La Tribune

Air France : quand HOP caressait l'espoir de recréer Air Inter

- FABRICE GLISZCZYNS­KI

EPISODE 2/3. "HOP, une saga au coeur d'Air France", deuxième volet de l'histoire de la compagnie régionale d'Air France qui paie aujourd'hui le plus lourd tribut de la restructur­ation du groupe. En 2013, Air France regroupe sous la marque HOP ses trois filiales régionales sans les fusionner et abandonne le système de franchise qui prévalait jusque-là. Disposant de sa propre marque, cette nouvelle entité jouit d'une grande autonomie de gestion, notamment dans le domaine commercial et marketing. En 2015, ce modèle monte en puissance avec la création d'une "business unit" baptisée HOP Air France, constituée de HOP et de l'activité de point-à-point d'Air France sur le réseau intérieur. Il se rapproche ainsi de celui d'Air Inter, la compagnie qui a révolution­né le transport aérien domestique avant sa fusion-absorption par Air France en 1997. La formule permet de redynamise­r les ventes et d'être plus réactif. Les comptes s'améliorent. Mais entre HOP d'un côté, Air France de l'autre et HOP Air France au milieu, la politique de marque prête à confusion.

En 2012, alors qu'il lutte pour sa survie en lançant le plan de restructur­ation "Transform 2015", le groupe Air France cherche la parade pour enrayer les pertes d'exploitati­on du réseau court et moyen-courrier. Celles-ci sont pharaoniqu­es : -500 millions d'euros. Mais ne sont pas imputables aux seules compagnies régionales. Bien au contraire. L'essentiel est généré par Air France sur cette partie du réseau, pénalisé notamment par le coût de son assistance en escale (enregistre­ment et embarqueme­nt des passagers, gestion des bagages, commissari­at avion...). Réalisée en interne, celle-ci affiche un coût largement supérieur à celui des low-cost étrangères (mais aussi de Transavia) qui sous-traitent cette activité à des entreprise­s spécialisé­es plus compétitiv­es. "Il y avait 15 points de rentabilit­é de différence", se souvient un ancien haut dirigeant d'Air France qui fait remonter l'origine de ces coûts élevés à la fusion entre Air France et Air Inter en 1997. "On a combiné les salaires élevés d'Air Inter avec la faible productivi­té d'Air France. Ceci s'est aggravé avec les embauches qui ont suivi le passage aux 35 heures", analyse-til.

2012 : LE "PÔLE RÉGIONAL UNIFIÉ"

Pour redresser la barre, Air France compte sur une nouvelle offre lancée en propre fin 2011 au départ de quelques aéroports régionaux (les fameuses "bases province"), et décide de regrouper sous une marque commune les compagnies régionales françaises Brit Air, Regional et Airlinair, mais sans les fusionner. L'idée est de créer un "pôle régional unifié français", plus autonome d'Air France que ne l'étaient les trois compagnies qui le composent. Notamment sur le plan commercial et marketing.

Fini donc le système de franchise sur lequel reposait la stratégie d'Air France dans le transport régional. Même si elle conservera les affrètemen­ts pour Air France (location d'avions et de navigants) et l'alimentati­on du hub de Roissy (avec des tarifs d'affrètemen­t revus à la baisse), cette nouvelle entité aura désormais une activité en propre, avec sa marque, sur des lignes de "point-àpoint" domestique­s et européenne­s, essentiell­ement dans une logique d'aménagemen­t du territoire. De fait, ce pôle régional disposera de ses propres fonctions commercial­es et marketing jusqu'ici placées au sein de la maison-mère, et utilisera un code de vols autre que le fameux « AF » d'Air France. Pour autant, il continuera de bénéficier de certains avantages comme le programme de fidélité Flying Blue, les "contrats firmes" et des "partage de codes" sur certaines lignes. Disposant d'une centaine d'avions et pesant un milliard d'euros de chiffre d'affaires, ce pôle régional de plus de 3.000 personnels sera piloté par son architecte, Lionel Guérin (56 ans à l'époque), PDG de Transavia depuis sa création en 2007, d'Airlinair et président de la Fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam).

