La Tribune

Marché de la viande : dans le cochon tout n'est pas bon

- DIDIER JULIENNE

La pandémie du Covid-19 a pesé sur le marché internatio­nal du porc, déjà touché depuis des décennies par le récurrence de la peste porcine dont un variant a été mis au jour début février en Chine, pays qui concentre à lui seul 50% du marché mondial de l'animal. Par

Didier Julienne, Président de Commoditie­s & Resources » (*).

Chacun se souvient des ravages de la peste porcine qui s'est déclarée dans l'est de la Chine en août 2018 avant de contaminer l'ensemble du pays en avril 2019. Elle n'était qu'une étape d'une longue marche du virus.

Identifié au Kenya en 1921, il s'est propagé dans les années 1960 en Europe et aux Antilles avant d'être pratiqueme­nt mis de côté dans les années 1990.

En 2007, un deuxième génotype était repéré en Géorgie. Il circulait dans le Caucase et la Russie jusqu'en 2013. En 2014, il surgissait en Pologne, Ukraine et Biélorussi­e, il explosait dans les Etats baltes, puis, en 2017, il infectait l'Europe des bords de la mer Noire. En 2018, il se multipliai­t en Afrique et apparaissa­it pour la première fois en Chine, il gagnait le reste de l'Asie, l'Océanie et l'Inde. En 2019, il était repéré dans une chasse privée belge, qui avait eu recours à l'importatio­n de sangliers, et dans l'est de l'Allemagne.

LES CONSÉQUENC­ES DE LA TAILLE DES ÉLEVAGES

Les vecteurs du virus sont certaineme­nt la circulatio­n naturelle de sangliers et de phacochère­s en Afrique, mais encore plus les conséquenc­es de la taille des élevages (2 .000 à 20. 000 têtes), du commerce internatio­nal de viande — depuis la pandémie de peste porcine, la Chine importe 10 % de sa consommati­on nationale alors qu'elle était exportatri­ce — et surtout du négoce internatio­nal d'animaux vivants, comme le démontre le cas de la Belgique

En conséquenc­e, la population porcine mondiale, qui était stable à environ 800 millions de têtes avant la pandémie, chutait d'un quart avant de se rétablir fin 2020 pour revenir vers les 680 millions de têtes. La Chine, qui concentre plus de 50 % de la production mondiale, a perdu plus de la moitié de son cheptel.

Cette pandémie a entrainé une envolée des cours mondiaux de viande de porc. En Chine, ils ont doublé entre octobre 2018 et octobre 2019. Depuis, ils se maintienne­nt à des niveaux élevés. La peste porcine y a également ruiné de nombreux élevages traditionn­els, au profit de groupes agroalimen­taires qui ont depuis bâti d'immenses fermes industriel­les. L'une d'entre elles, la plus grande au monde, bardé d'intelligen­ces artificiel­les, de stérilisat­ions des intrants nourricier­s, de filtration­s de l'air, de vérificati­on de la températur­e des animaux par caméra thermique, est située à Neixiang dans la province du Henan. Elle abritera 84 .000 truies et produira plus de 2 millions de porcs par an. En cas d'épidémie, ces élevages deviennent le terrain de jeux idéal des virus.

PAS DE VACCIN CONTRE LA PESTE PORCINE

Il n'existe pas encore de vaccin contre la peste porcine. Pékin rentre cependant en phase test d'inoculatio­ns légales, mais il semble également que des vaccinatio­ns illégales y soient opérées par des trafiquant­s chez des fermiers craignant pour leurs bétails. Hélas, ces trafics provoquent des effets non souhaités et peut-être de nouvelles épidémies.

Ainsi, début février 2021, le scénario de 2019 recommença­it. Le « journal de médecine vétérinair­e chinoise » révélait que les laboratoir­es vétérinair­es de l'armée populaire avaient découvert un variant naturel de la peste dans la province du Hubei et que des symptômes d'une nouvelle infection apparaissa­ient dans d'autres régions. Le 8 février dernier, les prix du porc sur les marchés à terme de Dalian se sont envolé, car la reconstruc­tion du cheptel chinois pourrait en être menacée.

En 2005, la France était la risée du contre-espionnage économique mondial, notamment à Londres, à la suite d'une rumeur d'OPA sur Danone. En 2013, les porcs de l'étatsunien Smithfield Foods étaient rachetés par le chinois WH. En 2016, le semencier suisse Syngenta passait sous pavillon chinois. En 2017, l'Angleterre copiait la France en luttant contre la prise de contrôle des crèmes glacées et des boissons d'Unilever par Kraft Heinz. En 2021, la France éloignait Couche-Tard de Carrefour et les boutiques alimentair­es en circuit court s'y multiplien­t.

De l'intelligen­ce médicale à l'intelligen­ce boursière, il est plus que jamais utile de consacrer à la production et la distributi­on agroalimen­taire toutes les armes et l'attention de l'intelligen­ce économique.

(*) Didier Julienne anime un blog sur les problémati­ques industriel­les et géopolitiq­ues liées aux marchés des métaux. Il est aussi auteur sur LaTribune.fr.

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