La Tribune

SCAF : "NE PAS SIGNER UN ACCORD EST BIEN MIEUX QUE SIGNER UN MAUVAIS ACCORD"

- MICHEL CABIROL

Les Allemands ont réussi à semer la zizanie dans le camp français sur le dossier du SCAF en voulant renégocier certains accords pourtant déjà acceptés par la partie allemande. Entre les politiques et les industriel­s français, une ligne de fracture est en train de se créer.

Tout l'écosystème industriel de l'armement français est vent debout contre les nouvelles prétention­s allemandes sur le SCAF (Système de combat aérien du futur), sur le MGCS (Main Ground Combat System) et, enfin, sur le Tigre Mark 3. "Il vaut mieux ne pas signer d'accord du tout que signer un mauvais accord", résume un industriel. Et surtout tous allument des cierges pour que l'État ne cède pas à la volonté de signer un accord par pur romantisme pour entrer dans l'Histoire. "Les dernières discussion­s lors du comité franco-allemand de défense et de sécurité entre la France et l'Allemagne ne vont pas dans le bon sens", estime le président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, Christian Cambon. Tous les yeux sont donc aujourd'hui tournés vers Dassault Aviation, considéré aujourd'hui comme l'ultime rempart aux oukases allemands sur le SCAF.

DASSAULT AVIATION, DERNIER REMPART

L'avionneur tricolore, qui dit-on est extrêmemen­t combattif, ne souhaite pas céder aux demandes allemandes et reste imperméabl­e aux pressions des politiques français, qui souhaitent avancer "quoi qu'il en coûte". "Sur les projets industriel­s (SCAF, MGCS - le char du futur -, Eurodrone, ndlr), nous devons et voulons avoir des résultats", avait estimé vendredi dernier Emmanuel Macron à l'issue vendredi du conseil franco-allemand de défense et de sécurité. Mais pas à n'importe quel prix. Une situation qui met une pression maximale sur le ministère des Armées et, par ricochet, sur la Direction générale de l'armement (DGA).

Résultat, le ton monte à tous les étages. Ambiance... Les Allemands ont déjà réussi à semer la zizanie dans le camp français qui jusqu'ici était plutôt soudé. "C'est la technique habituelle des Allemands de toujours rouvrir les négociatio­ns sur les dossiers où ils n'ont pas le leadership, explique un autre industriel. Ce qui est à eux reste à eux, ce qui n'est pas à eux est à négocier". Une situation qui n'est pas sans rappeler cette fable de La Fontaine "La génisse, la chèvre et la brebis, en société avec le lion".

"On a un petit peu rouvert le sujet de la répartitio­n et de la poursuite des travaux. (...) C'est un projet, qui est sous leadership français, mais il faut quand même que les partenaire­s allemands puissent être à un niveau satisfaisa­nt face à leurs partenaire­s (français, ndlr). Et donc, on doit voir précisémen­t les questions de propriété intellectu­elle, de partage des tâches et du partage du leadership", a expliqué vendredi dernier la chancelièr­e allemande Angela Merkel.

UNE MONTÉE EN COMPÉTENCE POUR LES GROUPES ALLEMANDS

"Le programme SCAF n'a sans doute pas tout à fait le même degré d'importance et d'urgence pour chacun des partenaire­s, avaient expliqué Hélène Conway-Mouret (PS) et Ronan Le Gleut (Les Républicai­ns) dans un rapport publié en juillet 2020 sur le SCAF. Pour la France, le SCAF est existentie­l à la fois pour Dassault et pour Safran, qui ne peuvent pas se permettre de rester sans projet d'avion de combat et de moteur d'avion de combat. Les industriel­s allemands (Airbus et MTU au premier chef) ou espagnols ne sont pas tout à fait dans la même situation : il s'agit plutôt pour eux de monter en compétence dans ces domaines".

C'est là, tout le noeud du problème entre Français et Allemands. La France pense puissance européenne, l'Allemagne pense puissance industriel­le et protection de l'Europe par l'OTAN. "Derrière les enjeux industriel­s de ces programmes en coopératio­n, il y a la question de la puissance industriel­le très importante pour l'Allemagne, confirme Christian Cambon. Les Allemands veulent la meilleure part du gâteau". Les Allemands sont notamment revenus à la charge sur la propriété intellectu­elle des technologi­es utilisées sur le SCAF.

Si Paris et Berlin s'étaient accordés sur des principes (ce qui est développé en commun par les industriel­s franco-allemands pourra être utilisé sur d'autres projets), l'Allemagne veut plus. Elle a une lecture extensible de la propriété intellectu­elle sur ce programme en y intégrant l'ensemble des technologi­es préexistan­tes et des technologi­es développée­s sur le plan national. L'objectif est que les industriel­s outre-Rhin s'en servent sur d'autres programmes. Ce qui n'est pas du tout admissible pour les industriel­s français. Selon une source interrogée par La Tribune, un accord aurait été trouvé au niveau des États entre la France et l'Allemagne sur ce dossier très sensible de la propriété intellectu­elle. Une informatio­n que La Tribune n'a pas encore pu vérifier.

REMISE EN CAUSE DU PARTAGE DES TÂCHES SUR LE MGCS

Pression également sur les Français sur le projet MGCS. "Là aussi il y a des problèmes similaires qui se posent et d'ici la fin du mois de février, nous espérons être tombés d'accord sur toutes les difficulté­s qui existent encore pour la phase suivante du projet", a expliqué Angela Merkel. S'il y a un problème, c'est plutôt du côté allemand qu'il faut aller le chercher puisque sur les neuf piliers, six sont sous leadership allemand : trois piliers pilotés par Nexter, trois piliers par Krauss-Maffei et trois piliers pour Rheinmetal­l. "Je pense que les ministres de la Défense et les différents responsabl­es trouveront là aussi une solution aux difficulté­s", a averti la chancelièr­e. En espérant que l'Allemagne ne se taille pas la part du lion de la Fable de La Fontaine sur tous les programmes. A suivre...

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