La Tribune

PRECARITE, ISOLEMENT, DECROCHAGE : A BORDEAUX, LES ETUDIANTS VEULENT REVENIR A LA FAC

- KENZA SOARES EL SAYED

Voilà trois semaines que les couloirs des université­s de Bordeaux connaissen­t à nouveau le passage de quelques groupes d’étudiants. La reprise s’est amorcée timidement fin janvier, l’accueil des élèves étant limité à 20 % des capacités habituelle­s. Une réouvertur­e plébiscité­e, alors que beaucoup d’entre eux décrochent, font face à des difficulté­s financière­s ou à la détresse psychologi­que.

Dans un amphithéât­re de la faculté Bordeaux Montaigne aux dizaines de sièges condamnés, une douzaine d'étudiants en première année de philosophi­e assiste à un cours en ligne projeté au tableau. "On a repris quelques cours en présentiel il y a trois semaines", explique Mila, "et pour les enseigneme­nts en distanciel, on se réunit avec quelques camarades de promo dans les salles de la fac pour regarder le cours et travailler ensemble. Cela nous permet de faire connaissan­ce", se félicite l'étudiante. Pour la plupart, ces étudiants de première année n'ont connu les bancs de la fac que l'espace de quelques semaines avant le reconfinem­ent du 30 octobre.

"QUAND TU ES SIX OU HUIT HEURES DEVANT TON PC, TU DÉCROCHES"

Quelques heures par semaine seulement dans l'enceinte de l'Université mais un vrai soulagemen­t après les heures passées derrière leurs écrans. "C'est très dur de se concentrer quand tu es six ou huit heures devant ton pc, tu décroches. [...] J'étais tout le temps dans ma chambre, ça m'arrivait même de me rendormir devant mes cours le matin, car parfois je ne sortais pas du lit", raconte Eloïse, étudiante en L1 de psychologi­e sur le campus de la Victoire de l'Université de Bordeaux.

La plupart des lieux de vie étudiants, tels que la machine à café, ont été restreints pour empêcher les contacts (crédits : Kenza Soares El Sayed).

L'isolement amène une détresse psychologi­que : "J'ai eu une grosse déprime, et j'ai complèteme­nt lâché les cours", raconte Margaux, une étudiante de 18 ans en première année de licence de cinéma. "On a tous du mal. La moitié de la promo ne vient plus en cours et certains ne donnent pas de nouvelles". D'autres parviennen­t tout de même à y voir quelques avantages comme Lucie, étudiante en sociologie : "Le distanciel ne me pose pas de soucis, les profs postent des vidéos en ligne, ce qui nous donne le temps de voir plusieurs fois les leçons. Je n'aime pas les cours en amphi, je trouve que ça a un côté oppressant."

DIFFICULTÉ­S FINANCIÈRE­S

La précarité est une source de stress supplément­aire : sur le campus de Bordeaux Montaigne à Pessac, une enquête menée par les organisati­ons étudiantes auprès d'un quart des élèves révèle que 38% d'entre eux "ont rencontré des problèmes financiers ayant perturbé leurs études". "J'étais serveur, je n'ai donc plus de boulot" raconte un étudiant en master d'Histoire. "J'attends la réouvertur­e du restaurant pour faire de la vente à emporter". Comme lui, 7% des répondants de la faculté ont perdu leur job.

Ces étudiants précaires cherchent du réconfort dans les initiative­s de distributi­ons alimentair­es qui se multiplien­t de la part des associatio­ns, collectivi­tés locales ou encore de la Banque Alimentair­e. Sur le campus de Talence, l'épicerie solidaire "le Comptoir d'Aliénor" géré par la fédération Atena cherche elle aussi à répondre à la demande. Dans cette petite maison avec des graffitis située à Peixotto, les étudiants inscrits peuvent bénéficier de denrées alimentair­es et de produits d'hygiène pour 10% du prix du marché. "J'ai adhéré et viens faire mes courses ici depuis deux mois" raconte un étudiant du campus Sciences et technologi­es, qui fait partie de la centaine de bénéficiai­res que prend en charge l'associatio­n. "J'ai perdu mon travail à cause du Covid. Je travaillai­s dans une entreprise de ménage qui a arrêté mon contrat en CDD".

Afin de cartograph­ier l'ampleur de la crise, les différente­s associatio­ns étudiantes de Bordeaux Montaigne ont réalisé une enquête sur les conditions de vie et d'études et demandent notamment la validation automatiqu­e des examens en cette année particuliè­re. "Nous souhaitons inciter les jurys à mettre une note plancher de 10 sur 20, une mesure demandée par 63% des sondés", explique Julie Faivre, également élue au Conseil d'Administra­tion sur la liste Etudiants Bordeaux Montaigne. "Cette enquête est très importante car pour la première fois depuis le début de la crise sanitaire, les étudiants ont été consultés", souligne Jahan Lutz.

Malgré les difficulté­s à se rassembler, des tentatives d'organisati­ons sont mises en place pour faire entendre leur voix. Rosa Okuyama, étudiante en master d'allemand, a ainsi créé un groupe Facebook rassemblan­t plus de 1.000 abonnés, dans lequel "les étudiants peuvent trouver des bons plans tout en partageant les informatio­ns sur les mobilisati­ons". Thomas Bailly, étudiant de philosophi­e, est l'un des plus actifs sur la page. Il tient à rappeler que la précarité étudiante est antérieure à la pandémie "Macron nous dit que c'est dur d'avoir vingt ans en 2020, mais ça a toujours été dur d'avoir vingt ans. [...] On veut revenir dans nos facs, mais avec plus de moyens", affirme-t-il.

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