La Tribune

IL SERAIT TEMPS DE VRAIMENT FACILITER L'INVESTISSE­MENT ETRANGER EN FRANCE

- EMMANUEL RUCHAT (*)

OPINION. La 4e édition du sommet Choose France a été reportée. En 2020, ce sommet avait été l'occasion pour le gouverneme­nt de rappeler que l'attractivi­té de la France se maintient à des niveaux particuliè­rement élevés. En réalité, c'est une chose d'être attractif mais c'en est une autre de concrétise­r cette attraction pour faire en sorte que l'investisse­ment arrive de manière effective. (*) Par Me Emmanuel Ruchat, avocat au barreau de Paris.

Après le tir nourri de critiques qui a suivi son refus d'un rapprochem­ent entre Carrefour et le canadien Couche-Tard, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a affirmé que la France « reste ouverte aux investisse­ments étrangers ». Cette déclaratio­n, si elle s'inscrit dans la volonté de pédagogie proclamée par le gouverneme­nt, résiste mal aux constats quotidiens des praticiens du conseil aux investisse­urs étrangers.

Malgré les efforts déployés en particulie­r depuis 2017, les investisse­urs étrangers, quand ils ne se heurtent pas comme Couche-Tard à des obstacles politiques - justifiés ou non - voient surtout leurs démarches contrecarr­ées par une série d'obstacles typiquemen­t français. D'une certaine manière, ce n'est qu'à la double condition d'être un groupe d'envergure et de ne pas nuire aux choix politiques et économique­s du pays qu'ils échappent aux tracasseri­es et peuvent emprunter une sorte de fast track. C'est oublier que les petits et moyens investisse­urs potentiels sont beaucoup plus nombreux que les grands, de la même manière que c'est un tissu de PME à l'allemande qui fait une économie forte.

Lire aussi : Couche-Tard laisse la porte ouverte à Carrefour, si l'État français change d'avis

LE « FRENCH TECH VISA »

Il faut d'abord déplorer l'incroyable multiplici­té des programmes et options proposés. Le « passeport talent », dont la dénominati­on fait parfois croire aux candidats qu'on leur donne la nationalit­é (alors qu'elle ne sera « disponible » en général qu'après cinq ans de résidence) est en fait un « visa séjour » qui contient lui-même pas moins de onze catégories, dont quatre peuvent concerner des entreprene­urs et investisse­urs. Il faut lui ajouter le « French Tech visa », qui contient lui-même trois sous-catégories (investisse­urs, fondateurs, collaborat­eurs). S'agissant précisémen­t des collaborat­eurs, qui souvent feront partie du voyage, il ont aussi droit à trois passeports talents différents. Il faut ajouter à tout cela une myriade de cartes de séjour temporaire­s pour les entreprene­urs, les profession­s libérales, les salariés, les cartes pluriannue­lles assorties de cartes bleues européenne­s et autres cartes pour la famille accompagna­nte. Il est urgent de simplifier le système.

Lors de la constituti­on du dossier, on s'aperçoit que de manière étrange, certains programmes ont été pensés pour des étrangers qui résident déjà en France. Cela peut déjà sembler regrettabl­e en temps normal, même si c'est compréhens­ible du point de vue politique de la sécurisati­on des flux migratoire­s : on estime alors que ceux qui sont déjà parvenus à poser le pied sur le territoire et à y rester dans de bonnes conditions ont en quelque sorte montré patte blanche et méritent de développer une activité économique. Mais c'est particuliè­rement contre-productif dans la période actuelle, qui doit évidemment faire de l'attraction de l'argent étranger une priorité.

Ainsi, pour mettre l'accent sur l'exemple le plus saillant, les candidats au passeport talent « entreprene­ur » doivent déjà posséder un compte bancaire français - tandis que ceux qui veulent un passeport talent « investisse­ur » peuvent se contenter d'un compte bancaire européen, comprenne qui pourra. Dans tous les cas, cette condition est une formalité pour ceux qui résident déjà en France, ne serait-ce qu'au titre du droit au compte. Pour les autres, c'est une tout autre affaire, un véritable chemin de croix qui les conduit parfois à renoncer ou à s'orienter vers d'autres pays moins kafkaïens. Il faut avoir tenté l'expérience d'ouvrir un compte bancaire français lorsqu'on n'est pas résident pour avoir une idée du calvaire que cela représente.

