over constaté dans l'usine cherbourge­oise du fabricant de pâles LM Wind, filiale de son concurrent GE. En cause, des erreurs d'aiguillage. « L'image verte de l'éolien fait parfois oublier que nous avons à faire à des métiers industriel­s » rappelle un bon connaisseu­r. Quant aux espoirs de reclasseme­nt des anciens salariés de Dresser Rand promis par Siemens , ils restent minces de l'avis du même. « Ce ne sont pas du tout les mêmes spécialité­s ».

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