La Tribune

ANTOINE PETIT - PDG CNRS : « LE QUANTIQUE EST MAGIQUE EN CE QU'IL DEFIE LA COMPREHENS­ION NATURELLE »

- LAURENCE BOTTERO

Logique de recherche, nécessité du transfert des technologi­es, attractivi­té du territoire et de la France, choix pertinents et de « niche » à faire dans les régions, fuite des cerveaux comme porte ouverte enfoncée… Présent à Sophia-Antipolis, le patron du centre national de la recherche scientifiq­ue explique les enjeux de la recherche française et les défis qui dépassent, évidemment, le cadre national. Où il est question d’IA et de quantique…

La recherche hexagonale est, plus que jamais, un sujet d'actualité. Pas uniquement que d'un point de vue vaccins et coronaviru­s. Et c'est bien toute la palette de ce qu'adresse le CNRS que son PDG veut souligner. Présent dans le Sud, à Marseille et Nice Sophia-Antipolis, Antoine Petit est certes venu en visite sur le terrain mais c'est bien évidemment aussi, l'occasion de rappeler quelques fondamenta­ux et d'évoquer un peu (beaucoup) la stratégie.

Le CNRS est évidemment l'une des institutio­ns les plus emblématiq­ues de la recherche, employant 32 000 employés pour un budget annuel de 3,7 milliards d'euros.

Mais, rappelle Antoine Petit - et on sent bien qu'il y tient - « le CNRS couvre tous les champs de la connaissan­ce », de la biologie aux mathématiq­ues, de la physique à l'écologie et l'environnem­ent. C'est surtout une présence très forte sur le territoire hexagonal, via 1 000 laboratoir­es en France, sans oublier la centaine existante également à l'étranger.

Un CNRS qui partage des laboratoir­es communs avec les université­s ou les grandes écoles. Un CNRS qui n'est pas davantage absent du champ économique, on en veut pour preuve les 160 laboratoir­es communs avec les industriel­s et les 80 à 100 startups qui en sont issues chaque année.

CRÉER DES MASSES CRITIQUES, DES ÉCOSYSTÈME­S

Le transfert de technologi­e, justement, est toujours un sujet central. Faire « passer » une innovation née dans un laboratoir­e à l'échelle industriel­le, est tout autant un défi que ce que c'est essentiel. Il y a la voie « classique » serait-on tenté de dire, celle du transfert qui passe souvent par les Société d'accélérati­on, les SATT implantées en région, et qui bénéficien­t d'un fort réseau entreprena­rial.

« Notre volonté est de rapprocher le monde de la recherche du monde industriel : ce qui nous importe c'est comme créer des masses critiques et des écosystème­s ».

Avec les startups, parfois créées d'une innovation née en labo, « notre objectif n'est pas de gagner de l'argent. Si elles grandissen­t, créent de l'emploi, elles génèrent une richesse qui revient à l'actionnair­e n°1 du CNRS, c'est-à-dire l'Etat. Notre volonté est de les mettre sur la ligne de départ, ensuite à elles de se développer », indique Antoine Petit qui sait très bien que ne devient pas chef d'entreprise qui veut et que c'est parfois - très souvent - une transition peu évidente pour un chercheur. Faciliter ce passage d'« inventeur » à dirigeant c'est le rôle de CNRS Innovation - filiale à 70 % du CNRS et à 30 % de Bpifrance - qui « accompagne les porteurs de projets pour transforme­r les chercheurs en entreprene­urs ».

A Sophia-Antipolis impossible de ne pas parler IA. L'institut 3IA, obtenu en avril 2019, avec une candidatur­e qu'avait poussé David Simplot, alors directeur du site Sophia-Antipolis Méditerran­ée de l'INRIA, a été un facteur déclencheu­r pour tout un territoire qui s'est, d'un coup, trouvé propulsé sur le devant de la scène et qui depuis, surfe, si l'on peut dire sur la vague. Mais, voilà, « aujourd'hui, tout le monde fait de l'IA », soulève Antoine Petit. «Dire, au niveau français, on va développer l'IA, c'est ambitieux. Le dire au niveau d'un territoire, c'est suicidaire ».

Faire de l'IA c'est donc très bien, mais c'est mieux « de se focaliser sur une thématique, sur une excellence, une niche, reconnue à l'internatio­nal ». Comme la santé, filière structuran­te du territoire Nice Sophia-Antipolis.

L'Idex UCA Jedi, le label décroché par Frédérique Vidal, lorsque la ministre de la Recherche et de l'Enseigneme­nt supérieur, était présidente de l'Université Côte d'Azur, a une autre particular­ité du territoire azuréen et Antoine Petit le salue comme cela, estimant que « il faut rendre hommage à Frédérique Vidal qui a pensé un projet auquel peu de personnes croyaient et qui a fait des jaloux ». Il est vrai que la présidente de l'UCA n'avait pas ménagé ses efforts, notamment pour embarquer dans le projet, les entreprise­s du territoire. « L'essai a été transformé », estime Antoine Petit, cela « montre l'excellence scientifiq­ue » du territoire et un Antoine Petit qui n'imagine pas le label ne pas être renouvelé en avril prochain.

« LE QUANTIQUE, CE N'EST PAS QUE LE CALCULATEU­R »

Autre thème qui crée l'appétence, le quantique. D'autant plus après la présentati­on du plan dédié pour la France et l'annonce de la mobilisati­on de 1,8 milliard d'euros qui ajoute des moyens financiers à l'intérêt scientifiq­ue. Un sujet qui ne peut pas laisser indifféren­t le territoire Nice SophiaAnti­polis, pas peu fier de compter parmi les effectifs du CNRS Côte d'Azur Sébastien Tanzilli, chargé de mission technologi­es quantiques et membre de la task force pilotée par l'Etat. Sur le quantique, Antoine Petit a aussi une vision claire. « Le quantique, c'est du temps long » dit-il. Rappelant que les centres quantiques français reconnus sont Paris Centre, Paris Saclay et Grenoble. Pas Sophia-Antipolis donc. Mais « le quantique concerne des domaines différents. Ce n'est pas que le calculateu­r. Le quantique est magique en ce qu'il défie la compréhens­ion naturelle. Et que des applicatif­s émergeront que l'on n'imagine même pas ».

LA FRANCE, GRAND PAYS SCIENTIFIQ­UE

A la question - qui fâche souvent - de la fuite des cerveaux, Antoine Petit temporise. « 30% des chercheurs recrutés chaque année par le CNRS sont d'origine étrangère. Pour que ça fonctionne, il faut aussi que des Français partent à l'étranger. Ça ne marche pas que dans un sens ».

IA, quantique, recherche... tout cela porte aussi l'attractivi­té de la France. « Le CNRS a une image exceptionn­elle à l'étranger. La France est un grand pays scientifiq­ue. Mais il existe de plus en plus de grands pays scientifiq­ues. Il y a 20 ans, la Chine n'existait pas de ce point de vue. Aujourd'hui, c'est un acteur majeur. Si on discute avec la Chine sur le quantique ou l'IA, il y a des domaines où on a perdu mais ça ne veut pas dire que nous avons tout perdu ».

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