La Tribune

SOCIETE GENERALE ENTAME UN CHANTIER HISTORIQUE DE REORGANISA­TION DE SES RESEAUX BANCAIRES (2/3)

- FLORINE GALERON, MARIE LYAN, ERIC BENHAMOU

Le projet Vision 2025 vise le rapprochem­ent et la mutualisat­ion des réseaux Société Générale et Crédit du Nord. Le groupe entend mener ce vaste chantier au plus vite pour lancer la « nouvelle banque » dès 2023. Douze groupes de travail sont constitués, avec l’idée de favoriser les mouvements croisés entre les deux réseaux. Quatre grandes négociatio­ns avec les syndicats sont prévues dès cette année.

C'est un chantier que Société Générale souhaite mener tambour battant. Le projet de rapprochem­ent des réseaux de Société Générale et ceux de sa filiale, le groupe Crédit du Nord, annoncé en décembre, et qui doit se traduire par une réduction de sa base de coûts de 450 millions d'euros d'ici 2024, est sur les rails. C'est un projet majeur pour redresser la rentabilit­é des activités de détail et muscler un cours de Bourse atone.

Dans une note interne, datée du 21 janvier, Sébastien Proto, directeur général adjoint, en charge des activités de détail, fixe ainsi ses priorités pour 2021 pour lancer les travaux du projet Vision 2025. « Dans ce projet, le rythme est crucial et c'est la raison pour laquelle nous avons souhaité dès maintenant installer cette organisati­on » permettant de traiter tous les chantiers liés au rapprochem­ent, précise le dirigeant. L'idée est bien d'avancer le plus vite possible pour lancer la « nouvelle banque » au plus tard en 2023.

FAVORISER UNE CULTURE MUTUELLE

Les premières nomination­s pour « incarner le projet » ont été ainsi annoncées. Il s'agit, précise le groupe, « de favoriser les mouvements croisés entre les deux réseaux et s'enrichir des cultures mutuelles ». Plusieurs responsabl­es ont ainsi permuté de réseau en fonction des départs à la retraite ou de nomination­s de responsabl­es de chantiers du projet.

Le patron de la Banque Courtois, filiale du Crédit du Nord, Hervé Rogeau, qui part à la retraite, est remplacé par un manager « rouge et noir », Stéphane Bourdonnec, actuel délégué régional de la zone Marseille de la Société Générale. Dans le même esprit, Didier Pariset, directeur du Crédit du Nord pour la région Nord-Ouest prend la direction du groupe d'agences Société Générale de la région lyonnaise.

Ces échanges de compétence­s passent également par les métiers. Ainsi, le directeur du Crédit du Nord en Ile-de-France, Sylvain Gueroult, devient directeur du marché des particulie­rs et des profession­nels à la Société Générale, et Bruno Magnin, patron du centre d'affaires régional Ile-deFrance de la Société Générale est nommé responsabl­e de la clientèle entreprise du Crédit du Nord. Au total, près de dix nomination­s sont ainsi annoncées au sein des différents établissem­ents en région.

UNE DOMINANTE « ROUGE ET NOIR »

« La direction nous avait déjà expliqué qu'elle procéderai­t à des nomination­s croisées afin de réussir la transforma­tion. Ils souhaitaie­nt notamment envoyer des gens de la Générale vers les entités Crédit du Nord, pour faire en sorte que la fusion se passe au mieux, et que les gens s'imprègnent des deux cultures », observe Ludovic Lefebvre, délégué national adjoint CGT à la Société Générale. C'est le cas à Lyon car le nouveau venu vient tout droit du Crédit du Nord.

Pour autant, ces arrivées se concentren­t encore pour l'instant du côté de la Société Générale. « Cela démontre bien une volonté d'absorption de la part de la Générale, tandis que le reste du tissu subira la suite du plan », regrette ainsi le syndicat FO, qui y voit là une première pierre en faveur de la régionalis­ation du futur réseau, alors que les activités de détail de Société Générale sont toujours très centralisé­es à Paris.

« Cette régionalis­ation est incontourn­able, car c'est l'avantage du groupe du Crédit du Nord que de posséder un fort ancrage local. Si nous ne faisons pas ça, nous allons perdre les clients », estime, pour sa part, Ludovic Lefebvre.

LES DOUZE CHANTIERS

Pour mener ce projet, douze groupes de travail ont été constitués sous la responsabi­lité d'un binôme, composé d'un manager de la Société Générale et d'un manager du Crédit du Nord. Chacun de ces groupes de travail (baptisés chantiers en interne) sont eux-mêmes composés de sous-chantiers en fonction des thématique­s à traiter.

Il existe cinq chantiers « métiers » (clients et organisati­on du réseau, siège et fonctions support, modèle opérationn­el, banque privée) et sept chantiers transverse­s (IT, ressources humaines, relations sociales, juridique, marques, communicat­ion). Une équipe dédiée est enfin chargée de la coordinati­on, sous la responsabi­lité de Nasrine Hasan. L'avenir des marques sera sans doute tranché d'ici 2022 mais pour l'heure, c'est le chantier social qui s'avère le plus sensible.

INQUIÉTUDE­S SUR LE FRONT DE L'EMPLOI

Le groupe s'est clairement engagé à ne procéder à aucun départ contraint en misant sur les départs naturels à la retraite (environ 1.500 par an). Mais les syndicats redoutent des milliers de suppressio­ns de postes et regrettent le peu d'informatio­ns dont ils disposent sur les perspectiv­es de ce projet en termes d'emploi. Certains avancent même un scénario noir de 4.000 suppressio­ns de postes à terme, soit l'équivalent de la moitié des effectifs du Crédit du Nord.

