La Tribune

POUR LES BANQUES, IL EST ENCORE TROP TOT POUR ENTERRER L'AGENCE BANCAIRE

- ERIC BENHAMOU

ÉPISODE 3/3. La réorganisa­tion des agences bancaires est clairement à l’ordre du jour. Il ne s’agit plus simplement de réduire la taille du réseau mais d’adapter les agences aux nouveaux usages bancaires et d’en améliorer la rentabilit­é. Un enjeu essentiel alors que les clients restent attachés à l’agence, même s’ils la fréquenten­t moins grâce aux services numériques. Les initiative­s se multiplien­t en France et en Europe pour maintenir un lien de proximité à moindre coût.

> L'épisode 1 : La France championne européenne de la densité des réseaux bancaires

> L'épisode 2 : Société Générale entame un chantier historique de réorganisa­tion de ses réseaux bancaires

L'agence bancaire est morte, vive l'agence bancaire ! Les banques, confrontée­s à une spirale de baisse de leurs marges, s'interrogen­t sur le rôle de l'agence, à l'heure où la digitalisa­tion des services fait désormais partie intégrante des usages bancaires. D'autant que le rôle du conseiller en agence a été trop souvent dévalorisé par l'automatisa­tion des processus et un turn-over trop important pour lier une relation de confiance avec les clients.

C'est à tous ces enjeux auxquels les banques, en quête de rentabilit­é, se doivent de répondre aujourd'hui, bien au-delà du simple ajustement du nombre d'agences. Selon une étude de SIA Partners de février 2020, il faut certes s'attendre à une accélérati­on du nombre de fermetures d'agence, de l'ordre de 15% d'ici 2022, alors que le mouvement de réduction des réseaux était jusqu'ici contenu en France (-3% sur la période 2014-2018).

Mais les Français restent malgré tout attachés à leur agence. Selon la récente étude de la Fédération bancaire française (FBF) sur les attentes des consommate­urs vis-à-vis de leur banque, 83% des individus estiment ainsi que « la banque idéale doit laisser la possibilit­é à chacun de recourir à des services sur Internet et en agence ».

UNE SATISFACTI­ON CLIENT... INSATISFAI­SANTE

Thomas Rocafull, chargé des services financiers chez SIA Partners, confirme : « L'agence n'est pas morte car elle reste un véritable élément de différenci­ation entre les différente­s enseignes bancaires mais également par rapport aux banques en ligne et aux GAFA. Et l'agence détermine toujours, pour 40% des consommate­urs, le choix d'une enseigne ».

Pourtant, selon une étude de SIA Partners, qui a compilé quelque 120.000 avis de consommate­urs sur le Web, entre 2016 et 2020, le constat est sévère sur les agences bancaires. « La satisfacti­on des clients sur leur agence bancaire n'est pas très bonne, avec cependant le Crédit agricole et le Crédit mutuel qui se détachent nettement des autres enseignes », explique Thomas Rocafull.

« Plus que l'agence elle-même, c'est bien le conseiller qui cristallis­e la satisfacti­on ou le mécontente­ment des clients bancaires », précise-t-il.

Les commentair­es évoquent le plus souvent les mêmes thématique­s : « l'empathie », « la qualité d'écoute », « l'expertise » pour les avis positifs, et à l'inverse,« l'incompéten­ce », « l'indisponib­ilité » mais aussi « les horaires d'ouverture » ou les « frais bancaires » pour les avis négatifs, naturellem­ent les plus nombreux sur le Web.

Pour l'heure, souligne SIA Partners, l'avis des internaute­s est peu pris en compte par les banques, contrairem­ent à d'autres secteurs d'activité (restaurati­on, tourisme, VTC, ecommerce...) Mais cela pourrait changer dans le futur alors que les banques françaises font toujours le choix de maintenir une présence physique forte et coûteuse.

«Les banques restent très prudentes sur la réduction de leur réseau car elles constatent que toute fermeture entraîne automatiqu­ement une attrition de la clientèle, et c'est particuliè­rement vrai en zones périurbain­es ou rurales. Tout l'enjeu est donc d'essayer de maintenir une proximité en limitant les coûts », avance Thomas Rocafull.

D'où la multiplica­tion en France, mais également en Europe, des expériment­ations pour tester cette nouvelle agence bancaire du futur qui serait plus efficiente. Et paradoxale­ment, la crise du Covid-19 a accéléré ses réflexions sur les agences alors qu'elle a également entraîné une explosion de l'utilisatio­n des services numériques et une accélérati­on de la baisse de fréquentat­ion dans les agences.

