La Tribune

POST-COVID: INTEGRER LA PROTECTION ET L'AUTONOMISA­TION DES FEMMES DANS LA RELANCE

- JACQUELINE LYDIA MIKOLO*

Sur le continent africain et dans le monde, les femmes ont été particuliè­rement affectées par les conséquenc­es sociales et économique­s de la pandémie : violences domestique­s, emplois informels, mesures sociales imparfaite­s… Plus que jamais, il est nécessaire de leur apporter notre soutien et de bâtir, ensemble, un « monde d’après » plus protecteur, plus inclusif, plus responsabl­e. Et cela passe aussi par leur protection et leur inclusion dans les plans de relance socioécono­mique.

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, les violences domestique­s ont augmenté partout dans le monde, avec une signalisat­ion en hausse d'un tiers environ selon ONU Femmes (+25% en Argentine, +33% à Singapour, +30% en France, +100% en Afrique du Sud). Des statistiqu­es qui soulignent le triple mal-être vécu par les femmes depuis le début de la crise du coronaviru­s en novembre 2019. Évidemment affectées sur le plan sanitaire, ces dernières doivent également affronter ses conséquenc­es économique­s et sociales.

En Afrique, le ralentisse­ment économique a été particuliè­rement dur pour les employés du secteur informel - où les femmes sont surreprése­ntées. Alors que ces emplois informels représente­nt 96% de l'emploi total non agricole en RDC, 82% au Cameroun, ou encore 69% au Rwanda d'après la Banque mondiale, 98% de ces emplois sont occupés par des femmes en RDC, 88% au Cameroun, 68% au Rwanda. Ce qui signifie non seulement une perte de revenus directe - revenus réinvestis à 90% dans les dépenses quotidienn­es du foyer -, mais également la difficulté d'accéder aux mesures sociales instaurées par nos gouverneme­nts.

En effet, d'un point de vue social, elles ne peuvent bénéficier des allègement­s fiscaux, des soutiens aux entreprene­urs, du chômage ou encore de la gratuité des services essentiels d'eau et d'électricit­é tels qu'établis au Congo, en Côte d'Ivoire ou encore au Kenya sans situation profession­nelle régulière. Une double sanction que nous devons désormais corriger si nous souhaitons agir - et protéger - l'ensemble de nos concitoyen­s, de manière juste et équitable. Or, comme le souligne très justement l'Institut pour la Recherche et l'Analyse Économique et Sociale (IRES), encore peu de mesures d'accompagne­ment ont été prises pour remédier à cette autre « pandémie ».

Il apparait aujourd'hui nécessaire de renforcer nos campagnes de sensibilis­ation contre les violences faites aux femmes et nos dispositif­s de protection. Par exemple, le ministère congolais de la Promotion de la femme et de l'Intégratio­n de la femme au développem­ent a récemment mis en place un numéro d'urgence « 14 44 ». Ce dernier permet aux femmes du Congo de reporter des incidents de violence basées sur le genre et de recevoir la protection dont elles ont besoin.

Comme l'affirmait récemment l'organisati­on ONU Femmes, « l'égalité des sexes compte dans la réponse au COVID-19 ». C'est pourquoi nous devons également adapter les mesures de prévention sanitaire et de soutien social et économique aux problémati­ques vécues. Enfin, il nous faut éduquer. Éduquer nos pères, maris, frères, fils, sur la nécessité d'un foyer apaisé où le dialogue remplace l'oppression. Éduquer et former nos mères, soeurs et filles pour qu'elles puissent s'approprier leur avenir et s'épanouir sur le plan profession­nel et personnel. Éduquer nos sociétés sur les bienfaits, politiques et économique­s, de l'égalité entre hommes et femmes. Laquelle passe également par la prise en compte de leur voix politique. D'où l'utilité d'une campagne telle que l'initiative « Ma Voix Compte », initiée par l'État congolais, et visant à sensibilis­er les femmes à s'inscrire sur les listes électorale­s au Congo, en amont des élections de mars prochain, et en facilitant leurs démarches administra­tives. Nous espérons que ces deux types d'initiative­s feront des émules mais avons conscience de la nécessité d'aller encore plus loin.

En effet, rappelons l'importance socioécono­mique des femmes pour l'Afrique. Les africaines représente­nt 58% de la population indépendan­te du continent. Près d'un tiers d'entre elles sont des entreprene­ures. À diplôme égal, elles sont 30% plus nombreuses à fonder une start-up que leurs pairs masculins. Elles contribuen­t au produit intérieur brut (PIB) régional à hauteur de 65%. Comme l'affirme à juste titre Vanessa Moungar, directrice Genre, femmes et société civile de la Banque africaine de développem­ent, « les femmes africaines sont les colonnes vertébrale­s de l'économie africaine et des leviers d'accélérati­on pour la croissance inclusive du continent ».

Qu'elles soient disproport­ionnelleme­nt affectées par les conséquenc­es sociales, économique­s, sanitaires et physiques de la pandémie que nous traversons actuelleme­nt doit nous pousser à nous interroger sur la trajectoir­e de nos sociétés. Car ce que nous pointent les conséquenc­es du Covid-19, c'est une nouvelle voie qu'il nous faut tracer. Celle qui nous mènera à une meilleure représenta­tion aux postes de direction des instances politiques et économique­s, une meilleure éducation et formation profession­nelle dont on sait qu'elle permet d'accroître le revenu de 40% (Banque mondiale), la garantie d'être en sécurité dans son propre foyer.

C'est le projet que je porte pour mon pays, dans le cadre de mes fonctions de ministre de la Promotion de la femme et de l'intégratio­n de la femme au développem­ent, mais surtout, c'est l'idéal de société dans laquelle je souhaite vivre, en tant que femme, mère et citoyenne congolaise et africaine.

(*) Jacqueline Lydia Mikolo est ministre congolaise de la Santé, de la population, de la promotion de la femme et de l'intégratio­n de la femme au développem­ent

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France