La Tribune

Lectra s'empare de Gerber Technology, son éternel concurrent américain

- JEAN-PHILIPPE DEJEAN

Lectra devrait prendre d'ici quelques semaines le contrôle total de son plus important et ancien concurrent mondial : le groupe américain Gerber Technology. Ce dernier ne semble pourtant pas en cours d'effondreme­nt et la prise de contrôle prévoit un accord capitalist­ique croisé entre les deux groupes. Après la guerre commercial­e lancée par Donald Trump, la pandémie de coronaviru­s semble avoir accéléré ce rapprochem­ent dans le secteur de la découpe industriel­le de matériaux souples.

Après plus de vingt ans de concurrenc­e acharnée Lectra, leader mondial dans la conception et le développem­ent des plus puissants systèmes de découpe de matériaux souples (cuir, tissus...) pour la mode, l'automobile et l'ameublemen­t, annonce la conclusion d'un protocole d'accord pour la prise de contrôle de Gerber Technology, son concurrent américain de toujours. Pour être effectif, cet accord doit encore être validé par les autorités de régulation, aux Etats-Unis comme en Europe. L'année dernière, en mars, le PDG Daniel Harari avait annoncé que Lectra se mettait en chasse dans le monde pour racheter trois à cinq startups de premier plan dans son secteur d'activité. Un défi complexe à relever, comme l'avait alors expliqué Philippe Ribeira, directeur du Lab Innovation de Lectra.

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Un an plus tard presque jour pour jour, après une première séquence complète de pandémie de coronaviru­s, voilà que le patron de Lectra annonce qu'il a fait monter les enchères au plus haut, avec cet abordage programmé de Gerber Technology. Abordage qui ne sera pas sanglant puisque ce rachat se double d'un accord capitalist­ique croisé entre Lectra et le propriétai­re de Gerber Technology : AIPCF VI LG, fonds d'investisse­ment qui appartient au groupe American Industrial Partners.

CAPITALISA­TION CROISÉE

L'accord négocié entre les deux groupes stipule ainsi que Lectra va se porter acquéreur de la totalité des actions de Gerber Technology moyennant 175 millions d'euros. Une opération financée par la trésorerie de Lectra mais aussi un emprunt, dont le montant n'est pas dévoilé. Ce rachat des actions de Gerber Technology sera complété par l'émission par Lectra de 5 millions de nouvelles actions au bénéfice d'AIPCF VI LG, qui devient actionnair­e de Lectra. Cette opération va ainsi porter sur un total de près de 300 millions d'euros, sur la base du cours de clôture de Lectra au 5 février 2021.

L'accord entre les deux groupes ne s'arrête pas là puisque, à l'issue de l'opération, le fonds américain va détenir près de 13,3 % des actions de Lectra, contre 14,6 % pour Daniel Harari, le PDG historique, et le conseil d'administra­tion du groupe français accueiller­a un administra­teur représenta­nt d'AIPCF VI LG. Daniel Harari se maintient à son poste tandis que Mohit Uberoi, DG de Gerber Technology, devrait avoir une fonction de conseiller spécial du PDG de Lectra, jusqu'à fin 2021.

LE LEADER MONDIAL FRANÇAIS N'A QUASIMENT AUCUNE DETTE

Le chiffre d'affaires 2020 de Lectra, qui emploie 1.800 salariés dans le monde, dont près de 800 en Gironde, ne sera connu que ce mercredi 10 février. Le groupe, qui concentre à Cestas, où il a été créé, son unité de recherche et développem­ent, son outil de production ainsi que sa direction commercial­e internatio­nale, le siège social étant à Paris, avait bouclé 2019 avec un CA de 280 millions d'euros et un bénéfice net de 29,3 millions d'euros. Le communiqué annonçant l'opération de rachat, précise que Gerber Technology a réalisé un chiffre d'affaires de 165 millions d'euros en 2020, année où celui de Lectra va forcément baisser par rapport à 2019.

L'un des atouts maîtres de Daniel Harari vient du fait qu'il dirige un groupe quasiment sans aucune dette. Les deux groupes sont totalement engagés dans la course à l'industrie 4.0 et l'on peut dire que Letra a déjà pris une véritable avance internatio­nale sur le sujet, avec son offre « Fashion on demand », qui permet de personnali­ser au millimètre près les vêtements pour les clients, sans tomber dans une offre sur-mesure hors de prix, mais en restant au contraire proche des canons économique­s du prêt-à-porter.

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GERBER TECHNOLOGY DOIT APPORTER UN GROS COUP DE BOOST IMMÉDIAT

"Aujourd'hui est un jour historique pour nos entreprise­s : nous anticipons des possibilit­és de croissance très importante­s. Nous disposeron­s de moyens supplément­aires d'investisse­ments dans l'innovation et de nouvelles capacités technologi­ques qui seront très bénéfiques pour l'industrie. Nous pourrons créer de la valeur sur le long terme pour nos clients et nos actionnair­es", se réjouit Daniel Harari dans le communiqué officiel annonçant l'opération.

La recherche de nouvelles startups s'intégrait naturellem­ent dans la nécessité de développer de nouveaux foyers de croissance dans des délais raisonnabl­es. Mais l'impact mondial du coronaviru­s, qui fait suite à plusieurs années commercial­es minées par la guerre économique mondiale lancée par Donald Trump, a sans doute généré une très forte pression sur Lectra, obligeant Daniel Harari à prendre le taureau par les cornes pour relancer l'activité dans les meilleurs délais.

GERBER TECHNOLOGY SEMBLE AVOIR SURVÉCU AU SYNDROME CHINOIS

Comme Lectra, Gerber Technology s'est lancé dans la digitalisa­tion de son offre. Ce qui sépare sans doute les deux groupes est d'ordre stratégiqu­e. Comme a pu le souligner Daniel Harari à plusieurs reprises, lui et son frère André ont refusé de délocalise­r leur appareil de production en Chine au début des années 2000, comme le demandaien­t certains cadres supérieurs du groupe et des clients.

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Car, pour les frères Harari, partir en Chine c'était mettre leur technologi­e et leur savoir-faire en péril et se lancer dans une guerre des prix vers le bas, qui les chasseraie­nt d'un créneau haut-degamme dont ils ne voulaient surtout pas bouger. A l'inverse de Lectra, Gerber Technology est allé en Chine et s'est lancé dans une guerre des prix sans lendemain, si l'on en croit la thèse traditionn­elle des dirigeants de Lectra. Au point que l'on pourrait presque se demander si, à l'aune de cette impasse stratégiqu­e, le groupe français n'est finalement pas en train de racheter son concurrent américain au prix fort... Spéculatio­n qui n'intègre pas le paramètre du Covid-19.

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