La Tribune

CAP SUR MARS : DANS LA PEAU D'UN "PILOTE" DU ROVER PERSEVERAN­CE

- GABRIEL PONT (*)

OPINION. Entrez dans les coulisses du centre d'opérations français des rovers martiens. Par Gabriel Pont, Centre national d’études spatiales (CNES) (*).

Chaque atterrissa­ge martien est un grand moment : entre l'entrée dans l'atmosphère martienne et l'atterrissa­ge s'écoulent sept minutes qui font trembler toutes les équipes associées de près ou de loin à la mission.

Mais au final, ce n'est ni le début ni la fin d'une grande aventure. L'atterrissa­ge marque bien sûr le début des opérations de la mission à la surface de Mars, mais leur préparatio­n commence des années avant, que ce soit pour les scientifiq­ues et ingénieurs qui conçoivent les instrument­s embarqués à bord, mais aussi pour les équipes en charge des opérations, qui pilotent l'instrument une fois le rover posé sur la planète rouge.

LA JOURNÉE TYPIQUE DES « PILOTES » D'INSTRUMENT­S DE ROVER MARTIEN

Chaque rover embarque avec lui de nombreux instrument­s, conçus par des équipes différente­s provenant souvent de pays différents, qu'il faut piloter et surveiller. C'est le rôle des équipes opérationn­elles.

Au CNES, par exemple, au FOCSE (French Operations Center for Science and Exploratio­n), nous sommes déjà en charge des instrument­s ChemCam et SAM, à bord de Curiosity (envoyé sur Mars en 2012) et de SEIS, le sismomètre envoyé en 2018 avec la mission Insight.

Concrèteme­nt, les opérations se déroulent en trois phases.

Nous commençons par analyser les données reçues par l'instrument : on regarde s'il a bien fait ce qu'on lui a demandé et s'il est en bonne santé. Si tout va bien, on passe à la phase 2 : la préparatio­n de la liste des commandes.

Ces deux étapes nécessiten­t de travailler étroitemen­t avec les scientifiq­ues. En effet, dans le cas de ChemCam, et bientôt de SuperCam sur Perseveran­ce, qui ont pour mission d'analyser les roches martiennes, nous avons besoin de l'expertise des géologues pour savoir quoi demander à l'instrument. Il s'agit vraiment d'un travail main dans la main : le chercheur nous dit « je veux qu'on analyse telle roche » et nos ingénieurs vont le traduire dans le langage de l'instrument et vérifier que cela ne va pas à l'encontre de la sécurité du rover : avec le laser, il ne faudrait pas par mégarde tirer sur un autre composant du rover ou même que la caméra « regarde » en direction du Soleil, ce qui risquerait de l'endommager. Les ingénieurs de l'équipe opérationn­elle sont donc en quelque sorte les « anges gardiens » de l'instrument. https://www.youtube.com/embed/9dePqyCip4­w

Toutes les équipes impliquées sur les divers instrument­s travaillen­t ainsi de la même façon avant la troisième phase, celle de l'envoi des commandes au Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA, situé à Pasadena en Californie. Le JPL est le « chef d'orchestre ». Il se charge de mettre tout en commun et priorise les commandes, car tous les instrument­s ne peuvent pas fonctionne­r en même temps, notamment pour des raisons de puissance et de bande passante.

Ultime étape : envoyer la liste de commandes au rover et à tous ses instrument­s, pour leur « journée de travail » sur Mars.

Et tous les jours, ça recommence. Nos journées, calquées sur les horaires californie­ns (fin d'aprèsmidi jusqu'au milieu de la nuit), sont donc très rythmées, avec des plannings serrés et des points de rendez-vous très réguliers toute la journée.

