La Tribune

EN ALLEMAGNE, LES EMPLOIS PRECAIRES VICTIMES COLLATERAL­ES DE LA CRISE SANITAIRE

- AFP, DAVID COURBET

"Qui se soucie de nous, les travailleu­rs pauvres allemands?", s'interroge Viola Auer. Depuis la perte de son emploi, à l'automne dernier, cette quadragéna­ire vit dans le plus grand dénuement.

Son poste de conductric­e de car scolaire était un "mini-job", l'un de ces contrats à temps partiel plafonnés à 450 euros par mois qui se sont multipliés en Allemagne ces dernières années. Non soumis aux cotisation­s sociales, il ne permet pas à Viola Auer de toucher des indemnités chômage. A 47 ans, cette mère de deux enfants ne peut compter que sur l'aide de ses voisins et une maigre allocation d'adulte handicapée.

Les "mini-jobeurs" sont "les grands perdants de la crise sanitaire" déclenchée par la pandémie de Covid-19 en Allemagne, affirme l'institut économique de référence DIW.

Déjà décriée en temps normal, la précarité de ces contrats à temps partiel se fait encore plus durement sentir depuis un an.

"Je garde la tête haute et me bats pour tenir le coup", assure Viola Auer, qui espère tout de même décrocher un autre "mini-job" auprès de la ville de Singen, dans le sud-ouest de l'Allemagne, où elle réside.

Mais les offres pour ce type d'emplois, à 60% occupés par des femmes, ne sont pas épargnées par le ralentisse­ment économique. Plus de 870.000 mini-jobs ont disparu en Allemagne au cours de l'année écoulée, portant leur nombre au plus bas depuis 2004.

BOMBE À RETARDEMEN­T

L'hôtellerie et la restaurati­on, particuliè­rement touchées par les restrictio­ns sanitaires, sont les secteurs les plus affectés.

Matthias Eichner, un cuisinier de 67 ans, a ainsi vu se réduire comme peau de chagrin le nombre de ses heures dans un établissem­ent de Görlitz (Saxe).

Malgré la fermeture des restaurant­s depuis novembre, son employeuse lui accorde cinq heures de travail mensuel pour éviter de le licencier.

Après 47 ans d'activité, il avait accepté à contrecoeu­r cet emploi peu rémunéré.

"A mon âge, j'aurais préféré m'occuper paisibleme­nt de mon jardin mais avec une retraite de 1.000 euros, je n'avais pas le choix", soupire-t-il.

Près d'un quart des "mini-jobeurs" ont 60 ans ou plus; 91% n'ont pas suivi d'études supérieure­s.

De 2003 à 2019, cette catégorie d'emplois a crû de 43% jusqu'à concerner 7,6 millions de travailleu­rs sur une population active de 42 millions de personnes.

Ces contrats apparus dans les années 1970 se sont développés après la flexibilis­ation du marché du travail initiée par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder en 2003.

Ils permettent en partie d'expliquer le faible taux de chômage allemand qui tournait avant la crise sanitaire autour de 5% quand il atteignait encore 11,5% en avril 2005. En janvier, le taux de chômage était de 6%.

Mais ils sont aussi accusés d'alimenter une "bombe à retardemen­t" en condamnant leurs bénéficiai­res à des retraites dérisoires.

"Il faudrait fixer un montant de retraite minimal pour que les gens puissent vivre dignement!", s'insurge M. Eichner.

"MISÉRABLES"

"Les mini-jobs ne sont pas une bonne solution à moyen et long terme car ils risquent de faire basculer des retraités dans la pauvreté", faute d'avoir cotisé suffisamme­nt, explique à l'AFP Karin Schulze Buschoff de l'Institut allemand des sciences économique­s et sociales (WSI). Elle plaide pour une réforme qui rendrait ces contrats moins attractifs, en abaissant par exemple le plafond de rémunérati­on.

A l'inverse, Holger Schäfer, économiste de l'Institut de l'Economie allemande (IW), proche du patronat, est favorable à une levée des limitation­s horaires : "l'emploi serait plus stable si les horaires de travail étaient plus longs", assure-t-il

Véritables instigateu­rs de ces mini-jobs, les sociaux-démocrates trainent ce dispositif néolibéral comme un boulet. Certains de ses membres font leur mea culpa et jurent vouloir "améliorer" le système, tout comme les Verts qui ambitionne­nt d'accéder au gouverneme­nt à l'issue des législativ­es de septembre prochain.

Die Linke, formation de gauche radicale, milite pour leur suppressio­n pure et simple. "On savait déjà avant la crise que les conditions de travail de ces mini-jobs étaient souvent misérables et que personne ne peut vivre de leurs salaires", explique à l'AFP Sabine Zimmermann, porte-parole de leur groupe parlementa­ire sur les questions du marché du travail. "La pandémie a mis en évidence leur manque de protection".

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