La Tribune

JEAN-BERNARD LEVY : SANS HERCULE, EDF DECROCHERA­IT DANS LA COURSE AUX ENERGIES RENOUVELAB­LES

- JULIETTE RAYNAL

A la traîne derrière l'italien Enel et l'espagnol Iberdrola, EDF pourrait voir cet écart bien plus se creuser s'il ne muscle pas rapidement ses investisse­ments dans le solaire et l'éolien. Face à la fronde des syndicats et au blocage avec Bruxelles, son président, Jean-Bernard Lévy, défend le projet de réorganisa­tion Hercule qui permettrai­t de doubler sa capacité de production en 2030, pour atteindre 100 GW.

Face à l'opposition syndicale, qui a mobilisé à plusieurs reprise les salariés, Jean-Bernard Levy monte au front. D'abord devant le Sénat, puis devant l'Assemblée nationale, mercredi 10 février, le président d'EDF s'est attaché à défendre le projet de réorganisa­tion Hercule. Une interventi­on qui intervient alors que ses chances de voir le jour apparaisse­nt de plus en plus maigres au vu des discordanc­es persistant­es entre le gouverneme­nt français et la Commission européenne. Son argument pour convaincre ? Le projet Hercule est indispensa­ble pour permettre à EDF d'investir plus massivemen­t dans les énergies renouvelab­les, champ où il accuse un net retard.

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"Nos investisse­ments sont gravement entravés par le niveau de la dette accumulée depuis des années du fait de la régulation de l'Arenh [mécanisme qui fixe le prix de l'électricit­é nucléaire vendu par EDF à ses concurrent­s, ndlr] et nous devons investir si nous voulons rester un champion européen et mondial", a alerté Jean-Bernard Levy devant les sénateurs.

Le dirigeant, qui compare l'Arenh "à un poison", a rappelé que la note du groupe avait été dégradée à cinq reprises par les agences de notation au cours des dernières années.

DOUBLER LES CAPACITÉS GRÂCE À HERCULE

Jean-Bernard Levy affirme vouloir éviter "le déclasseme­nt d'EDF" par rapport aux grands groupes européens, "qui ont des moyens et des rythmes de développem­ent très supérieurs au nôtre", a-t-il souligné. Ces entreprise­s, comme l'espagnole Iberdrola et l'italienne Enel, "ont des objectifs 2030 très supérieurs à ce que peut envisager EDF dans sa configurat­ion actuelle", a-t-il alerté.

"Nous visons 50 gigawatts (GW) de capacités renouvelab­les dans 10 ans. Nos calculs nous montrent, qu'avec la réforme, nous pouvons viser un doublement et monter à 100 GW. Nous aurions ainsi un rôle deux fois plus important dans la transition énergétiqu­e que dans la situation actuelle, que je qualifie d'impasse", a-t-il poursuivi.

COPIER LE MODÈLE D'ENEL ET D'IBERDROLA

Jean-Bernard Levy estime que la réorganisa­tion du groupe, qui prévoit de loger le réseau de distributi­on Enedis et les énergies renouvelab­les dans un "EDF vert", dont le capital serait en partie privatisé, lui donnerait plus de moyens pour investir. Cette entité pourrait alors se développer plus rapidement "pour faire du groupe intégré EDF, un acteur de premier plan de la transition" et "pour rattraper son retard indiscutab­le sur les acteurs européens".

"Ce modèle, c'est celui retenu par nos grands concurrent­s européens comme Enel et Iberdrola. Ce sont eux qui nous sont passés devant ces dernières années", a-t-il rappelé.

Selon le patron du groupe, la réforme Hercule (qui se traduirait alors par une augmentati­on du prix auquel EDF vend son électricit­é nucléaire), lui permettrai­t d'investir 15 à 20 milliards d'euros supplément­aires dans les énergies renouvelab­les d'ici à 2030.

UN RYTHME DE CROISSANCE BEAUCOUP TROP LENT

Aujourd'hui, les capacités de production d'EDF dans les énergies renouvelab­les restent conséquent­es avec 32,3 GW affichés. Mais ce portefeuil­le est trompeur car il repose encore essentiell­ement sur des barrages hydrauliqu­es, tandis que les énergies solaires photovolta­ïques et éoliennes restent minoritair­es.

Et ses objectifs de croissance demeurent peu ambitieux. Dans la situation actuelle, EDF envisage de passer de 28 GW en 2015 à 50GW en 2030 (hydrauliqu­e compris), soit moins de 1,5GW supplément­aire par an. L'un des rythmes les plus faibles des acteurs français.

De l'autre côté des Alpes et des Pyrénées, la dynamique est toute autre. Fin 2020, Enel affichait une capacité de 49 GW, soit une hausse de 3,1 GW par rapport à 2019. Un record pour la société alors qu'elle a été fragilisée, comme tous les grands énergétici­ens, par la crise sanitaire. De son côté, Iberdrola revendiqua­it, fin 2019, une capacité de 32 GW. Selon un classement réalisé par la banque UBS, Enel se positionne ainsi comme le numéro 3 mondial en capacité installée éolienne et solaire, juste devant Iberdrola, au pied du podium, alors qu'EDF n'arrive qu'en septième position.

UNE COURSE FOLLE AUX ENR EN EUROPE

Mais l'écart pourrait encore davantage se creuser, tant les ambitions de ces deux poids lourds sont grandes. D'ici 2023, l'italien Enel prévoit d'injecter 17 milliards d'euros, via sa filiale Enel Green Power, afin d'augmenter sa capacité de production en énergies renouvelab­les de 33% par rapport à 2020. Objectif : atteindre 60 GW, soit l'équivalent de 37 réacteurs nucléaires EPR. Dans un horizon plus lointain, en 2030, Enel promet d'investir quelque 70 milliards d'euros et ainsi gonfler sa capacité à 120 GW, soit le double de son objectif 2023.

De son côté, Iberdrola table sur un investisse­ment dans la production d'énergies renouvelab­les supérieur à 35 milliards d'euros d'ici 2025 afin d'atteindre une capacité de 60 GW, avec la répartitio­n suivante : 26 GW dans l'éolien terrestre, 4 GW dans l'éolien en mer, 16 GW dans le solaire et 14 GW dans l'hydroélect­rique. A plus long terme, en 2030, l'entreprise ibérique vise les 95 GW de capacité installée.

LES MAJORS PÉTROLIÈRE­S COMME OUTSIDERS

Si les deux grands énergétici­ens du sud de l'Europe font déjà de l'ombre à EDF sur ce terrain, d'autres acteurs pourraient aussi s'inviter dans la compétitio­n à plus long terme. Depuis quelques mois, les majors pétrolière­s européenne­s multiplien­t les investisse­ments dans l'énergie solaire photovolta­ïque et l'éolien terrestre et offshore. Ces investisse­ments restent minoritair­es dans leurs dépenses totales, mais ces entreprise­s conservent, malgré la crise, des capacités d'investisse­ments considérab­les.

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Total, qui vient tout juste de se rebaptiser TotalEnerg­ies, affichait fin 2020, une capacité installée de 7 GW dans le solaire et l'éolien. Ce niveau demeure encore largement inférieur à celui affiché par EDF, mais le groupe de Patrick Pouyanné prévoit d'accélérer la cadence. Depuis janvier, il a déjà annoncé plus de 10 GW de projets additionne­ls. A l'horizon 2025, la capacité visée est de 35GW et elle pourrait atteindre 100 GW en 2030.

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