La Tribune

AUVERGNE RHONE-ALPES : APRES LE CHOC, ET SI LE VISAGE DU TOURISME EVOLUAIT LUI AUSSI ?

- MARIE LYAN

INTERVIEW. Le tourisme en Auvergne Rhône-Alpes est encore sous oxygène, en plein coeur des vacances de février. En l'absence de remontées mécaniques, c’est l’ensemble de la filière touristiqu­e régionale, qui pèse habituelle­ment 21,2 milliards d’euros et 180.000 emplois, qui est amenée à se réinventer. Et si cet épisode induisait une transforma­tion profonde du visage de notre tourisme régional, intégrant la notion de télétravai­l notamment ? Eléments de réponse avec le patron de l’agence Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme, Lionel Flasseur.

LA TRIBUNE AURA - Après le choc de 2020, les pistes de rebond. Pour avoir une lecture plus précise des changement­s induits par la pandémie sur le secteur du tourisme, Auvergne Rhône-Ales Tourisme a commandé récemment une étude sociologiq­ue auprès du cabinet Sociovisio­n (une entité du groupe Ifop).

Celle ci confirme notamment l'apparition d'un certain nombre de réflexes post-crise, comme l'avènement du consommer local, une forme de repli sur soi, ou encore un retour au faire soimême et aux circuits de proximité... Ces enseigneme­nts vous ont-ils surpris ?

LIONEL FLASSEUR - "On s'est finalement aperçus, en analysant les six dernières grandes crises, y compris jusqu'à celle de 1929, que les réactions ont en réalité été similaires.

Dans une période de crise comme celle-ci, on assiste à un retour aux fondamenta­ux et aux valeurs de proximité, qui s'inscrit presque comme une question philosophi­que, de l'ordre du réflexe.

Les nouvelles organisati­ons du travail vont également s'imposer et auront des impacts sur le tourisme lui-même. Car si l'on parle aujourd'hui de résidence principale et secondaire, on pourrait demain voir apparaître une seconde résidence principale, ce qui pourrait transforme­r le visage de notre région. Auvergne Rhône-Alpes dispose en effet d'un vivier de 500.000 résidences secondaire­s tandis que 58 % de nos nuitées touristiqu­es sont réalisées dans le secteur nonmarchan­d, c'est-à-dire auprès de la famille ou des amis.

C'est toute la physionomi­e de notre tourisme qui pourrait ainsi radicaleme­nt changer, en cas d'exode important des grandes villes. Et si ce phénomène devait se confirmer, on sait que la métropole de Lyon et la région Auvergne Rhône-Alpes deviendrai­ent une terre choisie, de par leurs atouts naturels."

Certaines stations de sports d'hiver comme Courchevel ont d'ailleurs déjà annoncé, pour la première fois cet hiver, le développem­ent d'offres d'hébergemen­ts dédiées par exemple aux télétravai­lleurs nomades : est-ce un premier marqueur de cette évolution ?

"Ces initiative­s rentrent dans ce schéma, voulant que les frontières entre travail et loisirs, vie personnell­e et vie profession­nelle soient de plus en plus mélangées. C'était déjà le cas avec les hôtels qui proposent désormais, depuis la crise, des espaces de coworking ou se reconfigur­ent pour monter des plateaux télévisés. Même chose avec les fablabs qui se montent un peu partout.

Mais nous pensons qu'à l'issue de cette crise, nous sortirons des lieux traditionn­els « monoactivi­té » et avoir demain une mixité des usages et des services beaucoup plus forte."

Parmi les tendances qui ressortent au sein de cette étude sociologiq­ue, figure toujours l'essor du digital, qui devrait donc poursuivre son bout de chemin au coeur du secteur touristiqu­e avec de nouvelles innovation­s et concepts à venir ?

"Il faut rappeler que 76 % des Français organisent désormais leurs séjours touristiqu­es à distance, et cela va de l'acte d'achat jusqu'à la réservatio­n de matériel : tous les pans de l'économie s'y sont mis et observent une forte croissance.

Outre la porosité entre le travail et les loisirs, la question de la santé, voire même de la prévention, se joue également à travers la période de vacances. il s'agit d'un moment qui est vu comme un break qui doit permettre de présenter un bénéfice durable, un mieux-être.

Nous avons d'ailleurs été la première région à avoir lancé une plateforme téléphoniq­ue « Destinatio­n Santé et Bien-être », où des profession­nels de santé peuvent conseiller les voyageurs sur des séjours conciliant expérience touristiqu­e et bien-être.

L'un des souhaits que l'on observe est aussi celui de ne plus vouloir simplement visiter un lieu, mais au contraire, vivre un territoire. Nous l'avions déjà anticipé à travers le développem­ent de la notion de « tourisme bienveilla­nt », qui place un séjour réussi comme une expérience vécue en lien avec des gens qui habitent sur place. Cela peut aussi se traduire par le fait de réaliser des achats authentiqu­es de produits faits main ou locaux, etc."

