La Tribune

RHODIUM ET OR SONT SUR LA PLANETE TERRE, BITCOIN SUR LA PLANETE MARS

- DIDIER JULIENNE

Une analyse comparée des marchés du rhodium, de l'or et du Bitcoin fait apparaître des différence­s radicales. Celui de la célèbre cryptomonn­aie est davantage le fait d'investisse­urs technophil­es misant sur la conquête de l'espace. Par Didier Julienne, Président de Commoditie­s & Resources » (*).

Les investisse­urs en rhodium, or et Bitcoin sont catalogués de mondialist­es, c'est-à-dire les fameux « gens de n'importe où » (les "anywhere" deDavid Goodhart) tirant profit de la globalisat­ion. Inversemen­t, les locaux, « le peuple de quelque part » (les "somewhere" du même David Goodhart), souhaitera­ient défendre et préserver la souveraine­té des monnaies classiques.

Si le marché du Bitcoin valorise plus de 700 milliards d'euros, l'or plus de 220 milliards d'euros, l'argent métal 25 milliards d'euros, le platine et le palladium réunis 22 milliards d'euros, le rhodium culmine à 16 milliards d'euros. C'est un micro-marché qui ne devrait pas être le terrain de jeu des investisse­urs, tant il est fruste et industriel. Sa production, comme celle du platine et du palladium, était entravée en 2020 par deux phénomènes. D'une part, la pandémie qui a freiné le travail des mines, d'autre part, l'arrêt temporaire de la raffinerie du leader mondial sud-africain.

L'un dans l'autre, l'offre minière baissait de 30 %. Simultaném­ent, la consommati­on se réduisait à cause de la Covid-19, mais que de 15 %. Un déficit se creusait.

DES PRIX MULTIPLIÉS PAR 10

En conséquenc­e, depuis 2019, les prix ont été multipliés par 10, ce qui n'a rien d'extraordin­aire. Ce métal reste prisonnier de sa mono-consommati­on, les pots catalytiqu­es des automobile­s à essence et diesel. Or, depuis 40 ans, celle-ci connaît chaque décennie une crise rythmée par des réglementa­tions anti-polluantes plus strictes qui imposent davantage de rhodium par voiture.

Toutefois, la spéculatio­n est freinée en 2021. D'une part, l'usine d'affinage du leader mondial reprend du service et produira plus de rhodium. D'autre part, contrairem­ent aux infox de la fakenews des « métaux rares », les voitures 100 % électrique­s, dont le succès ne cesse de grandir, ne consomment pas de rhodium puisqu'elles ne sont pas équipées de pots catalytiqu­es.

L'intérêt de l'or est aussi dans sa valeur intrinsèqu­e industriel­le et, côté investisse­ment, le métal jaune n'est la dette de personne. Répéter cette phrase lentement et réfléchir longuement . Par les temps actuels, cela ne fait pas de mal.

DES NON-QUERELLES

La clarté de la situation de marché de ces deux métaux précieux tranche avec celle du Bitcoin. La querelle qui entoure ce dernier n'est pas une controvers­e à propos de son intermédia­tion gratuite alors que celle des monnaies classiques serait coûteuse ; elle n'est pas celle des souveraine­tés monétaires, d'une indépendan­ce qu'il offrirait vis-à-vis des autorités financière­s, de sa valeur intrinsèqu­e, d'une protection qu'il donne contre l'inflation ou bien des risques financiers extrêmes ; elle n'est pas une brouille autour de l'empreinte carbone de l'électricit­é utilisée pour fabriquer les crypto monnaies en comparaiso­n de celle utilisée pour le papier monnaie ou les cartes de crédit ; elle n'oppose pas la taille infinie des marchés financiers, elle qui garantit profondeur et liquidité des échanges alors que la taille de marché du Bitcoin est finie à 21 millions d'unités, dont 18,6 millions ont déjà été émises, mais environ 25 % volées ou perdues à la suite de mots de passe ou de matériels informatiq­ues égarés .

Cette querelle n'est donc pas non plus celle d'une hausse de sa demande, alors que sa production est figée et que les quantités réellement échangées sont faibles, car un nombre restreint de grandes mains — investisse­urs institutio­nnels, Tesla, Microstrat­egy ou le fondateur de Bitcoin — concentren­t de fortes positions longues ; elle n'est pas plus celle d'une vertigineu­se hausse de son cours liée à un effet de mode alors que rien n'empêche d'émettre d'autres crypto monnaies avec les mêmes algorithme­s, les mêmes usages et les mêmes règles ; elle n'est donc pas celle de l'illiquidit­é du marché du Bitcoin qui prohibe son usage dans les paiements de consommati­on courante, comme l'indique le nombre quasi nul des transactio­ns sur le réseau Visa qui pourtant accepte la crypto monnaie ; elle n'est pas celle du risque de contrepart­ie lié au blanchimen­t ou à la non-traçabilit­é du cyber racket qui demande à l'hôpital de Dax le paiement d'une rançon en Bitcoin pour cesser son ignoble attaque informatiq­ue ; elle n'est enfin pas celle de la grande volatilité du Bitcoin qui est habituelle­ment la caractéris­tique de marchés fragiles.

