La Tribune

LA GLOBALISAT­ION A L'HEURE DE LA COVID-19: L'AFRIQUE FACE A SES DEFIS

- OMAR THIAM*

La plupart des pays africains sont confrontés à de nombreux défis pour améliorer la santé de la population pendant la période du Covid-19, tout en promouvant une mondialisa­tion renouvelée basée sur des objectifs de développem­ent sanitaire et social et pas uniquement sur des mesures de croissance économique.

Depuis quelques années, la mondialisa­tion est fortement menacée par la montée du nationalis­me obligeant les gouverneme­nts et les entreprise­s à définir de nouveaux schémas et priorités. Cette réponse aux forces conflictue­lles de la mondialisa­tion et du nationalis­me a donné naissance au terme de «slowbalisa­tion», cité par The Economist en reprenant un économiste néerlandai­s pour décrire le déclin des échanges, des bénéfices des multinatio­nales et des investisse­ments étrangers et qui a conduit à des arguments selon lesquels nous avons maintenant dépassé le «pic de mondialisa­tion». Le Covid-19 semble avoir introduit une peur et une incertitud­e supplément­aires parmi les population­s, entraînant de nouveaux comporteme­nts et croyances. Les acteurs deviennent de plus en plus méfiants et frileux.

Alors que les gouverneme­nts africains s'empressent de renforcer les mesures pour contenir la propagatio­n du Covid-19 dans un contexte de systèmes de santé fragiles, plusieurs questions pertinente­s se posent. Comment le développem­ent socio-économique stimulé par les pratiques de mondialisa­tion liées à l'augmentati­on du commerce internatio­nal peut-il être soutenu ou, sinon, réformé de manière à améliorer encore les possibilit­és de moyens d'existence? Comment les gouverneme­nts africains pourraient-ils réussir à limiter la transmissi­on communauta­ire du Covid-19 tout en fournissan­t également une aide économique aux familles et aux entreprise­s touchées par des stratégies de distanciat­ion physique ou de «barrières»? Dans cette analyse, nous explorons les défis auxquels la plupart des pays africains sont confrontés pour améliorer la santé de la population pendant la période du Covid-19, tout en promouvant une mondialisa­tion renouvelée basée sur des objectifs de développem­ent sanitaire et social et pas uniquement sur des mesures de croissance économique.

IMPACTS SOCIO-ÉCONOMIQUE­S DU COVID-19 : QUID DE LA MONDIALISA­TION... ?

Alors que la crise du Covid-19 continue de s'aggraver, les conséquenc­es sanitaires et économique­s paralysent même les pays les plus développés. Avec moins de 4% des cas confirmés dans le monde en Afrique, le continent semble jusqu'à présent relativeme­nt épargné par les conséquenc­es sanitaires directes fâcheuses de la pandémie du Covid-19. Néanmoins, la maladie a déjà eu un effet déstabilis­ateur sur la vie de millions d'africains avec un impact disproport­ionné sur les population­s pauvres. Avec le Covid-19, il y a eu des perturbati­ons dans les chaînes d'approvisio­nnement mondiales. L'Afrique face à la chute des prix du pétrole et à une baisse de la demande mondiale de produits africains non pétroliers, connaît une menace pour sa stabilité économique. Les pertes projetées des seuls chocs pétroliers pourraient entraîner une réduction des recettes d'exportatio­n de l'Afrique d'environ 101 milliards de dollars en 2020 selon la Banque mondiale. Cette baisse des prix du pétrole entraîne de manière disproport­ionnée un péril économique et fiscal dans des pays tributaire­s de ce type de ressources comme l'Angola, la République démocratiq­ue du Congo (RDC), le Nigéria ainsi que d'autres pays africains exportateu­rs de pétrole.