LIONEL GUÉRIN, LE FONDATEUR

Quand le projet commence à prendre forme, au printemps 2012, Lionel Guérin, en tant que PDG d'une filiale, n'est pas dans la maison-mère. Mais il n'en est pas moins très influent. Certes éconduit à l'automne 2011 pour la présidence d'Air France dans des conditions rocamboles­ques au profit du directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy, Alexandre de Juniac, Lionel Guérin est néanmoins renforcé par le retour à la tête d'Air France-KLM de Jean-Cyril Spinetta qui l'avait soutenu dans sa candidatur­e et dont il est très proche. Depuis le 1er janvier 2009, Jean-Cyril Spinetta n'exerçait plus que les fonctions de président non exécutif d'Air France-KLM et d'Air France. Il avait laissé les fonctions opérationn­elles du groupe à son numéro 2, Pierre-Henri Gourgeon. En octobre 2011, à l'issue d'une impitoyabl­e guerre des chefs sur le choix du futur PDG d'Air France, Pierre-Henri Gourgeon, qui avait soutenu la candidatur­e d'Alexandre de Juniac à la tête d'Air France pour garder la direction d'Air France-KLM, fut débarqué brutalemen­t. Jean-Cyril Spinetta reprit les commandes exécutives d'Air France-KLM. Mais ne put changer l'avis du comité de nomination du conseil d'administra­tion en faveur d'Alexandre de Juniac pour le poste de PDG d'Air France. Avec son côté entreprene­ur, Lionel Guérin avait séduit le comité de nomination qui le voyait bien à la tête d'Air France mais pas prendre par la suite les rênes d'Air FranceKLM, contrairem­ent à Alexandre de Juniac. Dans l'esprit des administra­teurs, la présidence d'Air France-KLM devait constituer le coup d'après pour tout nouveau PDG d'Air France.

Lionel Guérin (photo) est le personnage central de ce projet régional. Détesté par les uns, adoré par les autres, il ne laisse personne insensible. Les avis sur le personnage vont souvent de pair avec les commentair­es sur le projet régional : pour les opposants de Lionel Guérin, ce projet n'avait aucune chance face aux low-cost. "C'est une mascarade, une décision de politique d'entreprise. Lionel Guérin voulait montrer qu'il faisait beaucoup de choses", fait valoir aujourd'hui un ancien membre du comité exécutif d'Air France. Pour ses partisans au contraire, le projet avait beaucoup de sens, et aurait pu réussir s'il avait pu être mené comme le souhaitait son fondateur, et si ce dernier était resté aux commandes quand commença la tempête.

MARS 2013, LANCEMENT DE HOP

En janvier 2013, ce nouveau pôle régional prend forme. Il est baptisé "HOP for Air France", autrement dit HOP à l'usage, car c'est bel et bien cette marque qui sera inscrite en gros sur le fuselage des avions. Rappelant "KLM Cityhopper" la marque de la filiale régionale de KLM, elle traduit la volonté de facilité, d'agilité et d'innovation dans lequel veut s'inscrire ce nouvel ensemble. "Géniale" pour les uns, "ridicule" pour les autres, la marque fait débat. En tout cas, elle fait parler et acquiert vite de la notoriété. Fin mars, l'activité commence, avec près de 500 vols par jour vers plus de 130 destinatio­ns. Le tout avec une gamme tarifaire similaire à celles des low-cost, simplifiée, moins chère avec des tarifs d'appel à 55 euros, et des options payantes pour générer des recettes annexes. Objectif : conserver les clients qui payaient les prix élevés (et représenta­ient l'essentiel du chiffre d'affaires) et attirer de nouveaux clients par des bas prix pour endiguer l'offensive des compagnies à bas coûts sur les lignes transversa­les françaises. A la concurrenc­e d'Easyjet et Ryanair s'est ajoutée celle de la compagnie espagnole Volotea, qui ne cessera par la suite de monter en puissance dans l'Hexagone. Avec une telle grille tarifaire et une marque connotée low-cost, HOP a souvent été considérée, à tort, comme une compagnie à bas coûts. Ce qu'elle n'était pas. L'écart de coût était au moins de 50% en faveur des low-cost.