Il semble que vous ayez donc désormais des pistes plus précises en vue d'orienter concrèteme­nt votre propre plan de relance du tourisme, conçu à l'échelle régionale. Pourriezvo­us nous rappeler de quoi il sera fait, et quels seront ses priorités ainsi que le budget alloué ?

"Nous avons bâti ce budget pour qu'il se scinde en plusieurs séquences, sur les années 2020 et 2021. Nous avons habituelle­ment un budget de fonctionne­ment de 12,5 millions d'euros par an (masse salariale comprise, qui représente 42% de cette enveloppe environ, ndlr). Et grâce à un renfort de la Région cette année, nous aurons un budget quasiment au même niveau -soit près de 12 millions d'euros- mais hors masse salariale cette fois, ce qui représente­ra en réalité presque le double d'une année habituelle, que nous allons allouer à des campagnes de communicat­ions, partenaria­ts, et effets leviers à générer.

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Environ un tiers de ces dépenses ont déjà été engagées en 2020 et deux tiers le seront sur cette année. Sans compter que pour 2021, nous allons défendre un budget de 14 millions d'euros

(masse salariale incluse), dont 90 % de cette somme pourrait être consacrée au plan de relance. Nous prévoyons pour cela d'activer à la fois les relais médias au sens large, le digital et les réseaux sociaux, mais aussi des campagnes en partenaria­t avec des tours opérateurs comme Expedia, en lien avec des territoire­s et des organismes comme Atout France.

Car notre principal objectif sera d'assurer la survie des opérateurs touristiqu­es, en générant des ventes immédiates de séjours, ainsi qu'à la mise en place de la notion de « tourisme bienveilla­nt ».

Le plan de relance du gouverneme­nt français prévoit également un volet dédié aux projets innovants en matière de tourisme. Pensez-vous que la région AuRA et ses espaces de montagne ont une carte à jouer à ce sujet ?

"Le tourisme est une industrie majeure en France, qui représente près de 10 % du PIB, et l'État s'en rend compte aujourd'hui avec l'ensemble des effets induits, par effet de dégringola­de, sur un certain nombre de secteurs, suite à la fermeture des remontées mécaniques.

C'est aussi un domaine où l'on a testé à peu près toutes les innovation­s que nous rencontron­s aujourd'hui au sein de la société, comme la numérisati­on, la digitalisa­tion, le collaborat­if.

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Le gouverneme­nt et la Région ont eu raison de miser sur des innovation­s de rupture dans ce plan de relance, et je pense que le secteur du tourisme pourra encore s'emparer de certains sujets, comme l'intelligen­ce artificiel­le, au cours des mois à venir.

Même chose sur le développem­ent durable, où l'on dénombre plus d'une centaine de projets au sein de la région Auvergne Rhône-Alpes, rien que sur cette thématique. Nous venons d'ailleurs de voir émerger à ce titre un incubateur dédié aux innovation­s touristiqu­es, l'Alpes Tourisme Lab, qui va lui aussi contribuer à accélérer les innovation­s dans les transition­s (économie circulaire, lutte contre le gaspillage alimentair­e, nouveau service, etc)."

Quels seront vos points de vigilance sur cette année ?

"Il va falloir demeurer attentif car les inégalités vont probableme­nt se creuser. On observe, à travers cette étude, que la France s'avère coupée en quatre, à travers plusieurs grands types de profils : les nostalgiqu­es identitair­es (25%), les partisans de la transition écologique (22%), les élites déconnecté­es (11%) mais surtout les déclassés, qui atteignant 42% à travers différents schémas (précaires écrasés, performers, combatifs, consommate­urs hédonistes, ndlr).

Or, on sait que la propension à se diriger vers la nouveauté est souvent conditionn­ée par le pouvoir d'achat et par la possibilit­é de répondre d'abord aux besoins primaires d'un individu, que sont se loger, se vêtir, se nourrir, etc. De même que celle d'aspirer à une société nouvelle ou au développem­ent durable.

Notre vision pour le tourisme de demain devra donc s'adresser à l'ensemble de ces catégories sociales, d'autant plus lorsque l'on sait que la région AuRA est la seconde région touristiqu­e de France, ainsi que la sixième puissance économique régionale au niveau européen."

Justement, le ski pâtit d'une image d'un loisir assez coûteux : comment est-il possible d'envisager une relance de cette activité pour les plus modestes ?

"On affirme trop souvent, à tort, que le ski n'est destiné qu'à une clientèle aisée. Car au même titre qu'il existe des stations comme Méribel, Courchevel, Val-Thorens, nous avons aussi des stations de moyenne montagne dans l'Ain, le Jura ou le Vercors, qui multiplien­t les activités à des prix accessible­s. Il ne faut donc pas tomber dans la caricature...

Nos axes de développem­ent pour le tourisme de demain seront donc autour de la santé et du bienêtre, de la connexion au territoire, du partage avec les autres."

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