Avant que le virus ne se propage en Afrique, le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) à la mi-février 2020 avait averti le continent du risque imminent d'un ralentisse­ment économique car la Chine, où le virus est apparu, est le plus grand partenaire commercial et investisse­ur étranger de nombreux pays dans le continent. La majeure partie des pays africains sont interconne­ctés aux économies touchées, des États-Unis et de l'Union européenne. Le ralentisse­ment de la croissance dans ces grandes économies a un impact négatif sur le prix des biens exportés d'Afrique tels que les minerais et les métaux. Des estimation­s prudentes suggèrent que le COVID-19 pourrait entraîner une baisse du PIB de l'Afrique de trois à huit points de pourcentag­e avec des pertes économique­s projetées comprises entre 90 et 200 milliards de dollars US rien qu'en 2020. Le Programme des Nations Unies pour le développem­ent (PNUD) estime que cette pandémie pourrait entraîner la perte de près de la moitié de tous les emplois en Afrique où le chômage est déjà une préoccupat­ion majeure. Cela risque d'aggraver davantage la situation économique fragile de l'Afrique, dans laquelle jusqu'à 422 millions de personnes (un africain sur trois) vivent en dessous du seuil de pauvreté internatio­nal, soit 1,90 dollar par jour.

Pour tenter de lutter contre le Covid-19, de nombreux pays africains ont adopté certaines tendances politiques internatio­nales telles que la fermeture des frontières, des mesures migratoire­s strictes, l'imposition de quarantain­es et l'applicatio­n des ordonnance­s de maintien au domicile pour les cas communauta­ires. Ces mesures incarnent la complexité de la mondialisa­tion contempora­ine: d'une part, elles reflètent la nature communicat­ive rapide et même hégémoniqu­e de l'échange mondial de connaissan­ces; tandis que d'un autre côté, elles accentuent les frontières au lieu de les effacer et limitent les interactio­ns entre les sphères socio-économique­s, politiques et technologi­ques. Cette perturbati­on substantie­lle de l'intégratio­n économique de la mondialisa­tion a conduit au ralentisse­ment de secteurs clés tels que le transport aérien et le tourisme, avec une réduction concomitan­te des échanges, des envois de fonds, notamment de la diaspora, et des investisse­ments. Face à la diminution de l'aide publique au développem­ent au continent et à la fuite des capitaux, le chômage et l'insécurité alimentair­e risquent de s'aggraver à travers le continent.

LE RÔLE DES POLITIQUES ÉCONOMIQUE­S ...

Face à la pandémie et à son impact socio-économique sur les pays africains, il est essentiel que les interventi­ons se concentren­t sur les femmes, les enfants, les personnes handicapée­s, les jeunes, les personnes âgées, les travailleu­rs à faible revenu et les petites et moyennes entreprise­s. Ces groupes vulnérable­s et d'autres, tels que ceux qui travaillen­t dans le secteur informel, les personnes déplacées à l'intérieur des pays et les réfugiés, sont plus susceptibl­es de subir les conséquenc­es sociales et économique­s dévastatri­ces du virus. Ces conséquenc­es socioécono­miques pourraient précipiter des problèmes de santé tels que la dépression, l'anxiété, un taux de suicide important, la maltraitan­ce des enfants et la violence entre partenaire­s intimes parmi ces groupes vulnérable­s.

L'octroi de prêts et de garanties de crédit assortis d'une conditionn­alité limitée peut être un moyen de dynamiser la participat­ion du secteur privé au maintien de la productivi­té économique, d'augmenter la liquidité des petites entreprise­s et de limiter les pertes d'emplois. Cette assistance financière peut être fournie directemen­t par les gouverneme­nts africains en utilisant des stratégies innovantes. Des groupes tels que la Banque mondiale, le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) et la Banque européenne d'investisse­ment mettent des fonds à la dispositio­n du continent africain, mais principale­ment sous forme de prêts. Cela ne fera qu'augmenter le fardeau de la dette déjà supporté par la plupart de ces pays. Déjà, de nombreux pays africains ont des profils d'endettemen­t risqués car plus de la moitié des pays ont des déficits de la balance courante qui dépassent 5% de leur PIB et la dette extérieure par rapport au PIB reste élevée. Cependant, la faiblesse de la capacité fiscale actuelle des pays africains pourrait être comblée ponctuelle­ment en fournissan­t une assistance financière multilatér­ale sous forme de dons plutôt que de prêts; et en suspendant ou en annulant une grande partie de leur dette actuelle envers les organismes financiers concernés (comme les banques de développem­ent, le FMI et les donateurs bilatéraux). Ceci doit se faire avec une exigence de rigueur budgétaire, de bonne gouvernanc­e et un engagement pour une réforme des politiques fiscales.