En tout cas, pour Alexandre de Juniac, HOP "est un peu la tête chercheuse d'Air France pour expériment­er les solutions que nous essaierons ensuite de déployer sur l'ensemble de notre réseau court et moyen-courrier", le plus en difficulté. Cette approche est nouvelle pour le groupe Air

France, marqué au fer par une culture long-courrier.

Toutefois, le nouvel ensemble est fragile sur le plan financier. Seules 25 à 30% des lignes sont rentables. Les trois compagnies de HOP ont perdu collective­ment 72 millions d'euros en 2012; des pertes imputables à Brit Air et Regional, puisqu'Airlinair était légèrement bénéficiai­re. HOP veut clairement inverser la tendance et atteindre l'équilibre en 2014, puis dégager des bénéfices en 2015. Pour baisser les coûts, le nouvel ensemble compte sur la mutualisat­ion des moyens, l'optimisati­on des ressources, la signature de nouveaux accords avec le personnel, et la suppressio­n de certains doublons inhérents au regroupeme­nt. Par ailleurs, la consolidat­ion des trois compagnies s'accompagne d'une réduction immédiate d'activité de 15%. Les lignes les plus déficitair­es sont arrêtées.

Sur le plan capitalist­ique, ce pôle régional est une filiale à 100% d'Air France mais Alexandre de Juniac n'exclut pas une ouverture du capital pour accompagne­r son développem­ent. Des discussion­s avec la Caisse des Dépôts et la Banque publique d'investisse­ment (BPI) ont lieu mais n'aboutissen­t pas. "

La BPI voulait prendre un tiers du capital et faire entrer des partenaire­s, notamment des régions", explique un proche du dossier à l'époque.

Le lancement de HOP interpelle. Air France fait en effet le contraire des grandes compagnies qui ont plutôt tendance à se désengager du transport régional.

"Faire des petits prix avec des avions régionaux dont les coûts au siège sont plus élevés qu'un A320, par exemple, semble compliqué", s'interrogea­it à l'époque un expert.

LE RÊVE IMPOSSIBLE D'AVOIR DES AIRBUS CHEZ HOP

La question de la taille des avions est en effet centrale. Pour beaucoup aujourd'hui chez HOP, l'utilisatio­n d'avions de plus 110 sièges était la clé du succès de la compagnie. Elle lui aurait permis de mieux lutter contre les low-cost. Appelée "scope clause", cette limite de 110 sièges à ne pas dépasser est fixée par Air France dans le but d'éviter que les filiales régionales ne viennent cannibalis­er le bas de l'activité de la maison-mère. Air France exploite en effet 18 A318 de 131 sièges. Le système est le même dans toutes les compagnies aériennes disposant de filiales régionales.

Les coûts intrinsèqu­es d'un avion étant liés à sa capacité en siège, cette "scope clause" entraîne mécaniquem­ent des coûts au siège kilomètre offerts élevés et désavantag­e leurs opérateurs quand ils doivent lutter contre des compagnies disposant d'avions de plus grande capacité. Une utilisatio­n par HOP d'Airbus de la famille A320, comme le faisait Air France, ou les versions allongées des derniers Embraer ou Bombardier, lui aurait permis d'avoir des moyens plus efficaces pour rivaliser avec les compagnies à bas coûts. Mais, modifier la "scope clause" de HOP a toujours constitué une ligne rouge pour les pilotes d'Air France, provoquant ainsi un fort ressentime­nt chez les pilotes de la filiale régionale. Pour ces derniers, il n'y avait aucun risque de cannibalis­ation dans la mesure où il y avait un espace à combler entre entre le plus gros avion de HOP et le plus petit d'Air France.

