La Tribune

Vallée de la Seine: « Une conscience collective s'est installée » (François Philizot)

- NATHALIE JOURDAN ET CESAR ARMAND

Depuis sept ans, le préfet Francois Philizot est le metteur en Seine de la stratégie de développem­ent de ce vaste ensemble que Nicolas Sarkozy appelait, en son temps, « le Grand Paris jusqu’au Havre ». Alors que le sujet revient dans le débat politique à la faveur de la fusion des ports, le délégué interminis­tériel à la vallée de la Seine a répondu, sans méandres, aux questions de La Tribune.

LA TRIBUNE: Cela fait plus de sept ans que vous avez été nommé Délégué interminis­tériel au développem­ent de la vallée de la Seine. Quel bilan dressez-vous de votre action ?

FRANÇOIS PHILIZOT: Il est toujours difficile de répondre à une telle question. Est-ce le rôle du délégué interminis­tériel ? Ou celui de ses interlocut­eurs ? Ou celui de ses autorités ? Le sentiment que j'ai est celui d'une période exceptionn­ellement longue pour un haut fonctionna­ire.

En sept ans, s'est installée sur la vallée de la Seine une conscience collective et une vision partagée qui s'incarnent dans la réalité. L'on observe comment une idée générale avec peu de pratiques concrètes voire aucune sur ces sujets d'aménagemen­ts a permis d'aboutir à un document d'orientatio­n et un contrat de plan. Aujourd'hui, je vis au quotidien le chantier d'un deuxième contrat de plan. Avec les régions, nous avons des réunions techniques pour poursuivre l'entreprise et installer dans le temps long la démarche qui s'est structurée.

En outre, nous assistons à des incarnatio­ns comme la fusion des trois ports au sein d'Haropa au 1er juin 2021. C'est l'illustrati­on qu'une coopératio­n souple peut déboucher sur un outil unifié en passant par un groupement d'intérêt économique.

Je constate parallèlem­ent une reprise du sujet par les autres collectivi­tés, à travers les initiative­s des grands élus métropolit­ains qui remettent à leur agenda politique leur coopératio­n, ou des départemen­ts qui veillent à faire vivre leur engagement sur la question touristiqu­e comme la Seine à vélo.

Malgré les soubresaut­s actuels, les acteurs économique­s ont de même la volonté de poursuivre les discussion­s sur l'organisati­on d'Haropa. Les deux chambres de commerce et d'industrie (CCI) veulent ainsi continuer à faire vivre l'Axe Seine au travers de l'associatio­n Paris Seine Normandie que porte tout spécialeme­nt la CCI Paris IDF. Il y a une prise de conscience de l'importance de cet axe.

Quel est le calendrier et quelles sont les priorités du second contrat de plan interrégio­nal (CPIER2) ?

Compte tenu de la proximité avec les élections régionales, nous travaillon­s sur un schéma en deux étapes avec les Régions, j'échange sur un rythme quasi-quotidien. Ce que nous envisageon­s pour ne pas perdre de temps est de signer, sans doute au début du printemps, un avenant d'une durée de deux ans qui sera réintégré ensuite dans le CPIER proprement dit. S'agissant de la traduction opérationn­elle, le premier volet, le plus important en montant, portera sur la performanc­e industriel­le et logistique et sur les infrastruc­tures ferroviair­es, fluviales et portuaires.

Suite à un accord entre l'Etat et les Régions, il comprendra par exemple l'ensemble du programme d'investisse­ment du futur établissem­ent public portuaire Haropa. Y figureront aussi d'importante­s opérations sur les ouvrages fluviaux comme l'écluse de Mericourt, les barrages de Poses et de Suresnes. En parallèle, nous veillerons aux grands projets comme la mise à grand gabarit de l'Oise entre Compiègne et Creil : un chantier essentiel avant la mise en service du canal Seine Nord. Sur le ferroviair­e, nous lancerons plusieurs études sur le contournem­ent de l'Île-de-France par le fret et sur la reconfigur­ation de la gare de Vernon, le projet de saut-de-mouton à Saint-Lazare, en complément des études de la ligne nouvelle Paris-Normandie.

Quid du second volet ?

Cette deuxième partie portera sur la gestion de l'espace et de la transition environnem­entale. Il s'agit en particulie­r de poursuivre l'identifica­tion des sites stratégiqu­es avec, en perspectiv­e, la règle du zéro artificial­isation nette qui contraint la consommati­on de l'espace. Dans cet esprit, l'observatoi­re du foncier d'activité très abouti en Normandie sera décliné en Île-de-France avec une première expériment­ation sur 1.250 hectares au sein de l'agglomérat­ion du Val Parisis.

