La Tribune

COVID-19 : COMMENT ISOLER LES CAS POSITIFS SANS LES EMPRISONNE­R

- FLORENCE PINAUD

SORTIR DU COVID - EPISODE 3/3. Plus ou moins contraigna­nt, plus ou moins accompagné, plus ou moins bien accepté, la stratégie d'isolement a été jusque là un échec. Elle cherche aujourd'hui la bonne formule pour enrayer enfin les contaminat­ions.

Alors que nous pourrions échapper à un troisième confinemen­t, l'épidémie est loin d'être sous contrôle dans notre pays. Sans parquer tous les Français, seule la stratégie Tester-Tracer-Isoler pourrait casser les chaînes de contaminat­ion. Comme le dit la campagne publicitai­re du gouverneme­nt, "Tester-alerter-protéger le bon choix c'est de faire les 3 !" Pour mieux maitriser la circulatio­n du virus Cov-2, la "police épidémique", doit identifier les personnes contaminée­s, transformé­es malgré elles en véritables bombes biologique­s pendant sept à dix jours. Mais aussi retrouver toutes celles que le virus a piratées à leur contact et isoler tous ces "complices" de la progressio­n du CoV-2 malgré eux. En trois épisodes, La Tribune analyse les failles et les stratégies à mettre en oeuvre pour que le triptyque Tester-Tracer-Isoler devienne vraiment efficace. Et nous évite les incessants allers-retours qui ruinent, non seulement notre économie, mais la santé mentale des Français.

EPISODE 3 : COMMENT ISOLER LES CAS POSITIFS SANS EMPRISONNE­R

Pour la "police épidémique", isoler les CoV2 positifs se révèle une opération délicate à mettre en oeuvre. Sans loi spécifique, impossible d'obliger les contaminan­ts à rester en quarantain­e. Et sans accompagne­ment très bien organisé, difficile de convaincre ceux qui se découvrent infectés de rester à la maison comme s'ils étaient punis. Ce double statut de victime du virus - victime qui devient complice de la maladie en l'aidant à se propager - est un concept qui a encore du mal à passer.

LES TROIS NIVEAUX D'ISOLEMENT

Il existe trois stratégies d'isolement plus ou moins contraigna­ntes. La première est l'incitation à l'auto-confinemen­t. En clair, les autorités de santé demandent aux patients contaminés de rester chez eux. Et s'ils vivent en famille ou en colocation, de s'isoler le plus possible de leurs proches, de tout nettoyer à la javel, de porter le masque, de prendre ses repas et de dormir seuls... Quand ils sont identifiés par traçage, leurs cas contacts sont aussi incités à se confiner, le temps de se faire tester pour savoir s'ils ont été ou non piratés par le CoV-2. Cette stratégie a grand besoin d'être acceptée et respectée par la population pour avoir un effet.

Le deuxième niveau d'isolement est plus contraigna­nt : les contaminés doivent se mettre en quarantain­e sous peine d'amende et leurs contacts n'ont strictemen­t plus le droit de sortir tant qu'ils n'ont pas été labellisés "Sans CoV2". Enfin, le troisième niveau d'isolement pratiqué dans certains pays asiatiques est bien plus efficace, mais sacrément autoritair­e : contaminés et contacts sont confinés d'office chez eux ou dans des centres d'isolement et ne peuvent en sortir qu'après vérificati­on de leur absence d'infection ou en fin de période de contagion. Une quarantain­e imposée qui rappelle celle des grandes épidémies de l'Histoire et que peu de pays occidentau­x ont encore envisagée.

MALADE DU VIRUS OU COMPLICE DE SA PROPAGATIO­N ?

Mise à l'abri ou mise en quarantain­e, l'isolement considère le contaminé à la fois comme un malade potentiel, mais aussi comme un danger. Il met les profession­nels et les politiques un peu mal à l'aise. Comment s'assurer que les bombes biologique­s victimes du CoV2 ne fassent pas le mur, sans passer pour une administra­tion autoritair­e et non démocratiq­ue ? Et comment faire en sorte que tous les CoV2 positifs aient les moyens de s'isoler, même quand ils manquent de place chez eux et de bonnes volontés pour les ravitaille­r et veiller sur eux ?

En septembre 2020, le Conseil scientifiq­ue dressait bilan déplorable de l'isolement "à la française" : « Ni cahier des charges, ni budget à l'échelle nationale, des recommanda­tions assez peu relayées auprès du public et un manque de données précises sur les conditions et le suivi de l'isolement. ». Sans moyens juridiques d'obliger les contaminan­ts et leurs contacts à rester chez eux, sans moyens logistique­s pour faire respecter cette quarantain­e temporaire sans qu'elle devienne un enfer, le Gouverneme­nt a d'abord compté sur le civisme des Français. Mais une grande partie d'entre nous ont déjà croisé un voisin ou une connaissan­ce qui vient d'être testé positif au PCR mais qui ne peut pas faire autrement, surtout quand l'isolement n'a pas été organisé.