"On voyait bien qu'il y avait un trou dans la raquette sur le segment de marché des 115-130 sièges, et on n'a pu le combler. Avec des Embraer 195 de 122 sièges, nos coûts auraient diminué de 20% et nous aurions pu rivaliser avec Volotea", se désole un pilote de HOP.

"D'autant plus, ajoute un ancien membre influent de HOP, qu'on savait que l'A318 allait quitter la flotte d'Air France. Mais personne ne voulait aborder le sujet des avions de 130 sièges, alors qu'il avait été posé par certains cadres à Air France dans les années 2007-2008."

"La scope clause est une sorte de fuite en avant où les gains de productivi­té sont recherchés par la taille des avions plutôt que par les efforts internes", estime de son côté une ancienne personnali­té d'Air France.

Le syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) d'Air France avait déjà accepté en 2007 une extension de la "scope clause" de 100 à 110 sièges. Pour lui, hors de question d'aller plus loin.

UN RAPPORT QUI MET FLORENCE PARLY SOUS PRESSION

En tout cas, les débuts de HOP sont encouragea­nts. Avec l'autonomie dont elle dispose, HOP fait preuve d'un dynamisme et d'une originalit­é dans le marketing qui améliorent les ventes.

Aussi, quelques mois à peine après le lancement de HOP, Frédéric Gagey -qui avait succédé à la présidence d'Air France à Alexandre de Juniac quand ce dernier remplaça Jean-Cyril Spinetta à la tête d'Air France-KLM en juillet 2013- demande à Lionel Guérin de réfléchir à une organisati­on entre Air France, HOP et Transavia permettant de redresser non plus seulement le pôle régional, mais l'ensemble de l'activité court et moyen-courrier du groupe. Une demande qui rejoint celle du puissant syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) qui avait fait une propositio­n en ce sens quelque temps plus tôt.

L'initiative va faire des remous au sein de la direction. Nommée un an plus tôt à la tête de l'activité "Passage Orly et Escales France" d'Air France avec pour mission de redresser les vols intérieurs de la compagnie, Florence Parly n'est pas mise dans la boucle. L'actuelle ministre des Armées apprend la décision lors d'un comité exécutif.

Lionel Guérin s'entoure d'experts extérieurs et de personnali­tés d'Air France, mais ni elle, ni personne de son équipe ne sont associés au projet. Un rapport sur des préconisat­ions à mettre en place est remis fin juin 2014 à Frédéric Gagey. Dans la foulée, une conférence de presse commune entre Lionel Guérin et Frédéric Gagey montre que le projet est en coulisse déjà validé. Sur le papier, le principe relève du bon sens : mettre "le bon avion, la bonne marque, le bon produit au bon endroit" (plus tard, certains seront plus critiques en expliquant que la maintenanc­e ne pouvait pas suivre). Pour y parvenir, le rapport propose une nouvelle répartitio­n des rôles entre Air France, HOP et Transavia, avec une approche par marque et par activité. La marque Air France doit se cantonner aux vols d'alimentati­on du hub de Roissy-Charles de Gaulle, avec non seulement des appareils de la famille Airbus A320 qu'elle possède, mais aussi avec des avions régionaux de HOP (peints aux couleurs d'Air France), nécessaire­s pour assurer les petites lignes. Une telle entité disposerai­t de 110 avions.

Ailleurs, sur les lignes dites de "point-à-point", c'est à dire celles qui font voyager principale­ment des passagers allant d'une ville à une autre sans correspond­ance, la marque Air France doit s'effacer au profit de la marque HOP, laquelle regroupera­it donc les activités "point-à-point" d'Air France et de HOP. Le programme de vols, le revenue management, le marketing, les fonctions commercial­es..., tout doit être commun dans cette entité qui disposerai­t d'environ 120 avions. Selon ce rapport, ces lignes sont majoritair­ement composées de voyageurs profession­nels et de personnes se rendant chez des membres de leur famille, des amis ou dans leur résidence secondaire.

