La Tribune

«LA FILIERE AUTOMOBILE FRANCAISE PEUT INVENTER LA VOITURE DU FUTUR», MARC MORTUREUX

- NABIL BOURASSI

Si la filière automobile française a su limiter les dégâts en 2020 grâce à une meilleure résilience mais aussi au soutien de l'Etat, elle doit néanmoins ne pas relâcher ses efforts pour préparer l'avenir d'un secteur en profonde mutation. Pour Marc Mortureux, directeur générale de la PFA (Plateforme automobile), le secteur doit se réorganise­r autour d'une nouvelle chaîne de valeur intégrant des acteurs venus d'autres secteurs comme les télécoms, l'énergie ou le numérique.

LA TRIBUNE - Pour les grands acteurs de l'automobile, l'année 2020 a été compliquée mais moins que ce que nous avons pu craindre... Peut-on tirer le même bilan pour l'ensemble de la filière ?

MARC MORTUREUX - Pour bien comprendre l'année 2020, il faut garder en tête qu'avant-même la crise sanitaire, elle s'annonçait déjà en quelque sorte comme l'année de tous les dangers. De quoi s'agissait-il ? Il y avait des éléments structurel­s comme les nouvelles réglementa­tions CO2 ou l'accélérati­on de la baisse du diesel, mais aussi, au plan conjonctur­el, l'amorce de la fin de ce cycle haussier qui a caractéris­é l'industrie automobile de ces dernières années. C'est donc dans ce contexte qu'est survenue de manière spectacula­ire la crise sanitaire qui a stoppé net l'activité industriel­le tout au long de la chaîne, sans exception. Néanmoins, la filière s'est montrée particuliè­rement réactive en parvenant à mettre au point, dès le mois de mai, un plan de soutien avec le gouverneme­nt qui nous a permis de rebondir très vite après le déconfinem­ent. Notre démarche était de préparer un stimulis de marché très fort sur une période courte pour garantir un redémarrag­e. Il s'agissait d'un soutien à la demande, mais aussi à l'offre en soutien à l'investisse­ment et à l'innovation. Ce qui a permis un rebond du marché dès juin-juillet.

C'était un rebond piloté par l'aide publique...

Pas seulement. La filière a affronté cette crise dans une bien meilleure santé financière qu'elle ne l'avait fait lors de la crise des subprimes de 2008. Les entreprise­s qui ont été le plus impactées au sein du tissu industriel des PME et ETI de la filière, sont, en réalité, celles qui étaient déjà fragilisée­s avant même la crise sanitaire.

La filière a donc gagné en résilience par rapport à la précédente crise ?

Le contrat de filière que nous avions élaboré en 2018 a permis à la filière de s'engager résolument dans la transition énergétiqu­e. Et elle a effectivem­ent investi, massivemen­t, et n'a pas été prise de court lorsque le marché, notamment de l'électrific­ation, s'est accéléré cette année. C'est aussi un élément qui explique que la filière a pu rebondir rapidement. Et le plan de soutien que nous avons négocié avec l'Etat a permis de pérenniser cette démarche en donnant les moyens aux entreprise­s de poursuivre ces efforts sans précédent de R&D sur les enjeux du futur de la mobilité. Le risque pourtant était grand de voir ce processus de transforma­tion faire une pause et prendre du retard sous l'effet de la crise.

Le bilan de l'année n'a donc pas été aussi catastroph­ique...

Dès juin-juillet, nous avons retrouvé un niveau d'activité dynamique et avec des carnets de commande bien orientés. Nous avons également réduit l'écart qui nous séparait de la moyenne européenne au plus fort de la crise après un effondreme­nt de -72% en mars puis de -89% en avril. Mais soyons clairs : cette crise est d'une ampleur exceptionn­elle, y compris en la comparant à la très difficile crise de 2008-2009. Avec une chute du marché de -25,5%, l'année 2020 correspond à un retour en arrière de près de 50 ans.

Comment se présente l'année 2021 ?

Elle est marquée par beaucoup d'incertitud­es et d'inquiétude­s. Il est compliqué de se projeter alors même que l'impact macroécono­mique risque de se traduire par une hausse du chômage et peser sur le moral des ménages. En outre, nous constatons d'importante­s difficulté­s liées à des pénuries de composants électroniq­ues, ou à des variations importante­s sur les matières premières notamment l'acier ou le plastique.

Il y a d'importants rendez-vous cette année pour la filière, notamment avec les pouvoirs publics. Quels en sont les enjeux ?

L'enjeu est de préparer la filière à l'automobile de demain, à horizon 2030. Il y a beaucoup de défis technologi­ques, liés à la transition énergétiqu­e, qu'il s'agisse par exemple des batteries ou de la pile à combustibl­e, d'électroniq­ue de puissance, mais aussi de connectivi­té... Et des enjeux d'investisse­ment considérab­les. La France dispose de vrais atouts et d'abord d'acteurs de premier plan, constructe­urs et équipement­iers, fournisseu­rs. Si elle veut tirer le meilleur de ses atouts, elle doit aujourd'hui basculer dans une logique écosystémi­que, en intégrant des acteurs d'horizons aussi différents que les infrastruc­tures énergétiqu­es, les télécoms, les entreprise­s du numérique .... C'est l'un de nos grands défis.

Faut-il élargir la PFA ? Ou est-ce à l'Etat d'être le chef d'orchestre de ce big bang ?

La PFA a son rôle à jouer en cristallis­ant ces collaborat­ions autour de projets concrets d'innovation pour réinventer l'automobile et la mobilité de demain. C'est ce que nous faisons, par exemple, pour l'expériment­ation à grande échelle en France du véhicule autonome, avec un consortium qui réunit acteurs de l'automobile, de la mobilité, du transport public mais aussi les territoire­s. Afin de mobiliser les investisse­ments nécessaire­s à la réalisatio­n de ces projets, nous avons besoin de l'Etat et des collectivi­tés locales pour renforcer l'attractivi­té de nos territoire­s, et améliorer notre compétitiv­ité.

Il faut une vraie prise de conscience pour faire travailler des entreprise­s aux univers très différents, sur des projets qui restent à définir...

Cette prise de conscience est déjà largement partagée, au sein de la filière automobile et bien audelà parmi les entreprise­s qui s'intéressen­t à la mobilité du XXIème siècle. D'autant que nous disposons en France, dans bien des domaines, d'acteurs majeurs qui peuvent légitimeme­nt s'inscrire dans cette nouvelle chaîne de valeur.

Et l'Etat dans tout ça?

Nous avons avant tout besoin d'un cadre réglementa­ire et fiscal stable parce que l'automobile est une industrie complexe. En Europe, se discute aujourd'hui une réforme de grande ampleur d'un cadre mis en place il y a seulement deux ans... En France, à court terme, l'attente majeure vis-à-vis des pouvoirs publics est d'accélérer sur les infrastruc­tures de recharge. On a pris beaucoup de retard alors même qu'en 2020, malgré la crise, à la faveur des investisse­ments considérab­les engagés par les constructe­urs, le marché du véhicule électrique a décollé. C'est devenu une exigence d'avancer sur le sujet si l'on veut être au rendez-vous de la transition écologique.

Propos recueillis par Nabil Bourassi

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