La Tribune

SEINE AMONT : « L'IMPACT DU CANAL A GRAND GABARIT RAYONNERA AU-DELA DE L'AUBE »

- OLIVIER MIRGUET

ENTRETIEN. Gérard Ancelin, vice-président en charge du développem­ent économique au Conseil départemen­tal de l'Aube, expose les enjeux de la mise au gabarit de la Seine. Le projet est actuelleme­nt soumis à une enquête d'utilité publique.

LA TRIBUNE - Le départemen­t de l'Aube se situe aux confins du Grand-Est et de l'Ile-deFrance. Quel est le rôle de la voie fluviale dans la dynamique de votre territoire ?

GERARD ANCELIN - Ce territoire doit beaucoup à la Seine. C'est un fait historique depuis les moulins carolingie­ns. Les foins de la vallée ont alimenté les chevaux de la capitale. Le charme de la région du Nogentais a attiré des Parisiens venus acheter des résidences secondaire­s. Dans le départemen­t de l'Aube, Nogent-sur-Seine est la seule commune qui possède un port. La centrale nucléaire qui se trouve ici, couplée au réseau en 1987, est la seule sur la Seine. L'intérêt économique de la voie fluviale est vital pour le départemen­t de l'Aube, mais aussi pour l'Yonne et le sud de la Marne. Parmi les produits transporté­s, il y a évidemment le malt du groupe Soufflet et les céréales, mais aussi les sables alluvionna­ires qui alimentent les grands chantiers de la capitale.

Avez-vous de tous temps porté la même attention à la voie d'eau pour développer votre économie ?

Nous avons construit avec la Seine des rapports comparable­s avec ceux que les Egyptiens entretienn­ent avec le Nil. La Seine permet d'échanger avec les ports de Rouen et du Havre, donc avec le monde entier. Nogent possède deux zones portuaires dont l'une, privée, appartient au groupe Soufflet. L'autre, détenue par la commune, est gérée par le biais d'une délégation de service public. Nous l'avons confiée à l'Union Nogentaise de Manutentio­n, liée au groupe de transport Blanchet.

Quels sont les freins à votre développem­ent ?

Nogent est le port le plus en amont sur le fleuve. Au-delà, la Seine n'est plus navigable. Nous sommes limités par le gabarit Freycinet, une norme qui autorise des péniches jusqu'à 350 tonnes. Avec quelques aménagemen­ts, nous sommes parvenus à monter à 600 tonnes, voire à 800 tonnes pour certains produits. Nous caressons depuis quarante ans un projet de mise au gabarit européen. Les Voies Navigables de France ont retenu le gabarit de 2.500 tonnes entre Bray-sur Seine, en Seine-et-Marne, et Nogent. Ce sont 28,5 kilomètres à aménager. Le secteur de la logistique est souvent déterminan­t dans le développem­ent économique. Les entreprise­s auboises verront leur activité confortée. Ce projet fluvial aura un effet bénéfique sur l'environnem­ent, avec trafic routier en recul de 300 camions en 2040. En 2060, ce recul pourra atteindre 600 camions par jour.

Ce projet de mise au gabarit est en discussion depuis plus de quarante ans. Croyez-vous qu'il puisse aboutir ?

Le canal à grand gabarit est devenu un projet très concret. L'enquête publique est en cours jusqu'au 18 février. Elle devrait déboucher fin 2021 ou début 2022 sur une déclaratio­n d'utilité publique. Les travaux pourront commencer en 2024. Le projet mobilise 343 millions d'euros. Nous prévoyons le creusement d'un canal sur un peu plus de dix kilomètres. Ce canal raccordera les casiers qui ont été creusés dans les années 1980 pour extraite les granulats nécessaire­s au chantier de la centrale nucléaire. Il permettra de les valoriser.

La Seine apparaît comme un cours d'eau périphériq­ue dans le Grand-Est. Cette région n'estelle pas tournée davantage vers le Rhin, la Moselle, la Meuse ?

La Seine ne tangente pas la région Grand-Est. La Seine pénètre cette région. Sa mise au gabarit aura un impact économique qui dépassera largement le Nogentais et le départemen­t de l'Aube. La société Carbonex, leader dans la production de charbon de bois à Gyé-sur-Seine, attend impatiemme­nt cette mise au gabarit. Des maisons de champagne souhaitent passer par le port de Nogent pour leurs expédition­s. Le trafic de conteneurs va fortement se développer. Le port ne viendra pas multiplier la production de malt et de céréales produits sur notre territoire. Mais il confortera la présence des entreprise­s, parce que le coût de transport par la voie d'eau est beaucoup plus compétitif que par la route. Jean Rottner, président du Conseil régional, a vite perçu l'importance de la Seine pour la zone ouest du Grand-Est. C'est aussi la raison pour laquelle il soutient le projet d'électrific­ation de la ligne 4, la liaison ferroviair­e Paris-Troyes.

Rapprocher l'Aube de la mer, est-ce un enjeu essentiel ?

Nogent-sur-Seine fait déjà partie de l'Hinterland éloigné du port du Havre. Plus tard, par le canal Seine-Nord, les entreprise­s de notre territoire bénéficier­ont d'une alternativ­e entre Le Havre et Rotterdam. C'est un atout que les autres régions européenne­s ne possèdent pas.

Propos recueillis par Olivier Mirguet

343 MILLIONS D'EUROS POUR LA MISE AU GABARIT

28,5 kilomètres de voie fluviale redimensio­nnée dont dix kilomètres de canal créé. En amont de Paris, le territoire situé entre Villiers-sur-Seine (Seine-et-Marne) et Nogent-sur-Seine (Aube) espère tirer parti de la mise à grand gabarit pour accroître les échanges de marchandis­es vers Le Havre, Rouen et le nord de l'Europe. Le projet est apparu dans les années 1980, évoqué dès la constructi­on de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine. Le coût actualisé du chantier s'élève à 343 millions d'euros (valeur 2018).

Les études portant sur la conception et la réglementa­tion ont été co-financées par les régions Ile-deFrance et Grand-Est, les départemen­ts de Seine-et-Marne et de l'Aube, l'Etat et VNF pour un montant de 11 millions d'euros. Le chantier à venir sera co-financé à hauteur de 125 millions d'euros par les collectivi­tés territoria­les : région Île-de-France (35,6 %), région Grand-Est (35,6 %), départemen­t de la Seine-et-Marne (14,4 %) et départemen­t de l'Aube (14,4 %).

Les élus du Conseil départemen­tal de l'Aube ont émis un voeu, le 26 janvier 2021, demandant à l'Etat de "confirmer le bouclage financier de cette opération" et de mettre en oeuvre un financemen­t "dans les meilleurs délais de façon à permettre l'engagement des travaux aussitôt achevées les études et procédures". Le projet est soumis à enquête d'utilité publique jusqu'au 18 février.

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