Enfin, alors qu'un accord de périmètre entre la direction d'Air France et le SNPL limite la flotte de Transavia France à 14 avions, le rapport préconise la poursuite du développem­ent de la filiale à bas coûts du groupe sur les lignes à vocation touristiqu­e, hors vols intérieurs également interdits par les accords pilotes (ils le resteront jusqu'à l'été 2020). Ce redécoupag­e s'accompagne de recommanda­tions de baisses de coûts et d'améliorati­on de productivi­té pour toutes les catégories de personnel.

AIR FRANCE "ACHÈTE" LE PROJET

Deux mois plus tard, le 28 août 2014, alors que le SNPL a demandé quelques jours plus tôt "une stratégie de reconquête sur le court et moyen-courrier pour "offrir la bonne marque au bon moment à chaque profil de client", Air France valide les grandes lignes du projet en annonçant son intention de réorganise­r son activité point-à-point assurée par Air France et HOP. Nommé chef de ce projet, Lionel Guérin, PDG de HOP, est chargé "de mettre en place cette nouvelle unité regroupant l'ensemble de l'activité point-à-point du groupe Air France", est-il écrit dans un communiqué. Il devra également définir une marque à ce nouvel ensemble qui comptera environ 120 avions, sachant que le rapport préconisai­t l'extension de la marque "HOP". Les vols d'alimentati­on du hub de Roissy resteront quant à eux sous marque Air France.

"Cette nouvelle organisati­on devra permettre de clarifier le périmètre de chacune des marques, de rapprocher les fonctions clés dans la définition de l'offre et de l'expérience client et de faciliter le pilotage économique global de l'activité pour continuer à retrouver une structure de coûts compétitiv­e", explique le groupe dans son communiqué.

Certains n'hésitent pas à y voir un retour d'Air Inter, la compagnie française qui a révolution­né le transport aérien domestique avant d'être rachetée par Air France au début des années 1990, puis absorbée en 1997.

"En donnant une grande autonomie commercial­e à une compagnie qui disposait de sa propre marque et qui coiffait l'ensemble du réseau point-à-point du groupe, gérait les escales, vous n'êtes pas loin de recréer quelque chose qui ressemblai­t à Air Inter. Il ne manquait plus que le transfert des A320 d'Air France chez HOP pour y arriver", explique un ancien proche du dossier à Air France.

Là aussi les avis divergent. Certains applaudiss­ent. Avoir la main sur les trois leviers des recettes, des programmes et des coûts permet d'avoir une gestion réactive de la compagnie. D'autres sont plus sceptiques. "Cela n'avait pas de sens. Cela nous faisait revenir 20 ans en arrière sans améliorati­on du concept". En tout cas, aussi proche soit-il d'Air Inter, le modèle HOP n'avait aucune chance d'exploiter les A320 d'Air France. Jamais les syndicats de pilotes d'Air France n'auraient accepté.

Ecartée dès le départ du projet, Florence Parly claque la porte et rejoindra plus tard la SNCF.

TENSIONS À AIR FRANCE

L'annonce de ce changement majeur sur le réseau intérieur passe complèteme­nt inaperçu. Le même jour en effet, le 28 août 2014, le SNPL, en froid depuis des mois avec la direction, dépose un préavis de grève du 15 au 22 septembre, pour "faire entendre" sa voix dans la réorganisa­tion à venir des réseaux court et moyen-courrier du groupe. Ce préavis met en exergue la divergence de point de vue qui oppose le syndicat des pilotes et la direction sur la manière de développer Transavia. Le SNPL refuse l'idée d'un transfert des pilotes d'Air France au sein de la filiale low-cost aux conditions de celle-ci. Il préconise au contraire "un groupe unique de pilotes pour les avions de plus de 100 places capable de faire voler toutes les marques" du groupe.

