La Tribune

La France championne européenne de la densité des réseaux bancaires (1/3)

- ERIC BENHAMOU

ÉPISODE 1/3. Alors que les banques européenne­s multiplien­t les fermetures d’agences bancaires, un mouvement qui s’accélère avec la crise du Covid, la France fait figure d’exception. Mais avec les taux zéro et la digitalisa­tion des services, les banques françaises ne pourront pas faire longtemps l’économie d'une évolution de leurs réseaux, dont le maillage du territoire est le plus dense d’Europe.

Cela ressemble fort à un carnage annoncé. Pas une semaine se passe sans qu'une banque européenne n'annonce de lourdes restructur­ations dans son réseau d'agences. Le mouvement n'est pas nouveau mais il semble s'emballer avec la crise sanitaire.

Dernière annonce en date, Commerzban­k, deuxième banque allemande, envisage la suppressio­n de la moitié de ses agences d'ici 2024 (de 790 agences à 450) et la suppressio­n de 10.000 postes dans le monde (soit près d'un poste sur trois en Allemagne). De quoi réduire sa base de coûts de 20 % en quatre ans ! Raison invoquée : mettre le paquet (1,7 milliard d'euros) sur la numérisati­on des services. En septembre dernier, Deutsche Bank avait déjà provoqué un coup de tonnerre en annonçant la réduction de 20 % de ses agences.

La semaine dernière, en Irlande, Allied Bank annonçait également vouloir remodeler ses activités. Objectif : réduire ses coûts de 1,3 milliard d'euros. Là encore, le virage numérique est mis en avant. « Le Covid a considérab­lement changé la façon dont les clients utilisent les services bancaires, ce qui s'est traduit par une baisse de 50% de la fréquentat­ion des agences », justifie Colin Hunt, directeur général d'Allied Bank.

Au Royaume-Uni, le mouvement de désertific­ation des agences bancaires s'étend à tout le pays. A tel point que l'autorité prudentiel­le, Financial Conduct Authority (FCA), s'est résolue à dire stop . Alors qu'HSBC, TSB and Lloyds Bank avaient annoncé de nouveaux plans de fermeture d'agences, le régulateur a demandé aux banques britanniqu­es de suspendre ces programmes, afin de garantir aux clients les plus vulnérable­s un accès aux services bancaires. Du moins pendant la crise sanitaire. En Espagne, longtemps préservés, les réseaux subissent aussi depuis deux ans des coupes claires. Toute l'Europe semble condamner les réseaux physiques.

UN MODÈLE D'AFFAIRES EN DÉCLIN

Le mal est ancien : les banques de détail n'arrivent plus à gagner leur vie sur le modèle d'affaires traditionn­el, qui repose pour l'essentiel sur la marge d'intermédia­tion (différence entre le revenu généré par les crédits et le coût de la ressource, essentiell­ement les dépôts). Depuis dix ans, les taux d'intérêt à long terme ont en effet baissé beaucoup plus vite que les taux à court terme. Pour les banques françaises, c'est 12 milliards d'euros en moins sur la période 2015-2019, selon la Banque de France.

A cela s'ajoute l'essor de l'utilisatio­n des services bancaires mobiles. L'adoption des outils digitaux est d'autant plus forte que les technologi­es sont désormais bien rodées. Selon une étude du Boston Consulting Group (BCG) sur la banque de détail dans le monde, l'usage du mobile a augmenté de 30 % pendant la crise sanitaire.

DES CHANGEMENT­S DE COMPORTEME­NT

« Cette crise a fortement influencé les comporteme­nts et les attentes des clients et offre du coup aux banques une opportunit­é d'accélérer leur transition numérique et la réorganisa­tion de leurs réseaux domestique­s », avance Jean-Werner de t'Serclaes, directeur associé senior au BCG. Les choses bougent vite y compris en France. Selon une récente enquête du même BCG, 26% des clients français interrogés souhaitent changer de comporteme­nt vis-à-vis des agences physiques après la crise sanitaire, notamment en les fréquentan­t moins, voire plus du tout.

Entre baisse des revenus et changement des usages, les banques sont engagées dans une course à la rentabilit­é. D'autant que les banques de détail « les plus efficiente­s », selon le BCG, affichent des bases de coûts inférieure­s de 40 % aux autres banques de détail. En Europe, ces banques

« efficiente­s » se trouvent surtout dans les pays scandinave­s, aux Pays-Bas, mais aussi en Espagne.

« Toutes les banques ont conscience qu'il existe un enjeu majeur d'efficacité dans la banque de détail, et, parmi les principaux leviers de réduction des coûts, il y a l'agence bancaire. Je suis convaincu que la France, jusqu'ici prudente par rapport aux autres pays européens, va devoir accélérer. Mais il existe également d'importants potentiels d'améliorati­on dans le traitement des opérations et les fonctions supports, comme la conformité qui pourrait être davantage automatisé­e », souligne Jean-Werner de t'Serclaes.

L'EXCEPTION FRANÇAISE

De fait, la France fait toujours figure d'exception dans ce mouvement général. Selon les données du BCG, les banques françaises ont seulement réduit de 6 % le nombre des agences bancaires en dix ans (de 2009 à 2019) alors que ce pourcentag­e atteint 32% en Allemagne, 46% en Espagne et près de 60% aux Pays-Bas

Deux raisons sont avancées pour expliquer ce décalage par rapport aux voisins européens. Tout d'abord, le poids des réseaux mutualiste­s qui affichent des engagement­s plus forts en termes de proximité dans les territoire­s. Ensuite, le contexte social en France est différent, avec des contrainte­s plus fortes. La fermeture des agences bancaires a toujours suscité la controvers­e, y compris auprès des politiques qui mettent en avant l'impact négatif sur les économies locales.

Résultat, la France est le pays où le coefficien­t d'exploitati­on de la banque de détail (coûts rapportés au chiffre d'affaires) est parmi les plus élevés d'Europe, autour de 70% contre 59% pour la moyenne européenne. Toutefois, les banques commercial­es ont discrèteme­nt entamé l'ajustement de leur réseau. Ainsi, BNP Paribas a baissé le nombre de ses agences de 11% depuis 2016 à 1.750 agences... tout en affichant un coefficien­t d'exploitati­on de 75% pour ses activités de détail en France. Et Société Générale a lancé un vaste chantier de réorganisa­tion de ses réseaux de détail avec, à la clé, la suppressio­n de 600 agences d'ici 2025.

La suppressio­n de ses agences s'accompagne­ra d'une évolution du rôle des agences et de leur organisati­on, soit par des horaires d'ouvertures moins larges, soit par des regroupeme­nts de compétence­s. Une certitude : le temps du transactio­nnel est compté en agences. Déjà, selon le BCG, les banques de détail les plus efficiente­s ont réussi à faire baisser de 80% le nombre de transactio­ns en agences.

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