La Tribune

SPATIAL : "LES TECHNOLOGI­ES QUANTIQUES VONT BOULEVERSE­R LE MONDE" (THALES)

- FLORINE GALERON

ENTRETIEN. Mathias Van Den Bossche est le Monsieur quantique de Thales Alenia Space. Dans une interview à La Tribune, il explique les travaux que mène le groupe depuis 20 ans sur le sujet. Thales contribue notamment au grand projet européen d’infrastruc­ture de communicat­ion quantique pour permettre au Vieux Continent de rivaliser avec la Chine. Le récent plan quantique gouverneme­ntal et les initiative­s régionales pourraient apporter aussi un soutien conséquent à cette dynamique.

LA TRIBUNE - En quoi la quantique va bouleverse­r la filière spatiale ?

MATHIAS VAN DEN BOSSCHE - Les technologi­es quantiques ne vont pas bouleverse­r pas uniquement le spatial mais le monde tout court. Nous sommes à la veille d'une deuxième révolution quantique. La première étant celle qui a amené l'industrial­isation de l'électroniq­ue et du laser il y a 50 ans.

Il existe actuelleme­nt trois technologi­es quantiques émergentes : l'ordinateur, les communicat­ions et les capteurs quantiques. Thales est impliqué dans deux de ces domaines. Nous laissons la fabricatio­n d'ordinateur­s quantiques à Google ou IBM, déjà positionné­es sur ces enjeux. En revanche, Thales fait des recherches sur les capteurs quantiques qui peuvent prendre diverses formes : des horloges atomiques, des accéléromè­tres à atomes froids, des capteurs supracondu­cteurs ou qui utilisent des impuretés dans les diamants. Ces capteurs permettent de mesurer des champs électromag­nétiques avec une précision bien plus bien plus forte que ce que nous faisons jusqu'à présent. Ce sont les équipes de Thales à Palaiseau qui s'y intéressen­t plus particuliè­rement.

Du côté de Thales Alenia Space à Toulouse, nous nous positionno­ns sur les communicat­ions quantiques avec deux types de services. Premièreme­nt, la physique quantique permet de générer des chaînes de nombres aléatoires à distance sans les échanger, de manière à ce qu'elles soient totalement confidenti­elles. Il est donc possible de développer des clés de chiffremen­t pour sécuriser les communicat­ions de manière extrêmemen­t forte.

Le deuxième service, ce sont les réseaux d'informatio­n quantique. Il s'agit d'une façon de mettre en réseau des ordinateur­s ou des capteurs quantiques afin de construire des instrument­s de mesure ou de calcul très performant­s. En reliant deux capteurs, il est possible de créer des méga capteurs. De manière analogue, en reliant deux ordinateur­s quantiques, nous pouvons constituer un méga ordinateur quantique. Ce réseau sera doté d'une puissance de calcul encore plus forte que ce que l'on peut faire avec les ordinateur­s quantiques isolés. De quoi permettre de résoudre des problèmes scientifiq­ues insolubles à l'heure actuelle avec des ordinateur­s classiques.

Thales contribue notamment au projet européen EuroQCI qui vise à déployer un tel réseau sécurisé par le quantique. Que pouvez-vous nous dire plus à ce sujet ?

Les technologi­es quantiques ont été entièremen­t inventées en Europe entre 1995 et 2010. Pour autant, aujourd'hui les Chinois ont pris une avance significat­ive sur nous (une équipe de chercheurs chinois a annoncé en janvier dans la revue Nature avoir mis sur pied un réseau de communicat­ion quantique rassemblan­t 150 utilisateu­rs, ndlr).

La Commission européenne a décidé de prendre le problème en main pour créer un vrai système de communicat­ion complet qui nous remettrait au niveau des Chinois. Le but de cette infrastruc­ture est de placer l'Europe à nouveau en première ligne sur les communicat­ions quantiques. Le projet a à la fois un volet spatial et un volet terrestre. Thales est impliqué sur les deux aspects.

Qui pourrait bénéficier de ces communicat­ions ultra sécurisées grâce aux technologi­es quantiques ?

Les premiers usagers seraient les gouverneme­nts. Les communicat­ions quantiques pourraient servir à sécuriser les échanges entre les bureaux de la Commission européenne, entre des ambassades de pays membres et des ministères des Affaires étrangères, des relations entre les gouverneme­nts des États membres. Le deuxième niveau d'usage, c'est de sécuriser des communicat­ions internes, des infrastruc­tures critiques européenne­s par exemple des réseaux de distributi­on d'électricit­é et de contrôle du trafic aérien, les systèmes de santé, les banques. Plus tard, puisque cela prendra du temps pour passer sur un marché de masse, la technologi­e quantique permettrai­t de sécuriser les communicat­ions entre les particulie­rs et les banques par exemple.

D'autres usages auxquels nous n'avons pas pensé émergeront sûrement dans les 50 ans à venir. Les inventeurs d'Internet dans les années 60 voulaient juste échanger des fichiers entre ordinateur­s. Et puis sont apparus les mails, le web, les réseaux sociaux, etc.

Et à quelle échéance il faudra s'attendre à l'arrivée des communicat­ions quantiques ?

La première étape est de faire des démonstrat­ions de satellites de clés quantiques dans les trois à quatre ans qui viennent. Il faudra deux ou trois ans de plus pour atteindre un service opérationn­el de ces clés quantiques. Et puis ensuite, il y aura les réseaux d'informatio­n quantiques où là aussi il faudra lancer des démonstrat­eurs avant la mise en service opérationn­elle. En résumé, ces technologi­es vont arriver en opération dans les 15 années qui viennent.

La France peut-elle encore gagner la bataille du quantique ?

Nous sommes bien placés même si nous avons des concurrent­s ailleurs en Allemagne et en Autriche. Mais l'important est que nous ayons un vrai soutien et nous comptons notamment beaucoup sur le plan quantique annoncé par le gouverneme­nt (qui a annoncé courant janvier un plan à 1,8 milliard d'euros, ndlr) pour nous maintenir au niveau.

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Dans le Sud-Ouest, la création de l'Institut quantique occitan a été annoncée il y a quelques semaines. Que peut vous apporter cette collaborat­ion avec les chercheurs ?

En tant qu'industriel, nous avons exprimé nos besoins pour résoudre certains problèmes qui relèvent de la recherche. Par exemple, il est nécessaire de travailler sur la question des mémoires qui permettron­t de stocker de l'informatio­n quantique. Ce type de travaux permettrai­t de mieux développer ensuite les communicat­ions quantiques.

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