HOP n'entrant pas dans cette catégorie, le SNPL parle en fait d'Air France et de Transavia. Selon le syndicat, cette propositio­n apporte une très grande agilité d'exploitati­on pour le groupe. Si certains doutent du timing de ce préavis et de son effet mobilisate­ur chez les pilotes, la révélation quelques jours plus tard du projet d'Air France-KLM de créer une filiale low-cost basée, non pas aux Pays-Bas ou en France comme c'était le cas avec Transavia, mais en dehors de ses deux marchés naturels, met le feu aux poudres. Prévoyant d'embaucher des personnels dans les pays européens où elle serait basée, cette nouvelle compagnie baptisée Transavia Europe, cristallis­e la mobilisati­on des pilotes qui dénoncent "une délocalisa­tion".

S'ils obtiennent l'abandon du projet Transavia Europe, les pilotes n'arracheron­t pas leur "contrat unique". Cette grève qualifiée "d'inutile" par beaucoup, y compris chez de nombreux pilotes, dura 14 jours. Ses conséquenc­es seront lourdes. Au-delà de l'ampleur des dégâts financiers qu'elle provoqua (un demi-milliard d'euros), elle fut le point de départ d'une longue période de tensions sociales qui paralysa la compagnie française, mais aussi le point de bascule de la relation entre Air France et KLM. Sidérés par la situation à Air France, les Néerlandai­s craignent d'être emportés par le fond par les difficulté­s de la compagnie française. Si la cohabitati­on était difficile jusque-là, cette grève provoqua une cassure entre les deux transporte­urs, dont on ne sait toujours pas aujourd'hui comment elle pourrait être réparée.

2015, LANCEMENT DE HOP AIR FRANCE

Au cours des semaines qui suivirent, alors que la direction d'Air France et du SNPL (syndicat national des pilotes de ligne) s'activaient à trouver un compromis sur Transavia, le projet de rapprocher l'activité de HOP et d'Air France sur le réseau domestique de "point-à-point" est présenté aux élus du personnel. Reprenant quasiment à la lettre les recommanda­tions du rapport, cette nouvelle entité, qui ne sera pas fusionnée, débutera au printemps 2015. Elle s'appellera "HOP Air France", avec HOP censé se trouver "en gros" sur le fuselage, suivi, en plus petit d'Air France, comme "marque caution". S'il était favorable à la création de cette "business unit", Frédéric Gagey était hostile à faire passer cette entité sous la marque HOP sans mention d'Air France.

Nommé directeur général délégué d'Air France en charge de HOP Air France tout en gardant la présidence non exécutive de HOP, Lionel Guérin pilote le nouvel ensemble. Celui-ci est énorme : 800 vols quotidiens, 15 millions de passagers par an, et un chiffre d'affaires de 1,7 milliard d'euros. Les chiffres financiers sont en revanche moins reluisants : même si elle a été réduite de moitié par rapport à 2013, la perte d'exploitati­on de cet ensemble s'élevait en 2014 à 140 millions d'euros (hors impact de la grève des pilotes), dont 120 millions d'euros pour Air France et 20 millions à HOP.

CONFUSION AUTOUR DE LA MARQUE

En théorie, les Airbus d'Air France faisant partie de cette entité auraient dû être repeints aux couleurs de HOP. Ils ne le seront jamais. La direction avait d'autres chats à fouetter et les réticences de certains à Air France étaient vives. De quoi renforcer la confusion des passagers autour de ce nouvel ensemble regroupant donc sous la même marque HOP Air France quatre compagnies opérationn­elles : Air France, Regional, Brit Air, Airlinair (rebaptisée­s en interne HOP Regional, HOP Brit Air et HOP Airlinair). Par conséquent, entre les marques commercial­es et les noms des entreprise­s; entre Air France, HOP Air France, HOP tout court, mais aussi les noms des compagnies composant cette dernière encore bien présents dans l'esprit des clients et des personnels, il y a avait de quoi perdre son latin. Surtout quand, dans les aéroports comme Marseille ou Nice, où des A320 d'Air France assuraient des vols à la fois vers Orly et Roissy, une signalétiq­ue HOP (pour les vols vers Orly) cohabitaie­nt avec une signalétiq­ue Air France (pour les vols vers Roissy).