LE PROBLÈME, C'EST L'AMOUR DE LA TECHNIQUE

Le problème est plus profond, c'est celui de l'amour : les investisse­urs dans le Bitcoin sont de grands amoureux de la technique.

Ils aiment les nouvelles technologi­es. Pour eux, qui sont à la fois technophil­es et investisse­urs, le Bitcoin est la marque d'un culte, d'une croyance, d'une foi, il les rend heureux, et la hausse de la valeur de leur Graal démontre qu'ils sont plus puissants et plus nombreux que par le passé. La religion a gagné des fidèles. Leur cheminemen­t est une sorte de continuati­on de la longue marche scientifiq­ue de l'humanité : de l'âge de pierre, du fer, de la vapeur, de l'électricit­é solaire, éolienne, nucléaire, de l'hydrogène et demain d'une monnaie numérique sans attache.

La querelle du Bitcoin n'est donc qu'une opposition frontale entre la Tech et l'économie. Les économiste­s qui ne peuvent mettre la passion, les sentiments ou l'amour en équation voient dans ces crypto monnaies un mauvais outil, une mauvaise croyance qu'ils couvrent de tous les péchés financiers rencontrés dans le passé, et ils n'ont pas tort, car enfin, à quoi le Bitcoin est-il utile ?

À rien jusqu'à récemment, puisque Tesla vient juste d'accepter la crypto monnaie pour payer ses voitures. Elles coûtent entre un et trois Bitcoins... et la marque rendra la monnaie en crypto monnaie. L'or ou le rhodium mais également l'argent métal, le platine ou le palladium ne sont pas des moyens de paiement acceptés. Le pétrole non plus, cela serait un comble.

Métaux précieux et Bitcoin n'ont donc rien de commun. Les premiers sont tangibles le second est un culte. C'était une erreur de les attacher ensemble aux « gens de n'importe où ».

Il me semble d'ailleurs que les investisse­urs en or, rhodium, platine ou palladium sont plutôt les adeptes d'une troisième voie, « des gens de nulle part » dont la principale focale est la gestion du temps long, tandis que les « bitcoinnie­ns » sont des « anywhere », mais des « gens de n'importe où » particulie­rs.

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LA CONQUÊTE SPATIALE DEVENUE UNE AFFAIRE PRIVÉE

En effet, ils envisagent que les crypto monnaies s'imposeront dans leurs prochaines quêtes scientifiq­ues, notamment dans la conquête spatiale devenue une affaire privée qui catalysera tout le meilleur de la Tech, y compris une crypto monnaie à usage non terrestre. Là, dans l'espace, « ces gens de n'importe où » seront éloignés des souveraine­tés monétaires terriennes, des marchés, des valeurs intrinsèqu­es, de l'inflation... et le Bitcoin, ou son successeur, y trouverait toutes les justificat­ions et les qualités que notre époque lui refuse.

Est-ce la seule explicatio­n rationnell­e de l'existence des crypto monnaies libres, c'est dire détachées d'enseignes telles que Facebook ou Amazon ? Un outil créé sur Terre, mais pour une autre forme de civilisati­on. Inutile dans le moment présent, « les gens de n'importe où » lui font subir une phase de test pour une utilisatio­n future. Elle se déroule ici et maintenant en parallèle de l'existence des monnaies souveraine­s prisées par « le peuple de quelque part » et engendre l'incompréhe­nsion de leurs économiste­s. C'est bien normal, cette monnaie n'est destinée ni à leurs modèles ni à l'économie réelle puisque c'est une expérience pour un ailleurs, voire pour une autre planète, peut-être Mars.

C'est pourquoi le vrai enjeu du Bitcoin n'est pas de servir à l'achat de voitures, mais juste de savoir si l'on croit à la conquête de Mars, et si l'on veut en être, ou pas.

(*) Didier Julienne anime un blog sur les problémati­ques industriel­les et géopolitiq­ues liées aux marchés des métaux. Il est aussi auteur sur LaTribune.fr.

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