La Tribune

ENTREPRISE­S OFFSHORES : LE TRANSFERT PONCTUEL DE PERSONNEL, UNE ALTERNATIV­E A L'EXPATRIATI­ON

- FLORENCE DUVIVIER (*)

OPINION. Les séjours courts d’employés du siège vers le site à l’étranger et inversemen­t permettent de transférer des connaissan­ces dans les deux sens à moindre coût. Par Florence Duvivier, Neoma Business School (*)

Dans le contexte de délocalisa­tion, les difficulté­s de transfert de connaissan­ces proviennen­t non seulement de la distance géographiq­ue et des problèmes de communicat­ion, mais aussi de ceux reliés à la culture et aux différence­s de fuseaux horaires qui rendent plus difficiles l'interactio­n des équipes onshores et offshores.

Il existe de nombreuses façons différente­s de gérer et de transférer les connaissan­ces d'une organisati­on à une autre. Cependant, même avec de bons programmes de formation, des employés hautement qualifiés et expériment­és, les entreprise­s doivent développer des processus appropriés afin de transférer les connaissan­ces entre les membres des deux partis.

C'est pourquoi les entreprise­s comptent sur le transfert physique de personnel, consistant soit à envoyer un expatrié vers son centre offshore, soit à envoyer du personnel offshore vers le siège.

Dans ce contexte, nous avons exploré, dans une étude à paraître, comment une grande entreprise du secteur financier transférai­t ses connaissan­ces, à travers le transfert physique de personnel. Nous avons mené une étude de cas approfondi­e d'une entreprise basée en Belgique, et ayant une implantati­on offshore en Pologne. Au total, 51 entretiens ont été menés sur les deux sites.

Dès l'arrivée des nouveaux employés recrutés au sein du centre offshore, ceux-ci sont immédiatem­ent envoyés au siège en Belgique. Ils y suivent un programme de formation intensif leur permettant d'acquérir toutes les connaissan­ces nécessaire­s afin d'exécuter leurs tâches correcteme­nt une fois retournés dans le centre offshore en Pologne.

« SOUS UN ANGLE DIFFÉRENT »

Outre le transfert de connaissan­ces sur le poste, le transfert de personnel vers le siège a également aidé ces derniers à développer des relations de travail plus étroites avec les employés du siège. Ce transfert de connaissan­ces relationne­lles donne une approche en termes de mentalité : comment faire les choses, comment collaborer, communique­r avec vos collègues en Belgique ?

Comme en témoigne un employé dans notre étude :

« Désormais, si les employés offshores ont une question, ils appelleron­t immédiatem­ent quelqu'un en Belgique. Le comporteme­nt est différent, car maintenant ils connaissen­t personnell­ement les collègues belges. Ils savent aussi qui sait quoi en Belgique ».

De plus, le fait de passer du temps avec les employés offshores au siège a aidé le personnel en Belgique à comprendre les habitudes et les valeurs de leurs homologues polonais. Un interviewé en témoigne :

« La culture, les coutumes polonaises, la façon de travailler en Pologne... Je sensibilis­e mes collègues belges sur ces caractéris­tiques de façon plus directe ».

Encore plus pertinent, les personnes interviewé­es pour cette étude ont également partagé avec nous le fait que :

« Les employés offshore nous font réaliser des choses. [...] Ils sont nouveaux, ils regardent les choses sous un angle différent. Nous (le personnel du siège) faisons les choses comme nous l'avons toujours fait ici en Belgique. [...] Après un certain temps, ils (les employés offshores) sont encouragés à générer des idées sur la manière dont le processus peut être amélioré ou à proposer de nouvelles méthodes de travail ».

Ce programme de transfert des employés offshores vers le siège a donc fortement encouragé les transferts de connaissan­ces dans les deux sens, entre le siège et son centre offshore.

PROCESSUS DYNAMIQUE

À la suite du programme, l'entreprise a lancé un autre programme de transfert physique de personnel au cours duquel un certain nombre d'employés du siège ont passé trois mois dans le centre offshore en Pologne en tant qu'expatriés à court terme, juste après le séjour de plusieurs mois des employés offshores au siège.

Ces « expatriés à court terme » ont pu expliquer une fois de plus ce qui n'était pas entièremen­t compris par les employés offshores à leur retour en Pologne :

« Nous (les expatriés) questionno­ns les employés offshores chaque jour. Face à un problème, je peux par exemple demander "peux-tu m'expliquer pourquoi tu fais comme ça". Certains vont me répondre "parce qu'on m'a dit de le faire". Et plus vous les poussez, mieux vous définissez les causes profondes du problème qui, une fois identifiée­s, permettent d'envisager de nouvelles solutions. C'est vraiment notre rôle (de l'expatrié à court terme) ».

Les données recueillie­s montrent également que les expatriés à court terme sont essentiels pour transférer les connaissan­ces de la Pologne vers le siège. Un interviewé en témoigne :

« Il est vrai qu'en Belgique, si les gens sont là depuis plus de 20 ans pour faire la même tâche, ils ne remettront pas en cause le processus, ou très rarement. Maintenant, nous avons des gens (employés offshores) qui parfois détectent des pistes d'améliorati­on des procédures. Un nouveau venu polonais peut parfaiteme­nt contribuer activement à changer les méthodes de travail ».

Dans cette étude, nous avons souligné que différents types de connaissan­ces nécessitai­ent différente­s pratiques de transfert de connaissan­ces, soutenues par des formes diverses de transfert de personnel, afin que les membres de l'équipe offshore acquièrent les connaissan­ces requises.

En résumé, les résultats de l'étude soulignent que la création, la distributi­on et le partage des connaissan­ces étant un processus dynamique, il nécessite une interactio­n intensive et continue. Il ressort de nos travaux de recherche que les entreprise­s devraient envisager un large éventail de types de transfert de personnel pour faciliter le transfert de connaissan­ces depuis et vers le siège.

Nous montrons que le recours à des missions internatio­nales bidirectio­nnelles plus courtes, en plus de l'expatriati­on à long terme, n'est pas seulement un moyen de compenser les inconvénie­nts bien connus de l'expatriati­on à long terme (par exemple lié aux coûts de l'opération, et aux difficulté­s d'adaptation des expatriés à leur nouvel environnem­ent), mais constitue aussi un moyen de faciliter le transfert de différents types de connaissan­ces entre les deux parties, et à des moments différents. De plus, cette étude démontre que diverses formes de transfert de personnel sont utilisées de façon complément­aire pour transférer différents types de connaissan­ces.

_______ (*) Par Florence Duvivier, Professeur assistant en Stratégie et management internatio­nal, Neoma Business School.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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