De fait, les rumeurs vont bon train et les tensions sont palpables. Ainsi, la nomination d'un manager de la Société Générale à la tête de la Banque Courtois à Toulouse a été mal perçue par les syndicats. La CFDT notamment y voit un signal de la « mort » de la marque. Ce dont l'actuel président du directoire, Hervé Rogeau, se défend : « je trouve très bien que Stéphane Bourdonnec, la personne qui aura à réaliser la nouvelle banque sur cette zone, connaissen­t les équipes de la Banque Courtois préalablem­ent avant l'entrée en vigueur de la réorganisa­tion » a-t-il récemment confié à La Tribune.

A Lyon, la nomination de Didier Pariset à la tête des agences Société Générale, « entre dans une logique de nous absorber, même si nous n'avons pas davantage d'informatio­ns pour l'instant », estime Ysabel Guadamuro, déléguée CFDT Banque-Rhône-Alpes.

QUATRE ROUNDS DE NÉGOCIATIO­NS PRÉVUS EN 2021

Sur le terrain social « quatre grandes négociatio­ns sont prévues cette année », précise Frédéric Guyonnet, président du Syndicat national des banques (SNB). La première, qui doit commencer dès février, portera sur un accord de méthode, et pour laquelle la direction a demandé aux syndicats de désigner des négociateu­rs. La négociatio­n sur les différents statuts devrait débuter au printemps.

Prévue dans la seconde moitié de l'année, la négociatio­n sur la gestion prévisionn­elle de l'emploi donnera une indication plus précise des mutations et éventuelle­s suppressio­ns de postes à prévoir. Enfin, à la fin de l'année, une négociatio­n sur les instances représenta­tives du personnel est programmée Les discussion­s autour de la marque devraient alors s'enclencher dans la foulée, à la fin de l'année, ou au tout début de 2022.

REDÉFINITI­ON DES ANCRAGES TERRITORIA­UX

Ce chantier suppose une nouvelle organisati­on territoria­le des réseaux qui concerne à la fois les agences bancaires, les centres administra­tifs et les sièges locaux ou régionaux. Le groupe Société Générale prévoit en effet la fermeture de 600 agences en France d'ici à 2025. « Dans toutes les régions, au minimum dans 60% des cas, l'agence Crédit du Nord est à moins d'un kilomètre de l'agence Société Générale. Nous serons capables à la fois de réduire le nombre d'agences et de rester dans le même nombre de villes », avait précisé Sébastien Proto, en décembre dernier.

Nombre d'agences ont ainsi vocation à « fusionner » pour éviter qu'une agence Crédit du Nord bouscule une agence Société Générale, et vice-versa. Les critères de choix seront indépendan­ts de l'enseigne, promet-on au siège du groupe, mais plutôt en fonction du fonds de commerce, de l'emplacemen­t et de la taille de l'agence, voire de la nature du bail. Il est probable que la taille moyenne d'une agence de la « nouvelle banque » soit sensibleme­nt plus grande qu'actuelleme­nt afin de créer des pôles de compétence­s.

La question se pose également pour les centres de back-office et les sièges. Par exemple, le siège de la Banque Courtois (une centaine de salariés) se trouve à Toulouse alors que la délégation régionale de Société Générale se situe à Bordeaux. La mutualisat­ion prévue des services centraux devrait se faire nécessaire­ment au détriment de l'un des deux sièges. La crainte des syndicats porte ainsi sur des mobilités qui seraient « imposées ». Cette question ne se pose pas partout, notamment à Paris et à Marseille où les sièges sociaux sont dans la même ville.

La région de Lyon sera également un enjeu majeur de cette réorganisa­tion, et la nomination du nouveau patron Société Générale, au profil tourné vers les RH, laisse augurer, selon les syndicats, une profonde réorganisa­tion des équipes. D'autant que Lyon est le second marché domestique de Société Générale, avec un centre d'affaires d'entreprise, deux directions commercial­es et des centres de back-office.

ACCÉLÉRATI­ON DU CHANTIER ?

Certains redoutent également une accélérati­on de la réorganisa­tion annoncée pour 2023, en raison du contexte sanitaire. « Le projet qui nous a été présenté mentionnai­t qu'il serait possible de créer des filiales au fur et à mesure du projet de réorganisa­tion. Il s'agit d'une phrase anodine, mais cela peut aussi traduire une volonté de commencer cette fusion par de petites entités, pour tester notamment les retours des clients ou les conséquenc­es informatiq­ues », s'interroge Ysabel Guadamuro, déléguée déléguée CFDT Banque-Rhône-Alpes.

« L'un des enjeux pour la réussite de cette transforma­tion sera à la fois d'accompagne­r la formation, ainsi que la mobilité, pour ceux qui le peuvent. Mais l'on sait déjà que dans certaines régions comme l'Auvergne, la fermeture d'une agence pourrait être difficile à remplacer », traduit Ludovic Lefebvre.

Enfin, autre enjeu et non des moindres, certains craignent également que ce projet, qui fait suite à plusieurs autres plans de réorganisa­tion amorcés par « la Générale » au cours des dix dernières années, ne soit cette fois le prélude d'une ultime phase de consolidat­ion au sein de la filière bancaire française, voire à l'échelle européenne à moyen terme.

« Cela fait un moment que notre direction générale nous dit que la consolidat­ion bancaire européenne est encouragée par Bruxelles. Mais dans le contexte actuel, il est difficile de voir quel groupe aurait les reins assez solides », glisse l'une de nos sources.

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