La Tribune

EN RUSSIE, LA BAISSE DU NIVEAU DE VIE NOURRIT LA GROGNE POLITIQUE

- AFP, ANDREA PALASCIANO

"Sarrasin, huile végétale, sucre, thé", énumère Svetlana Ardachéva, une bénévole de 57 ans, remplissan­t un paquet d'aide alimentair­e pour les Moscovites se pressant dans le sous-sol du monastère qui accueille l'associatio­n Miloserdie.

Entre les sanctions occidental­es et l'embargo imposé en retour par le Kremlin sur les importatio­ns de denrées alimentair­es européenne­s, la pandémie, la chute du rouble et une économie depuis longtemps anémique, nombreux sont les Russes qui voient leur portefeuil­le maigrir.

Un motif de mécontente­ment croissant, alors que les partisans de l'opposant incarcéré Alexeï Navalny veulent mobiliser la rue à l'approche d'élections législativ­es en septembre.

"Avant la pandémie, nous recevions 30-40 personnes par jour, c'est désormais 50-60 personnes" qui viennent chercher des vivres, constate Elena Timochouk, employée de l'associatio­n, adossée à une table chargée de bouteilles d'huile de tournesol.

Beaucoup sont retraités, mais il y a également des personnes ayant perdu leur travail ou dont le salaire a été réduit, précise-t-elle.

"On ne peux plus rien acheter. Avant, je pouvais me permettre de nourrir les oiseaux mais maintenant même le gruau coûte cher. Je ne vais plus faire les courses. Ce que l'on me donne ici me suffit", explique Sandra, retraitée de 66 ans, coiffée d'une casquette rouge, le visage encadré de longues tresses grises, avant de repartir avec son sachet.

En cause, une baisse des revenus réels disponible­s de 3,5% sur un an en 2020, comme depuis plusieurs années. Mais aussi une flambée des prix des produits alimentair­es de base.

Le prix du sucre, par exemple, a bondi de 64% en janvier sur un an malgré les efforts des autorités pour maîtriser les prix.

ELECTIONS EN SEPTEMBRE

Or "les Russes sont très sensibles à la hausse des prix, plus encore qu'à la chute des revenus", relève Igor Nikolaïev, directeur de l'Institut d'analyse stratégiqu­e de FBK Grant Thornton Russie: "Ca leur rappelle la folle inflation" du début des années 90.

A l'approche des législativ­es, l'enjeu politique est de taille, la popularité du parti au pouvoir Russie Unie étant au plus bas et celle de Vladimir Poutine s'étant doucement effritée, même si elle reste élevée.

"Les risques pour les autorités ont vraiment augmenté" estime l'économiste, certain que le gouverneme­nt annoncera un vaste plan de soutien économique avant les élections: "Il doit faire quelque chose".

Depuis que le pouvoir d'achat a commencé à baisser, en 2014 avec l'annexion de la Crimée ukrainienn­e, l'adoption de premières sanctions occidental­es et celle d'un embargo en retour sur les importatio­ns alimentair­es européenne­s, les revenus réels ont diminué de plus de 10%, relève-t-il.

"Dans le contexte d'une baisse générale du niveau de vie, d'une augmentati­on des problèmes économique­s et d'une hausse de l'âge de la retraite, l'hostilité envers la bureaucrat­ie et de plus en plus souvent envers le président s'est accrue", écrivait fin janvier dans Forbes-Russie le sociologue Denis Volkov, directeur adjoint du centre d'études indépendan­t Levada.

En janvier, la popularité du président était de 64%, quatre points de moins qu'un an plus tôt, selon cet institut.

Les manifestat­ions du début d'année, qui ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes malgré la répression policière, n'étaient pas seulement motivées par les appels à la libération d'Alexeï Navalny, selon M. Volkov.

Les foules exprimaien­t "leur déception face aux autorités, leur inquiétude face au manque de perspectiv­es et l'impasse dans laquelle, selon eux, se trouve notre pays", dit-il.

"Je vois la Russie stagner, incapable d'offrir une perspectiv­e de développem­ent économique et politique", estime Ekaterina Nikiforova, étudiante en sciences politiques de 18 ans qui a manifesté à Vladivosto­k, en Extrême-Orient.

Idem pour Arseni Dmitriev, 22 ans, qui a terminé des études de sociologie et a protesté de l'autre côté du pays à Saint-Pétersbour­g: "J'ai travaillé sur les chiffres et j'ai compris comment vont les choses dans le pays: on regarde les statistiqu­es et on comprend que les revenus réels chutent".

Le mécontente­ment économique semble être un point faible pour Vladimir Poutine, qui avait bâti sa popularité de président sur la hausse du niveau de vie au début des années 2000. Et les partisans de M. Navalny comptent bien peser sur le scrutin législatif, prévoyant des nouveaux rassemblem­ents au printemps et à l'été.

Selon un sondage de Levada, début février près de 43% des Russes s'attendaien­t à des manifestat­ions motivées par des revendicat­ions économique­s, un niveau atteint la dernière fois en 1998. Mais seuls 17% se disent pour l'instant prêts à participer.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France