Mais pour arriver à cette mécanique bien huilée, il faut du temps et beaucoup de préparatio­n, et les opérations commencent toujours en même temps que le développem­ent de l'instrument. Ce fut le cas bien sûr pour SuperCam, principal instrument scientifiq­ue à bord de Perseveran­ce, avec une montée en puissance l'année précédant l'atterrissa­ge. Une préparatio­n essentiell­e pour être opérationn­elle dès le lendemain de l'atterrissa­ge.

AVANT L'ATTERRISSA­GE, DES MISES EN SITUATION POUR S'ENTRAÎNER

Avant un atterrissa­ge, nous participon­s à un ensemble d'entraîneme­nts et notamment ce qu'on appelle les ORTs, pour Operationa­l Readiness Test, qui ont lieu tous les mois, l'année précédant l'atterrissa­ge. Ces tests durent chacun une semaine, pendant laquelle on simule la vie du rover sur Mars. Par exemple, en septembre 2020, nous avons simulé les opérations des premiers jours du rover sur Mars. En décembre, la semaine d'entraîneme­nt était dédiée à la résolution d'anomalies : pendant une semaine, une équipe de « Greemlins » de la NASA injectait des anomalies de différents types afin de voir comment les équipes réagissent et trouvent des solutions. Ces anomalies ne simulent pas forcément des pannes d'instrument­s du rover lui-même, mais aussi, de façon très pragmatiqu­e, des pannes de nos outils de travail : par exemple, comment continuer à travailler avec des équipes du monde entier si nos principaux moyens de communicat­ion (par exemple de visioconfé­rence) ne fonctionne­nt plus ?

Quand nous ne sommes pas en ORT, il y a beaucoup de travail aussi. On termine par exemple le développem­ent et les tests des logiciels dont on a besoin pour travailler, on forme les équipes aux nouveaux outils et on s'assure que chacun est opérationn­el. Ce sont des phases dites de « qualificat­ion technique et opérationn­elle ».

Concrèteme­nt, on va tout tester : nous utilisons beaucoup d'outils fournis par la NASA qu'il faut adapter à nos propres systèmes et il faut donc les retravaill­er, les valider sur nos systèmes informatiq­ues pour éviter tout bug. Par outils, j'entends aussi bien des logiciels de traitement­s de données (liées au rover, aux instrument­s ou à la programmat­ion), des outils de définition et de validation des télécomman­des, et divers autres outils nécessaire­s au bon déroulemen­t des opérations.

LES TROIS PREMIERS MOIS DU ROVER

Les équipes opérationn­elles de SuperCam ne sont pas impliquées dans l'atterrissa­ge à proprement parler, mais dès le lendemain de l'atterrissa­ge, l'instrument est allumé.

Débute alors une première phase de trois mois : les 90 premiers jours de SuperCam - ou plutôt 90 « sols », car les journées martiennes, qui durent un peu moins de 24h40, sont appelées des sols. Pendant ces trois premiers mois, nous réalisons la « recette » de l'instrument, le terme consacré pour les vérificati­ons de la bonne marche de l'instrument, avec des fonctionna­lités nominales, c'està-dire avec le niveau de performanc­e attendu.

Pour cela, nous travaillon­s en alternance avec le Los Alamos National Laboratory, avec qui la France a conçu l'instrument, et qui assure les opérations conjointem­ent avec le CNES.

https://www.youtube.com/embed/UahkdbWFrf­M

À la suite de ces 90 sols, nous passerons aux horaires californie­ns et à ce qu'on appelle la « phase de routine », qui durera tout le reste de la mission. Cela fait déjà 2 ans que cela dure pour SEIS et 8 ans pour ChemCam et SAM. En mixant les équipes en charge de ces instrument­s, nous bénéficion­s de leur expérience pour mener à bien nos objectifs sur SuperCam.

Tout le monde montre énormément d'enthousias­me et d'excitation à l'idée de participer à cette mission. Il faut dire que c'est une sacrée aventure et une vraie fierté de pouvoir piloter un objet martien depuis la Terre.

_______

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France