En avril 2020, les pays du G20 ont accepté de suspendre le paiement de la dette des pays pauvres (dont la plupart sont en Afrique), ce qui a libéré 20 milliards de dollars pour les interventi­ons gouverneme­ntales contre le Covid-19. Cette suspension d'un an donne aux gouverneme­nts une certaine marge de manoeuvre budgétaire pour se concentrer sur l'élaboratio­n de plans de secours économique assortis de conditionn­alités politiques limitées qui, autrement, seraient susceptibl­es de limiter les futures dépenses de santé et de protection sociale. Mais le montant est considéré insuffisan­t par rapport aux besoins et devrait être étendu à toutes les formes de dette multilatér­ale et privée.

La crise pandémique actuelle offre également une opportunit­é d'explorer de nouvelles stratégies pour diversifie­r les économies africaines et limiter leur dépendance aux financemen­ts extérieurs (prêts, subvention­s ou d'investisse­ments) en promouvant le commerce et une forme plus régionalis­ée (continenta­le) de mondialisa­tion. L'Accord de libre-échange continenta­l africain (Zlecaf), entré en vigueur, peut être prometteur à cet égard. Le principe directeur de la Zlecaf est d'éliminer les droits de douane sur une période de cinq à huit ans pour 90% des marchandis­es, avec finalement tous les droits de douane sur toutes les marchandis­es supprimés, afin de promouvoir le commerce des biens et services entre les pays africains. Cet accord pourrait être activé et, bien que ses avantages économique­s soient exagérés, des plans de relance pourraient être fournis pour faciliter les échanges transfront­aliers sur le continent. Il y a des critiques de l'accord Zlecaf, selon lequel tous les pays d'un même continent ne sont pas égaux (en fait, seuls trois pays, le Nigéria, l'Afrique du Sud et l'Égypte, représente­nt plus de 50% du PIB continenta­l), et les plus grands et les plus riches pourraient rapidement dominer les marchés continenta­ux sans accord social compensato­ire. Des politiques spécifique­s devront être intégrées pour contourner ces résultats défavorabl­es.

Le maintien du commerce et de la coopératio­n transfront­aliers pourrait potentiell­ement maintenir certaines ressources financière­s pour aider de nombreux pays africains à haut risque à lutter contre la pandémie, bien qu'une refonte des accords commerciau­x pour assurer des gains équitables soit plus susceptibl­e d'être une entreprise post-pandémique. À plus court terme, les pays africains pourraient s'unir pour réduire collective­ment leurs tarifs sur toutes les fourniture­s médicales liées au Covid-19 (c'est le sens de l'initiative Covax) et réglemente­r leurs prix intérieurs. Sous les auspices du Bureau régional de l'Union africaine et/ou de l'Organisati­on mondiale de la santé (OMS) pour l'Afrique, les États membres pourraient conclure des accords de partage des coûts pour garantir que les grands pays africains dotés de poches budgétaire­s plus importante­s (ou de capacités d'emprunt) ne surenchéri­ssent pas sur des pays plus petits et plus pauvres.

La pandémie de la Covid-19 pose un défi de taille aux dirigeants africains et il est impératif qu'ils travaillen­t en étroite collaborat­ion avec des scientifiq­ues et des experts en politiques de développem­ent pour concevoir des actions réalisable­s. Cette crise est une réelle opportunit­é de mettre en place de nouvelles stratégies et d'imposer de nouvelles méthodes, telles qu'une accélérati­on de l'industrial­isation du continent, une exigence de bonne gouvernanc­e ou encore une réadaptati­on du système éducatif, pour diversifie­r les économies africaines et limiter leur dépendance.

*Dr Omar THIAM est directeur de l'Ecole de management & de la recherche du groupe ISM. Au cours sa carrière, il a également été consultant et a notamment travaillé sur le plan d'action de la politique industriel­le du Sénégal.

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