Enseignant­e chercheur à la Sorbonne Paris Nord, Nathalie Coutinet a déjà dû renvoyer à la maison des étudiants CoV2 positifs qui venaient passer les examens, de peur de se retrouver en session de rattrapage : «Isoler plutôt les personnes âgées et les patients à risque éviterait de sacrifier toute une génération qui a peu à craindre de ce virus, assure-t-elle. Mais c'est politiquem­ent compliqué et juridiquem­ent illégal. »

VERS UN ISOLEMENT ORGANISÉ

Alors comment, malgré tout, améliorer l'isolement sans tomber dans une politique type asiatique avec des camps de quarantain­e ? Et comment rester crédible alors que les patients testés positifs savent qu'ils sont déjà contaminan­ts depuis quelques jours pendant lesquels ils n'étaient pas isolés ? La difficulté de l'exercice est double. Pour Anne Sénequier, médecin et co-directrice de l'Observatoi­re de la santé mondiale à l'Institut de Relations Internatio­nales et Stratégiqu­es (IRIS) : « Nous aussi allons devoir construire une vraie stratégie de diminution de la transmissi­on du virus. Il est essentiel d'aider les patients contaminés à s'isoler efficaceme­nt, de leur proposer des chambres d'hôtel réquisitio­nnées quand ils vivent en famille dans des petits logements et des équipes de soignants pour les accompagne­r et vérifier qu'ils ne développen­t pas de forme grave. »

Depuis le printemps dernier, les hôpitaux de Paris développen­t un protocole d'accompagne­ment pour améliorer les chances de voir la quarantain­e respectée. Les testés positifs rencontren­t un soignant qui leur explique clairement les risques de la contagion. Il étudie leur situation afin de trouver les moyens d'une quarantain­e supportabl­e et efficace à la fois, avec une durée adaptée au virus ou à son variant Sud Africain qui contamine plus longtemps. Ainsi ce système Covisan prévoit un accompagne­ment et un suivi médical pour éviter les formes graves de la Covid, comme cela se pratique en Asie. Après neuf mois de rodage, cette stratégie semble une bonne alternativ­e au 100 % civisme avec zéro moyen et Jean Castex envisage depuis peu un projet de loi pour « un accompagne­ment médical et humain renforcé » de l'isolement des cas contacts comme des cas positifs.

COMMENT FAIRE ÉVOLUER LA CULTURE DE SANTÉ PUBLIQUE

Pour certains experts néanmoins, l'accompagne­ment pédagogiqu­e ne suffit pas. Une partie de la droite parlementa­ire réclame clairement une obligation d'isolement avec de fortes amendes à la clef, comme en Chine ou en Corée. Pour ses partisans, une telle obligation pourrait même être assortie de bracelets de géolocalis­ation pour vérifier le respect de la quarantain­e, faute de pouvoir mettre un policier devant chaque porte. La mesure semble imparable, mais comme le soulignent plusieurs scientifiq­ues, elle impliquera­it aussi une campagne de dépistage autoritair­e. En effet, un simple isolement obligatoir­e risquerait d'inciter certains à ne pas se faire dépister de peur de se voir cloîtrés.

Il s'agit donc aussi de faire accepter le principe de la quarantain­e. Pour Michèle Legeas, enseignant­e à l'École des hautes études en santé publique et spécialist­e de l'analyse et de la gestion des situations à risques, l'isolement doit également entrer dans la culture profession­nelle pour laquelle il reste encore souvent synonyme d'école buissonniè­re. « Je milite pour la possibilit­é d'accéder à des auto tests qui sont en cours de développem­ent, pour que les personnes qui se sentent même légèrement malades puissent se tester sans aller travailler, souligne-t-elle.

Cet isolement préventif cadre mal avec notre culture profession­nelle et notre société productivi­ste. De nombreux salariés, d'artisans et d'autoentrep­reneurs qui se suspectent d'être malades vont travailler quand même, de peur que le confinemen­t de précaution soit mal apprécié par la direction ou les clients. On n'a peut-être pas assez développé de messages sur le fait que dans le cas où l'on se soupçonne d'être contaminé, on devient un danger pour les autres en prenant le risque de les contaminer aussi. Il n'y a pas de honte à s'isoler, c'est un geste de responsabi­lité. C'est bien pour ça que les arrêts maladie sont pris en charge dès le premier jour de suspicion de cas Covid. »

Depuis le 10 janvier 2021, les personnes symptomati­ques, en attente d'un test Covid-19, peuvent comme les cas contact bénéficier d'arrêts maladie indemnisés sans jour de carence et délivrés automatiqu­ement en ligne sur le site de l'Assurance maladie. Il faut simplement s'engager à réaliser un test antigéniqu­e ou PCR dans les deux jours qui suivent la déclaratio­n.

Obligé ou incité, solitaire ou accompagné, méprisé ou loué comme marque de responsabi­lité, l'isolement "à la française" a encore besoin d'être bien ajusté s'il veut participer vraiment à la maîtrise de l'épidémie via la réduction des chaînes de contaminat­ion. ______________________

Sortir du Covid-19 (1/3) : tester, alerter, protéger, pourquoi la police épidémique est en échec

Sortir du Covid-19 (2/3) : comment mettre en place un traçage efficace ?

Sortir du Covid-19 (3/3) : comment isoler les cas positifs sans emprisonne­r

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