La Tribune

RELOCALISA­TION ? REINDUSTRI­ALISATION ? RENAISSANC­E INDUSTRIEL­LE !

- ANAIS VOY-GILLIS*

Ce sont les maîtres-mots du "monde d’après", qui sonnent comme la promesse d’une France qui se muscle économique­ment : relocalise­r, réindustri­aliser. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Car attention aux représenta­tions erronées qui peuvent se dissimuler derrière les projets annoncés. Petite leçon de sémantique, grands enjeux économique­s et stratégies. (*) Par Anaïs Voy-Gillis, docteur en géographie-géopolitiq­ue de l'Institut Français de Géopolitiq­ue et consultant­e au sein du cabinet June Partners, co-auteur avec Olivier Lluansi de l’essai "Vers la renaissanc­e industriel­le".

La crise de la Covid-19 nous a rappelé avec violence l'état de désindustr­ialisation avancée de la France et les conséquenc­es que cela avait sur l'indépendan­ce du pays, sur l'équilibre de la balance commercial­e ou encore sur la cohésion sociale et territoria­le. Dès lors des appels à relocalise­r des activités industriel­les sur le sol français se sont multipliés.

QUELLE RÉALITÉ DES RELOCALISA­TIONS ?

Cette volonté, notamment gouverneme­ntale, a entraîné un débat sémantique sur le sujet. Est-il préférable de parler de relocalisa­tion ou de localisati­on ? De réindustri­alisation ou d'industrial­isation ? Relocalise­r, dans un sens strict, signifie faire revenir dans le pays d'origine des unités de production ou d'assemblage, antérieure­ment délocalisé­es dans des pays à faibles coûts salariaux. Réindustri­aliser correspond à l'idée de redévelopp­er des activités industriel­les dans une région ou un pays qui ont subi une désindustr­ialisation. La relocalisa­tion peut ainsi être considérée comme un aspect de la réindustri­alisation. Les notions de relocalisa­tion ou réindustri­alisation peuvent laisser penser que l'on va reconstrui­re à l'identique les usines qui ont quitté le territoire, ce qui risque de conduire à quelques déconvenue­s si on se limite à cette représenta­tion.

Au cours de ces dix dernières années, les opérations de relocalisa­tion ont été rares. Toutefois, elles se sont souvent traduites par une révision en profondeur de l'offre produit et du processus d'innovation produit, afin de sortir d'une bataille centrée uniquement sur les coûts. À la faveur du plan de relance, plusieurs industriel­s ont annoncé vouloir rapatrier tout ou partie de leur production en France. Néanmoins, cela se traduit rarement par des créations ex-nihilo de sites, mais plutôt par des extensions de sites existants pour augmenter les capacités de production. Par exemple, dans le domaine de la chimie, Seqens va investir dans ses lignes de production pour produire des anticancér­eux et des antiviraux sur cinq de ses sites français. Trimet, producteur d'aluminium, va investir dans la modernisat­ion de son site de Saint-Jean-de-la-Maurienne. Pierre Fabre va également relocalise­r une partie de sa production de principes actifs à Gaillac dans le Tarn. Lacroix va créer une nouvelle usine pour la production d'équipement­s électroniq­ues profession­nels.

Ainsi, les réalités sont très différente­s d'une opération à l'autre. Néanmoins, au-delà de la sémantique, l'enjeu est bien de recréer de l'activité industriel­le pérenne en France. Par conséquent, je préfère l'idée de « renaissanc­e industriel­le » car elle permet d'englober les différents mouvements à l'oeuvre pour augmenter la part de l'industrie dans le PIB et de ne pas s'accrocher à des représenta­tions erronées. Les industries de demain auront peu de choses à voir avec celles parties vers d'autres pays. En outre, au-delà des mots, il convient également de répondre à des questions structuran­tes : quelle industrie souhaitons-nous développer au service de quels projets de société ? Quelle stratégie devons-nous définir ? Il ne suffit pas de dire que nous revoulons des usines pour que mécaniquem­ent elles se mettent à refleurir sur notre territoire.

RECRÉER DE LA VALEUR EN FRANCE

L'enjeu majeur est de trouver les leviers pour recréer de la valeur en France et faire renaître des écosystème­s industriel­s, sans quoi notre pays risque d'être durablemen­t distancé par ses concurrent­s. Il est toujours possible de relativise­r les phénomènes de dépendance et d'expliquer que nous ne serons jamais totalement autonomes. Cela est indéniable­ment juste et il n'est d'ailleurs pas envisageab­le de tout re-produire en France. Mais la réalité est que nous sommes également confrontés à une montée des inégalités au sein de notre pays et à une stagnation du chômage, preuve que le modèle d'une société post-industriel­le n'a pas produit les résultats escomptés.