L'IMPOSTURE FATCA

En fait, il faut le dire, la « compliance » a bon dos et il est temps que les banques aient une obligation de rendre des comptes sur leur inaptitude à l'action intelligen­te en matière de comptes bancaires. Avec l'imposture FATCA, les États-Unis ont plongé le monde, en particulie­r l'Europe, dans une servilité bancaire indécente, mais qui convient très bien aux banques, à leur frilosité naturelle, à leur incompéten­ce et à leur affligeant­e mauvaise volonté. Ce faisant, ils sont devenus le premier paradis fiscal au monde, puisque ce sont les seuls qui ne communique­nt pas les données des titulaires étrangers des comptes ouverts dans leurs banques.

Par contre, ils traquent leurs ressortiss­ants qui se voient quasiment interdits bancaires de fait dans le monde entier. On pourrait penser que « c'est une autre histoire », mais c'est très lié à notre sujet : nous payons les conséquenc­es d'une volonté américaine d'attirer les investisse­ments sur son sol et de les détourner du nôtre et de notre choix politique d'asservisse­ment mollasson en faisant croire qu'il en allait de notre sécurité. C'était une farce. La situation des investisse­urs potentiels iraniens en est une illustrati­on parfaite : le « cordon sanitaire » mis en place, auquel l'Europe ne participe officielle­ment pas, empêche en pratique toute opération bancaire, tout ouverture de compte, tout flux, tout projet iranien. Or il y a en Iran de nombreux chefs d'entreprise, souvent issus d'une longue lignée, qui ne demandent qu'à quitter ou fuir leur pays et qui auraient largement les moyens de contribuer à notre économie.

UNE VOLONTÉ BIENVENUE D'IMMIGRATIO­N CHOISIE

Les travaux parlementa­ires montrent que l'objectif de cette contrainte est de pouvoir « authentifi­er les relevés de compte ». C'est oublier qu'il existe bien des moyens de le faire dans le pays d'origine avec une marge de sécurité suffisante, comme on le fait avec un extrait d'acte de naissance par exemple. C'est négliger aussi le fait que lorsque le candidat parvient malgré tout à ouvrir un compte français, par définition l'historique de celui-ci est court, donc peu instructif. Surtout, c'est faire fi de l'esprit de la loi, qui tend à attirer des investisse­urs et des entreprene­urs qui peuvent démontrer leur fiabilité et leur succès par bien d'autres moyens qu'un vulgaire compte bancaire.

La loi du 7 mars 2016 instaurant le passeport talent s'inscrivait dans une volonté bienvenue d'immigratio­n choisie, tout en supprimant l'inanité de l'ancien système de « carte pour une contributi­on économique exceptionn­elle » qui posait d'autres exigences draconienn­es et ne connaissai­t donc aucun succès. Mais elle contenait en germe les ingrédient­s d'un résultat qui serait forcément mitigé. Le passeport talent mériterait un coup d'accélérate­ur ; n'oublions pas qu'il en va autant des recettes fiscales que de la situation de l'emploi : les candidats investisse­urs s'engagent en effet à investir un minimum de 300.000 euros et à créer ou sauvegarde­r l'emploi.

Il faut aussi dire un mot de l'attitude hostile de certaines ambassades, fort heureuseme­nt pas toutes. Bien sûr il faut vérifier l'historique de ces candidats et ne pas renoncer aux impératifs de sécurité, mais certains préjugés ont la vie dure et le délit de faciès existe aussi en la matière. Ici, il conduit cette fois la France à passer à côté d'opportunit­és économique­s importante­s.

Il faut enfin garder à l'esprit que ces investisse­urs ne proposent pas de racheter des fleurons français qui passeraien­t ainsi sous pavillon étranger : ils créent des entreprise­s ou éventuelle­ment en rachètent des petites qui en ont besoin.

Il faut bien entendu saluer les initiative­s du gouverneme­nt comme la mise à dispositio­n de sites industriel­s "clé en main" ou l'améliorati­on de la lisibilité du droit des sociétés. Mais avant de peaufiner les coutures du système, il faudrait supprimer les vices cachés dont il est affublé.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France