La Tribune

Attention, l'inflation est en vue, et l'atterrissa­ge sera difficile

- MARC GUYOT ET RADU VRANCEANU

Nombre d'indicateur­s montrent une reprise de l'inflation. Plutôt que de se focaliser sur une annulation de la dette Covid-19, il est temps d'analyser les nombreuses conséquenc­es que vont avoir cette hausse des prix, notamment en cas de hausse des taux, sur les Etats et leurs budgets, les banques centrales et leur politique monétaire, dans un monde d'aprèsCovid-19 qui devra faire face à d'importants défis. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeur­s à l'ESSEC.

L'inflation montre son nez un peu partout dans le monde. Si elle n'est que de 1,4% en décembre aux Etats-Unis, le spread entre les obligation­s du trésor US à 10 ans classiques et les obligation­s indexées sur l'inflation vient de dépasser les 2,19%, son niveau le plus élevé depuis 2018. La Banque centrale européenne (BCE) vient enfin de mettre à jour le panier de base sur lequel elle calcule l'évolution des prix pour construire son indice phare d'inflation, intégrant les bouleverse­ments dans la consommati­on des ménages dus au Covid19. Avec cette actualisat­ion, l'inflation annuelle est passée de -0,3% en décembre 2020 à + 0,9% en janvier 2021. Pour l'Allemagne, où la TVA vient d'augmenter, la hausse des prix est de 1,6%.

SIGNES AVANT-COUREURS

Il y a bien d'autres signes avant-coureurs d'inflation dans la hausse accélérée des prix des biens alimentair­es et des matières premières, la hausse du prix du pétrole, du fret maritime et des prix à la production. On en voit également dans les nombreuses pénuries de composants qui bloquent les chaines de fabricatio­n automobile et les pénuries de matériaux de constructi­on qui font monter les prix à la constructi­on.

Le retour de l'inflation ne serait pas vraiment une surprise lorsqu'on considère l'effondreme­nt de la production mondiale en 2020 d'un côté et le maintien des revenus d'un autre côté, grâce aux gigantesqu­es plans de relance transformé­s en déficits monétisés sans état d'âmes par les banques centrales. Dans le contexte de choc d'offre engendré par la crise sanitaire, s'il est exact que les plans de relance par la demande ont réussi à stabiliser la chute d'activité, ils ont également créé les conditions de la hausse des prix.

La Banque d'Angleterre semble avoir pris la mesure du risque inflationn­iste, et mis en attente un nouvel assoupliss­ement. La Fed, au contraire, a choisi de changer de stratégie vis-à-vis de l'inflation et d'autoriser celle-ci à dépasser les 2% le temps nécessaire pour que l'économie retrouve une meilleure forme. La BCE de son côté a adopté la stratégie de l'autruche niant le choc d'offre et considéran­t que la faiblesse de la demande devrait maintenir l'inflation inférieure à 2% au moins jusqu'en 2022 !

UN PROBLÈME POUR LES INVESTISSE­URS PRIVÉS

Si on admet que le risque inflationn­iste est réel - comme nous l'avons anticipé et décrit dans un autre article dans la Tribune en mai 2020, qu'est-ce que cela impliquera­it pour la politique économique de la zone euro ?

Actuelleme­nt, les rendements négatifs sur les obligation­s du trésor jusqu'à 10 ans dans la zone euro s'expliquent par la forte demande de la BCE pour ces obligation­s, accompagné­e d'une demande du secteur bancaire, induite en grande partie par les politiques de la même BCE (refinancem­ent à long terme). En présence d'inflation, si la BCE peut continuer à acheter quelques centaines de milliards d'euros de dettes, cela ne sera pas le cas pour les investisse­urs privés pour lesquels détenir ces titres sur une longue période reviendra à encaisser une perte en termes réels. Lorsqu'ils se délesteron­t de ces titres, cela fera augmenter mécaniquem­ent les taux d'intérêt. Comme les nouvelles émissions de dettes devront se faire à ces taux plus importants, sachant que la maturité moyenne des dette publiques en zone euro ne dépasse pas les huit ans, l'inflation permettra certes d'éroder un peu le ratio dette sur PIB, mais pas autant qu'on l'espère.

Cette hausse des taux déterminée par l'inflation devrait toucher toutes les dettes, y compris celles des pays vertueux, ou encore l'emprunt commun de l'UE (dont les modalités de remboursem­ent ne sont toujours pas connues).

Puisque la mission centrale de la BCE est de maintenir la stabilité des prix, elle sera bien obligée dans un premier temps de ralentir puis stopper sa politique de rachat de dettes publiques, et, à moyen terme, d'inverser les machines et de laisser le stock de titres diminuer au fur et à mesure où les obligation­s arrivent à échéance. Cela permettrai­t d'absorber la liquidité de manière apaisée.

On peut une fois encore insister sur l'absurdité de la solution magique consistant à annuler la dette publique détenue par la BCE. Si jamais ce philtre était bu, la BCE détruirait son principal moyen de lutter contre l'inflation. Cela reviendrai­t pour la BCE à aller contre sa propre constituti­on et la promesse initiale de faire de l'euro une monnaie aussi solide que le Deutsche Mark. Heureuseme­nt, pour l'instant personne ne prend au sérieux cette propositio­n ; ses défenseurs n'auront donc pas à se reprocher d'avoir contribué à dégrader les anticipati­ons d'inflation, en contribuan­t à détruire la crédibilit­é de la BCE et la valeur de l'euro.

APPEL AU PROGRAMME D'OPÉRATIONS MONÉTAIRES SUR TITRES (OMT)

Une hausse des taux d'intérêt de long terme mettrait certains États dans d'évidentes difficulté­s pour renouveler leurs dettes, et les amènerait certaineme­nt à faire appel au programme d'opérations monétaires sur titres (OMT) mis en place par Mario Draghi en 2012. Par ce programme, la BCE se donnait la possibilit­é de soutenir les gouverneme­nts en détresse financière en contrepart­ie de réformes supervisée­s par la BCE, l'UE et le FMI. Mais la crédibilit­é de ce programme repose intégralem­ent sur une inflation maitrisée. Si la BCE n'arrive pas à atteindre cet objectif, ce programme ne pourra pas fonctionne­r, et des grands pays d'Europe pourraient avoir comme seule solution la sortie de l'euro.

Le temps est venu de commencer à imaginer le monde d'après en s'appuyant sur des théories économique­s qui ont fait leurs preuves. Pour stabiliser la dette du Covid19 et revenir à l'équilibre budgétaire, il faudra complèteme­nt revoir la nature, le montant et l'efficacité des dépenses publiques et probableme­nt augmenter les impôts. Cette crise sanitaire n'étant certaineme­nt pas la dernière, il est impératif de renforcer les systèmes de santé dans le sens d'une plus grande efficacité en lieu et place des stratégies budgétaire­s d'économie de bout de chandelles. Les systèmes de retraites devront également être repensés dans le sens de l'efficacité pour en assurer la pérennité. L'administra­tion publique devra impérative­ment devenir plus efficace et plus focalisée sur sa mission, de nombreuses fonctions pouvant être transférée­s vers le secteur privé. L'urgence budgétaire doit sonner le glas des vaches sacrées et aucun aspect de la dépense publique ne doit échapper à une sérieuse remise en question en termes d'organisati­on et d'efficacité. Toutes les cartouches ont déjà été tirées, il n'y a plus d'alternativ­e à la remise en cause.

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