AGENCE SUR RENDEZ-VOUS

En France, l'exemple le plus prometteur est sans doute de l'agence sur rendez-vous. Le concept a été notamment expériment­é par la Bred (Banques populaires) qui l'a jugé suffisamme­nt pertinent pendant la crise sanitaire pour le généralise­r à tout son réseau en décembre dernier.

L'agence est uniquement accessible sur rendez-vous les après-midi et les clients peuvent réserver leur créneau horaire en ligne d'une façon aussi simple que sur des applicatio­ns comme Doctolib. En revanche, les agences restent ouvertes au public les matinées, pour des opérations basiques ou des déclaratio­ns de vol de cartes.

Pour la Bred, c'est une façon efficace de gérer les flux et d'améliorer la disponibil­ité du conseiller. D'une façon plus confidenti­elle, d'autres réseaux testent également le concept, en l'orientant notamment sur le conseil patrimonia­l, comme la Caisse d'épargne Bretagne Pays-de-Loire.

RÉORGANISA­TION DES HORAIRES D'AGENCES

De son côté, BNP Paribas a commencé à mettre en oeuvre un vaste plan de réorganisa­tion de son réseau qui vise à adapter les horaires d'ouverture en fonction des zones d'implantati­on. Ainsi, la banque a classé ses agences en trois catégories en fonction de l'amplitude des horaires : les agences dans les grandes agglomérat­ions resteront ouvertes 39 heures par semaine alors que les deux groupes basculeron­t sur des rythmes de 37 et 35,5 heures.

La question des plages d'ouvertures des agences, conjuguée avec les négociatio­ns sur le télétravai­l, vont sans doute occuper les directions des ressources humaines des grandes banques dans les prochains mois. De fait, aujourd'hui, un conseiller en agence peut facilement basculer sur une plateforme à distance sur une partie de la semaine, comme cela se pratique déjà dans d'autres pays.

« La dématérial­isation de l'offre de produits et services s'est grandement accélérée, notamment au niveau de la souscripti­on et les banques incitent de plus en plus au Selfcare, c'est-à-dire à la prise en charge des opérations les plus simples par les clients-eux-mêmes. C'est dans ce contexte que l'agence sur rendez-vous prend son essor et que la visiophoni­e se développe dans certains réseaux, comme le Crédit mutuel », avance Frédéric Bois, Chef de projet chez Sémaphore Conseil.

MAINTENIR LA PROXIMITÉ À MOINDRE COÛT

D'autres expérience­s se mettent en place en Europe. Le groupe ING développe aux Pays-Bas le principe des « corners », ces espaces simplifiés de services financiers dans des magasins de proximité, comme les épiceries. Une idée déjà ancienne en France notamment au Crédit agricole avec ses « points verts » en zone rurale.

En Allemagne, des banques testent la mutualisat­ion des agences, c'est-à-dire le partage d'une même agence par deux enseignes concurrent­es, en l'occurrence la banque mutualiste Frankfurte­r Volksbank et la Caisse d'Epargne Taunus Sparkasse. Une idée qui pourrait intéresser un groupe comme BPCE, qui coiffe à la fois les Banques populaires et les Caisses d'épargne.

Ce concept est d'ailleurs repris au Royaume-Uni, où Natwest, Lloyds Bank et Barclays proposent, pour la clientèle entreprise, des centres d'affaires partagés. Autre exemple, la recette du bus itinérant est remise au goût du jour en Espagne par Bankia Bank, qui vient d'être rachetée par Caixa Bank. Enfin, après la disparitio­n du cash dans les agences - une des principale­s mesures de ces dernières années - la Belgique teste la sous-traitance complète des distribute­urs de billets à des partenaire­s non-bancaires.

L'objectif de toutes ces initiative­s n'est pas tant de faire « revenir » les clients à l'agence que d'adapter l'agence aux nouveaux usages des clients. L'agence du futur doit désormais trouver sa place entre les canaux numériques, désormais sources de revenus grâce à la signature électroniq­ue, les profondes réorganisa­tions à venir des forces commercial­es, notamment avec la montée du télétravai­l, l'optimisati­on du parc immobilier et, c'est sans doute l'essentiel, les attentes des clients. Le tout sous contrainte de rentabilit­é. Le chantier ne fait donc que commencer.

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