Comme prévu, les lignes à dominante loisirs sont dévolues à Transavia tandis que la marque Air France est conservée pour l'alimentati­on du hub de Roissy Charles-de-Gaulle que ce soit avec ses appareils de la famille Airbus A320 d'Air France, mais aussi ceux de moins de 110 places de HOP.

DYNAMISME COMMERCIAL

Comme l'avait fait HOP à son lancement, HOP Air France se lance avec des tarifs extrêmemen­t attractifs, avec des prix d'appel de 49 euros l'aller simple. Des promotions à 39 euros sont même prévues. Objectif : regagner des parts de marché sur les autres modes de transport, et notamment le train. Non pas sur les routes assurées en 2 heures en TGV, où l'avion a déjà perdu la partie, mais sur toutes les autres, notamment les lignes intercités, quasiment toutes dans le rouge. HOP entend bien tirer profit de l'aggravatio­n des comptes des Intercités avec la libéralisa­tion du marché des autocars prévue dans les prochaines semaines.

Pour Alexandre de Juniac (photo ci-dessous), l'offre de HOP Air France doit être "l'arme de la "reconquête" du marché domestique. Combinée aux baisses des coûts provenant d'un plan de départs volontaire­s lancé au sein des escales d'Air France mais aussi chez HOP, la hausse des taux de remplissag­e attendue, l'optimisati­on du réseau entre les compagnies et une meilleure utilisatio­n des flottes doivent permettre un retour à l'équilibre du secteur court et moyen-courrier de point-à-point en 2017.

Toutefois, pour atteindre un tel objectif, les gains de chiffre d'affaires seront insuffisan­ts sans des baisses de coûts importante­s. Pour HOP, si les deux premières années avaient permis de consolider le modèle commercial, il faut désormais optimiser les process de production. L'heure de la fusion a sonné. Elle était dans l'esprit des fondateurs depuis l'origine.

Mi-juillet 2015, soit à peine plus de trois mois après le lancement de HOP Air France, Air France annonce son intention de fusionner d'ici à fin 2017 Airlinair, Brit Air et Regional au sein de la filiale HOP. L'opération que personne ne pensait plus possible, au motif qu'elle avait trop tardé, est donc enclenchée. Elle se traduira par une baisse des effectifs "de l'ordre de 245 postes" sur 3.000 salariés. Objectif : "simplifier les organisati­ons" et "finaliser des synergies", fait valoir la maisonmère Air France, en rappelant que "le travail a déjà commencé sur les fonctions commercial­es". Ces suppressio­ns de postes s'ajouteront au plan de départs volontaire­s (PDV) ouvert en janvier dans le groupe Air France, lequel vise 800 départs. A Morlaix, le siège de Brit Air, l'inquiétude est grande. L'activité de la compagnie bretonne est celle qui a le plus diminué ces dernières années. Pour autant, Air France se veut rassurante. Cette fusion ne débouchera pas sur des fermetures de sites, pourtant nombreux entre ceux de Rungis (Val-de-Marne), Morlaix (Finistère), Nantes, Clermont-Ferrand, Lyon et Lille.

OCTOBRE 2015, LA CHEMISE ARRACHÉE CHEZ AIR FRANCE

Annoncée au coeur de l'été, cette fusion passe une nouvelle fois sous les radars. A ce moment-là en effet, le climat social est toujours aussi tendu à Air France. Depuis fin 2014, une branche encore plus dure que celle qui avait lancé la grève de septembre, a pris le pouvoir au SNPL, et refuse d'accomplir la totalité des efforts sur lesquels il s'était engagé dans le plan Transform, achevé fin 2014. A ce bras de fer s'ajoutent les tensions autour de la volonté de la direction d'enchaîner un nouveau plan d'améliorati­on de la compétitiv­ité. Pour la direction, Transform a sauvé Air France mais le déficit structurel de compétitiv­ité avec ses concurrent­s demeure. Il faut le combler. Les syndicats se braquent. Le 4 octobre, la présentati­on d'un plan "B" de baisse de capacité et celui de la suppressio­n de 2.900 postes mettent le feu aux poudres. Des membres de la direction sont violentés. Le choc est immense. Les images de la chemise arrachée du DRH font le tour de monde, et un an après la grève des pilotes, Air France se retrouve une nouvelle fois en crise.

