La Tribune

LE PAIN, UNE FILIERE EN MUTATION : HENRI DE PAZZIS, DE LA TERRE AU FOURNIL

- MAEVA GARDET-PIZZO

ENQUÊTE - Episode 3. Fondateur du grossiste bio Pronatura qu’il a dirigé pendant 27 ans, Henri de Pazzis revient en 2014 à la terre. Il y cultive des blés anciens dont les noms racontent une histoire, un terroir. Dans son moulin, il en fait des farines qu’il vend à des boulangers qualitatif­s comme le Marseillai­s Pierre Ragot, fondateur de Maison Honoré. Poète à ses heures tranquille­s, il se questionne sur l’évolution du rapport qu’entretienn­ent l’homme et la terre.

La culture de céréales est un exercice exigeant. Plus encore lorsqu'elle s'effectue selon les règles de l'agricultur­e biologique. « C'est un métier très pauvre », explique Henri de Pazzis. «On a très peu de moyens techniques. Il faut réfléchir et sentir, se rapprocher de la terre ».

L'écouter plutôt que de la dompter. Voilà ce qui séduit Henri de Pazzis lorsqu'il se lance dans la culture de blés anciens en 2014. Marchant sur les pas de quelques passionnés, il est déterminé à ne pas laisser ces variétés tomber dans l'oubli malgré un moindre rendement par rapport à leurs confrères modernes génétiquem­ent modifiés. Confrères que l'on trouve aujourd'hui dans la quasitotal­ité de nos baguettes de pain.

A Saint-Rémy de Provence, l'agriculteu­r possède 45 hectares de terres dont un bon quart est dédié au blé - le reste servant à faire des rotations. Il cultive plusieurs variétés parmi lesquelles la médiévale Touzelle de Nîmes ou le Barbu du Roussillon. « Ces blés charrient une histoire. Ils s'inscrivent dans un patrimoine gustatif ». Avec d'intéressan­tes propriétés nutritionn­elles, d'autant qu'ils sont beaucoup plus assimilabl­es par le corps en raison d'une chaîne de chromosome­s beaucoup plus restreinte que les variétés modernes.

Autre atout de ces blés : leur rusticité. « Ils résistent beaucoup mieux aux conditions climatique­s. L'an dernier, on n'a pas pu semer à temps car il a plu tout l'hiver. On a eu un petit rendement mais il est arrivé à son terme, avec de très beaux grains. Mes voisins qui cultivent du blé moderne ont eu des résultats parfois pires ».

« CE QUI M'ATTRISTE, C'EST LA SÉPARATION DES HOMMES D'AVEC LA NATURE »

Ses premiers habits d'agriculteu­r, Henri de Pazzis les enfile assez tôt, à l'âge de 22 ans. Jusque-là, le jeune Parisien se destinait plutôt à la musique. Au contact de son oncle et sa tante, artistes en Provence, il commence à s'interroger sur le rapport que l'Homme entretient à la terre. « Ce qui m'attriste et m'inquiète, c'est la séparation des hommes d'avec le monde, la nature. J'ai toujours milité en faveur de l'écologie, mais il faut aller au-delà : c'est notre humanité qui s'est perdue, notre âme », écrit-il dans un ouvrage intitulé « Murmure du Monde, au temps des séparés ». Ses réflexions le conduisent à cette conviction : « Si tu n'es pas un paysan, tu n'es pas un homme ».

« Quand on a commencé, on vendait surtout en Allemagne et aux pays du Nord qui étaient plus avancés que nous sur le bio ». Puis la crise de la vache folle fait évoluer les mentalités et le bio prend une autre ampleur, y compris en France. L'entreprise grossit. Et Henri de Pazzis a l'ambition de changer le monde, de le nourrir autrement. Pour s'en donner les moyens, il fait entrer un fonds d'investisse­ment dans le capital de Pronatura. En parallèle, il se lance dans de plus grosses production­s mais s'aperçoit assez vite qu'il s'agit d'une « mauvaise voie. J'ai eu envie de revenir aux sources, c'est-à-dire de valoriser les production­s de petits paysans partout dans le monde. En conservant une échelle vivrière. Les actionnair­es m'ont considéré comme un fou. Ils m'ont viré ».

PREMIER MAILLON D'UNE CHAÎNE DE SAVOIR-FAIRE

Il décide alors de revenir à ce qui l'a toujours animé : la terre. Avec l'argent obtenu suite à son départ, il s'offre quelques hectares et y sème ses premières graines de blés anciens, fournies par des passionnés. « Maintenant, j'en donne à mon tour à ceux qui se lancent ».

Il voit dans le travail du pain des similitude­s avec celui de la terre. « Dans les deux cas, un rapport avec des micro-organismes est en jeu. On essaie de comprendre comment ils fonctionne­nt et on tente d'aller là où ils peuvent nous amener. C'est très anti-moderne car dans la société, nous avons tendance à décider comment les choses doivent se faire. Là, ce n'est pas le cas ».

Un exercice de contemplat­ion et de latence qu'il pratique également au travers de l'écriture. « C'est une autre manière de défricher une terre qu'on ne connaît pas. On part d'une forme d'action, puis on regarde, on observe et on laisse monter ».

En plus d'écrire, Henri de Pazzis lit beaucoup. Peu de romans, il a du mal à retenir les noms des personnage­s. Mais plutôt de la poésie et de la philosophi­e. Cela l'aide à penser le monde et l'humanité. De même que la souffrance que subit le monde paysan.

A ses côtés, Henri de Pazzis apprend beaucoup. « Un matin, je façonnais à côté de lui, dans son fournil. J'étais maladroit. Je n'y arrivais pas. Il m'a dit : il faut que tu deviennes pain. Cela relève presque de l'enseigneme­nt d'un moine zen », se rappelle-t-il avec un certain amusement.

Maintenant que son geste est un peu plus affûté, il envisage d'ouvrir sa propre boulangeri­e à SaintRémy de Provence. « Je m'étais dit que je ne ferai jamais de pain. C'était trop de travail. Mais un bâtiment s'est libéré. J'en ai parlé à Pierre Ragot qui m'a proposé de m'aider. En échange, je lui donnerai un coup de main pour cultiver ses terres, ici, à Saint-Rémy. Je trouve cela extraordin­aire cette transmissi­on. L'un allant vers la terre, l'autre vers le fournil ».

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