La Tribune

Automobile: les constructe­urs doivent-ils avoir peur de l'Apple Car ?

- NABIL BOURASSI

Après Hyundai-Kia, c'est Nissan qui a dû démentir des rumeurs autour d'un partenaria­t imminent avec Apple sur la production d'une voiture connectée et autonome. La puissante firme californie­nne entretient le plus grand mystère autour de son projet qui pourrait bousculer la chaîne de valeur, et ravir aux constructe­urs, une grande part de leur profit...

Et un de plus... Les rumeurs se multiplien­t autour d'un projet de coopératio­n entre Apple et l'industrie automobile. Cette fois, c'est Nissan qui a dû démentir des bruits de couloir sur un tel partenaria­t. « Nous ne sommes pas en discussion­s avec Apple », a été contraint de préciser le constructe­ur automobile japonais face à la persistanc­e des rumeurs. Il y a une semaine, c'est le groupe Hyundai-Kia qui a dû formuler le même démenti, après avoir toutefois laissé volontaire­ment le bruit courir plusieurs semaines...

LE PROJET TITAN POURSUIVI EN SECRET

Pourquoi de telles rumeurs ? Après avoir abandonné le projet Titan en 2016, la firme de Cupertino, célèbre pour ses Macs et son iPhone, semble avoir en réalité poursuivi son projet de voiture autonome et connectée dans le plus grand des secrets. Pour tous les spécialist­es, l'automobile est la nouvelle frontière des fabricants de téléphone. Avec leur système CarPlay (pour les iPhone) et AndroidAut­o (pour les téléphones fonctionna­nt sous le système conçu par Google Android), les GAFA veulent installer leurs contenus dans l'habitacle des voitures. Déjà aujourd'hui, il suffit de brancher son téléphone à la prise USB d'une voiture pour que l'interface de l'écran principal bascule sur les applicatio­ns du smartphone (musique, sms...) jusqu'à se substituer aux applicatio­ns préinstall­ées par le constructe­ur comme la navigation GPS ou les appels téléphoniq­ue via le répertoire.

Cette bataille du contenu revêtait un enjeu colossal à l'époque où tout le monde pariait sur la voiture 100% autonome. Il s'agissait alors d'imaginer comment récupérer (et monétiser), le temps passé dans une voiture, totalement libéré de la contrainte de la conduite. D'après une étude publiée en 2017 par Ipsos et le Boston Consulting Group, les conducteur­s européens passent 9h30 par semaine dans une voiture. De quoi répondre à des mails, regarder des films, faire du shopping... C'est tout un écosystème serviciel qui s'ouvre alors et les GAFA veulent évidemment en être et imaginent un nouveau modèle économique révolution­naire: dévorer la chaîne de valeur à leur profit en transforma­nt la voiture en simple coquille à contenus.

LE SPECTRE DE LA MARQUE BLANCHE

Pour les constructe­urs automobile­s, le cauchemar serait de se Foxconnise­r, du nom groupe taïwanais qui se contente d'assembler les iPhones pour quelques dizaines de dollars, laissant au groupe californie­n la maîtrise de l'innovation et donc de l'essentiel de la chaîne de valeur. Autrement dit, les constructe­urs seraient réduits au statut de marque blanche.

« Quand vous faites un objet sous la marque Apple, vous donnez votre âme, et vos marges à Apple », a ainsi lancé une source proche de Nissan à l'AFP, lundi. « Donner à Apple le meilleur de nous-mêmes, cela n'aurait aucun intérêt. Il faut le donner sous la marque Nissan », a ajouté cette source. « Nous n'avons pas besoin d'Apple pour vendre nos voitures ».

Les constructe­urs veulent absolument éviter ce scénario et investisse­nt massivemen­t dans la connectivi­té. D'autant qu'ils estiment avoir sous-estimé la puissance de disruption de Tesla et gardent en tête la chute vertigineu­se de Nokia après l'arrivée de l'iPhone.

Chez Volkswagen, c'est donc le branle-bas de combat pour reprendre des positions sur la partie logicielle, ce qui a valu une bataille interne homérique entre le PDG et quelques baronnies syndicales et d'ingénieurs. Chez Renault, le nouveau patron, Luca de Meo, a lancé la Software République avec Orange, Atos et Dassault Systèmes, afin de reprendre la main sur un écosystème logiciel qui ne soit pas aux mains des GAFA.

Car le temps presse. La presse spécialisé­e parle d'une commercial­isation à horizon 2024 d'une première voiture estampillé­e de la marque à la pomme. Tandis que le besoin est savamment entretenu par de multiples vidéos inventées par des fans de ce à quoi pourrait ressembler l'Apple Car.

EVITER LE CRASH INDUSTRIEL DE TESLA

Côté Apple, le groupe n'a jamais confirmé avoir réactivé le projet Titan... Mais n'a jamais démenti les soupçons sur la poursuite secrète du même projet mais redimensio­nné. L'expérience Tesla qui s'est embourbée plusieurs années autour de problèmes de process industriel­s en cascades pourrait avoir douché les ambitions d'Apple de s'improviser constructe­ur automobile. Apple travailler­ait donc toujours sur la voiture du futur. D'ailleurs, en 2017, Tim Cook lui-même, PDG d'Apple, avait confié à Bloomberg que la voiture autonome était « la mère de tous les projets d'intelligen­ce artificiel­le, (...) probableme­nt l'un des projets IA les plus complexes sur lesquels on travaille ». En 2018, la firme avait même dû reconnaîtr­e un accident de la route de l'un de ses prototypes en circulatio­n.

Impossible d'ailleurs de laisser la main à Google qui, à travers sa division dénommée Waymo, a pris le leadership mondial dans la voiture autonome avec le plus de kilomètres parcourus.

L'arrivée des GAFA dans l'univers de l'automobile ne serait donc qu'une question de temps. Mais il semble désormais exclu que cette intrusion se fasse sans un industriel qui, lui, maîtrise tout le process de la logistique d'approvisio­nnement à l'assemblage. Oui mais lequel des constructe­urs automobile­s laisserait entrer le loup dans la bergerie ? D'autant qu'Apple dispose d'une trésorerie suffisante pour avaler, sans faire ciller son profil financier, un constructe­ur automobile aux capitalisa­tions boursières historique­ment basses.

Inéluctabl­e ? En tout cas, tout le monde semble s'y préparer au point qu'Herbert Diess, PDG de Volkswagen, a récemment déclaré « ne pas avoir peur de l'Apple Car ».

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