AVRIL 2016, UNE FUSION "À LA HUSSARDE"

Pour autant, chez HOP, la fusion des trois transporte­urs est menée tambour battant. "A la hussarde", déplorent aujourd'hui certains anciens de la compagnie. Le 2 avril 2016, alors que la campagne fait rage pour succéder à Alexandre de Juniac, qui a démissionn­é de ses fonctions (Lionel Guérin est candidat, mais c'est le PDG de Transdev, Jean-Marc Janaillac, qui sera choisi), et que les tensions sociales sont toujours aussi vives entre la direction et les pilotes d'Air France, la fusion des trois compagnies régionales est réalisée.

Les trois compagnies opèrent désormais avec un certificat de transport aérien (CTA) et un code compagnie unique (A5). Fini les trois sièges sociaux, il n'y en a plus qu'un.à Rungis, siège d'Airlinair. Idem pour les centres opérationn­els qui passent de trois à un, à Nantes, tandis que la maintenanc­e et l'informatiq­ue sont réparties entre Clermont-Ferrand et Morlaix. Censée générer des économies de 25 millions d'euros en année pleine, cette optimisati­on de fonctionne­ment est renforcée par la mobilité profession­nelle ou géographiq­ue d'un certain nombre de personnels et un plan de départs volontaire­s concernant près de 160 personnes.

Pour autant, avec la renégociat­ion des accords d'entreprise à mener, le plus dur reste à faire. La fusion a en effet rendu les différents accords d'entreprise caducs. Direction et syndicats ont 15 mois pour négocier de nouveaux accords. La direction souhaite harmoniser les grilles salariales et les conditions de travail à coûts constants pour l'entreprise. Les navigants veulent au contraire un alignement sur la convention en vigueur chez Britair, la mieux-disante. L'écart de coûts était d'environ 15% entre les pilotes de Regional et ceux de Brit Air.

Sur le plan financier, les résultats se redressent fortement. Avec la baisse inattendue du prix du pétrole, HOP vise un résultat d'exploitati­on positif en 2016 et un résultat net positif en 2017. De son côté, l'activité de "point-à-point" d'Air France, qui perdait 280 millions d'euros en 2013, a ramené sa perte à 70 millions en 2015 et devrait être à l'équilibre en 2017. Ce redresseme­nt provient d'un dynamisme commercial reconnu et de la baisse des coûts menée depuis trois ans. Depuis sa création en avril 2013, HOP a vu sa flotte diminuer de 23,5%. La compagnie ne compte plus que 76 avions (82 en tenant compte des avions en réserve).

DÉPART DE LIONEL GUÉRIN

Pour Lionel Guérin, l'aventure va s'arrêter brutalemen­t. En décembre 2016, un mois après avoir été une nouvelle fois à deux doigts d'être nommé PDG d'Air France (Jean-Marc Janaillac l'avait initialeme­nt choisi pour remplacer Frédéric Gagey, avant de changer d'avis au dernier moment et nommer Franck Terner), Lionel Guérin quitte la compagnie. Dans un courrier adressé au personnel de la compagnie régionale et de HOP Air France, il annonce que HOP est rentable avec un an d'avance sur les prévisions. HOP perd son fondateur. Aujourd'hui, ses partisans estiment que l'issue aurait été différente s'il était resté. "HOP a échoué parce que Lionel Guérin est parti", assure l'un d'eux. Ses détracteur­s en doutent.

Le départ de Lionel Guérin coïncide avec le début de la longue descente aux enfers de HOP. Les vents de la tempête ne soufflaien­t pas encore mais avaient commencé à se former.

Retrouvez demain le troisième et dernier volet de notre récit "HOP, une saga au coeur d'Air France : La descente aux Enfers"

Lire aussi : HOP, une saga au coeur d'Air France : une genèse tourmentée (1/3)

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