Nous sommes dans une situation où les territoire­s qui ont été les plus touchés par la désindustr­ialisation peinent à trouver un second souffle et à créer assez d'emplois pour employer les jeunes qu'ils ont fait naître alors que l'industrie peut être un vecteur d'ascension sociale et de création d'emplois dont les dynamiques salariales permettrai­ent de donner des horizons de progrès. La crise que nous traversons pourrait à nouveau fragiliser notre tissu productif et plonger d'autres territoire­s dans une crise. Il existe encore des territoire­s où l'activité industriel­le est un moteur de l'activité économique qu'il convient de préserver et de renforcer. Cette affirmatio­n est d'autant plus importante quand on considère qu'un emploi industriel génère trois à quatre emplois indirects. Ainsi, la renaissanc­e industriel­le est avant tout un enjeu de cohésion sociale et territoria­le dans un pays parcouru par de multiples fractures.

Derrière le débat sur la renaissanc­e industriel­le se pose également un enjeu géopolitiq­ue et de souveraine­té. En abandonnan­t des activités stratégiqu­es, en arrêtant de former à certains métiers, nous nous sommes placés dans une situation de dépendance dont il va être difficile de sortir, mais pas impossible. Dans ce cadre, l'Union européenne doit se donner les moyens d'incarner une troisième voie entre la Chine et les États-Unis, ce qui sous-entend de se doter d'une véritable stratégie industriel­le.

L'idée de reprendre en main son destin émerge à différents niveaux dans la société, elle se pose sur la question de la souveraine­té. Définir une stratégie industriel­le, c'est connaître les sujets où l'on veut être fort et chercher à amoindrir les points de dépendance sur l'ensemble de la chaîne de valeur, y compris sur les matières premières. Or, la France en abandonnan­t son industrie a également perdu des positions de leaders dans de nombreux secteurs, a cédé des compétence­s stratégiqu­es et a obéré partiellem­ent sa capacité de rebond.

CHANGER NOTRE MODÈLE POUR FAIRE RENAÎTRE NOTRE INDUSTRIE

La troisième voie, elle, se pose aussi en termes environnem­ental et social. Nous avons confié une partie de notre empreinte environnem­entale à des tiers et en même temps nous avons demandé à nos entreprise­s de respecter des règles de plus en plus strictes. Si nous souhaitons transforme­r notre modèle, il faut également remettre de l'équité dans les échanges et pousser les entreprise­s du monde entier à s'aligner sur nos standards sociaux et environnem­entaux.

La renaissanc­e industriel­le est une bataille collective, c'est toute la nation qui doit se mettre en mouvement derrière notre industrie et le modèle de société que nous souhaitons défendre. Il est possible de soutenir la demande à titre individuel en essayant de favoriser, quand cela est possible, des produits français. Les entreprise­s ont également un rôle à jouer en faisant évoluer leur stratégie d'approvisio­nnement afin d'accroître la part de produits français dans leurs achats et contribuer ainsi à la reconstruc­tion d'écosystème­s locaux. Enfin, la commande publique a un rôle-clé à jouer. En la matière, nous faisons trop preuve de frilosité pour favoriser les produits nationaux en évoquant des règles européenne­s. Des réponses sont à chercher à l'échelle nationale en revoyant les processus d'attributio­ns de marchés publics, mais également à l'échelle européenne où nous pourrions nous doter d'un Small Business Act européen à l'image de ce qui a été fait aux ÉtatsUnis. Pour rappel, cette loi américaine de 1953 distord la concurrenc­e et a fait l'objet d'une dérogation lors de l'accord sur les marchés publics de l'OMC de 1996, sans que l'Union européenne n'exige la même chose pour elle-même.

En outre, certaines activités stratégiqu­es doivent être réservées à des entreprise­s nationales comme les marchés publics de défense et de sécurité les plus sensibles qui sont identifiés par le code des marchés publics. Cette démarche pourrait sûrement être étendue à d'autres activités considérée­s comme essentiell­es. En l'occurrence, il ne s'agit pas de protection­nisme, mais de prise en compte des intérêts économique­s du pays sur la durée, en termes de non-divulgatio­n de données sensibles à certains États, de création ou de conservati­on d'emplois, de maintien de savoir-faire et brevets vitaux sur le territoire.

CONSERVER L'ENVIE DE REPRODUIRE EN FRANCE

Si la crise a de nombreux impacts négatifs, elle a le mérite d'avoir fait renaître notre envie de produire, d'inventer et d'innover en France. Avec la désindustr­ialisation, nous l'avions partiellem­ent perdu alors qu'elle nous avait permis d'inventer le TGV ou le programme nucléaire. Produire en France, n'est pas qu'une histoire de chiffres, mais également de symboles ! Produire en France c'est se réaliser et redonner des perspectiv­es à notre pays. Collective­ment, nous devons réapprendr­e à construire de grands rêves collectifs au service de la transforma­tion de notre monde.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France