Je tiens aussi beaucoup à ce que nous accélérion­s dans le domaine du paysage pour mieux mobiliser les intercommu­nalités. De la même manière, nous voulons faire émerger des projets autour de la connaissan­ce du fleuve et des continuité­s écologique­s.

Qu'en est-il de la transition écologique justement ?

La transition écologique fait émerger des projets concrets autour de différents enjeux, portés par des acteurs publics comme privés. Ainsi nous avons permis le déploiemen­t de bornes de recharge installées par Voies navigables de France (VNF) et Haropa ou celui d'un système pour optimiser la navigation et réduire les consommati­ons.

En avril prochain, nous présentero­ns par ailleurs un travail très lourd sur la qualificat­ion géochimiqu­e des sols pour savoir quel est le type de terre et connaître les zones de réemploi sans risquer d'en polluer une autre.

Nous avons travaillé d'ores et déjà sur la logistique des circuits courts agroalimen­taires, avec un outil de calcul des coûts logistique­s. Nous explorons le potentiel de l'hydrogène tout en étudiant en parallèle l'électrific­ation de l'A13 pour alimenter les camions. Il y aura peut-être des poids lourds à l'hydrogène, mais pour l'heure, cela reste marginal ou trop cher.

Nous voulons sinon accompagne­r la filière du bois de hêtre normand avec l'achemineme­nt par transport fluvial. Nous ferons des annonces en ce sens lors des Assises du bois en Île-de-France, car le gros de la constructi­on bois en région parisienne est constitué de résineux importés de pays étrangers.

Nous avons enfin un programme avec la filière cheval et la revalorisa­tion des fumiers. L'Île-deFrance est la première région de loisir équestre et la Normandie la première région de production de chevaux de courses. Nous entendons, dans le même esprit, utiliser les débris coquillier­s (SaintJacqu­es...) pour fabriquer des pavés décoratifs, car ils captent mieux l'humidité. Nous allons tester cela à Paris, Alençon et Caen.

Le champ est largement ouvert, pour répondre à la diversité des domaines en cause.

Comment rendre malgré tout le sujet moins techno ?

C'est bien l'un des grands enjeux: montrer les illustrati­ons concrètes thématique­s par thématique­s. Sur les sujets de transport, nous sommes sur des horizons de long-terme : 2030 voire 2040. Il faut montrer l'itinéraire suivi, les différente­s étapes apportant des améliorati­ons, et comment cela interfère avec la vie quotidienn­e. Nous devons réussir à organiser des temps pour expliquer ce que nous projetons et entendre ce que veulent les gens.

Le fonctionne­ment portuaire renvoie, lui, à un enjeu économique immédiat . Nous avons 460.000 emplois dans la logistique, dont 90.000 en Normandie. L'objectif est de convaincre les opérateurs économique­s d'investir.

Et il nous faut expliquer à quoi sert le fleuve. C'est tant un lieu de loisirs qu'un espace d'équilibres naturels ou un vecteur de développem­ent économique. Ce ne sont pas seulement 80% des passagers transporté­s, mais aussi 52% des marchandis­es sur le réseau fluvial français, mais aussi un enjeu culturel ou urbain.

A combien est estimé le montant du second contrat de plan interrégio­nal (CPIER 2) ?

L'idée qu'il faut avoir en tête, c'est qu'il y aura une accélérati­on de l'effort d'investisse­ment. Sur le portuaire par exemple, nous sommes dans une perspectiv­e de doublement, le programme d'HAROPA s'élève à 1,45 milliard sur 20-27. Sur le ferroviair­e, nous allons passer d'une enveloppe de 360 millions d'euros à près de 500. Sur le fluvial, la modernisat­ion du réseau implique plus de 200 millions.

Mais on doit garder en mémoire que le CPIER est aussi l'occasion de faire du « soft », de l'intelligen­ce collective en somme : des moyens accrus y seront consacrés, faisant émerger des projets et créant une culture commune

Certains, à l'instar du président de la métropole du Grand Paris Patrick Ollier ou de l'architecte-urbaniste Roland Castro, appellent à une nouvelle gouvernanc­e de la vallée de Seine sous la forme d'une intercommu­nalité de Paris au Havre voire d'une fusion des Régions. Une bonne idée ?

Je ne suis ni Patrick Ollier, ni Roland Castro. Faut-il une nouvelle structure ? Je n'en suis pas sûr à ce stade. Commençons par dialoguer, ensuite nous verrons. En revanche, je trouve très positif que la Métropole du Grand Paris envisage de se projeter à l'échelle la vallée de Seine. De manière générale, on voit bien que les différents niveaux de collectivi­tés cherchent leur place à l'intérieur de cet ensemble. Cela aussi, c'est positif.

Lire aussi : Anne Hidalgo et Edouard Philippe défendent un Grand Paris allant jusqu'au Havre

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