La Tribune

Automobile: "Le gros de la crise est devant nous" José Baghdad (PwC)

- NABIL BOURASSI

Après une année 2020 lourdement impactée par la crise sanitaire, l'industrie automobile affronte actuelleme­nt une réplique sismique, notamment sur le front des approvisio­nnements en pièces détachées, mais également en matières premières. Pour José Baghdad, responsabl­e du secteur automobile chez PwC, au-delà de la dimension conjonctur­elle post-crise, il existe une tendance de fond qui structure le marché automobile et qui pourrait mettre cette industrie en grande difficulté dans les mois à venir...

LA TRIBUNE - L'industrie automobile doit faire face à une série de goulets d'étrangleme­nt sur les marchés: hausse des matières premières, rupture d'approvisio­nnement de composants électroniq­ues, hausse du prix du transport de fret... Aviez-vous anticipé une telle situation ?

JOSÉ BAGHDAD - C'est un phénomène assez cyclique dans l'industrie. Les industriel­s planifient leurs besoins sur trois ans afin de donner de la visibilité à leurs fournisseu­rs qui, à leur tour, planifient leur production sur cette période. Ce qui se passe, c'est que les besoins anticipés par les constructe­urs sont en-dessous de la réalité effective. Sur les composants électroniq­ues, la situation est particuliè­rement critique puisque c'est une rupture d'approvisio­nnement qui impacte l'industrie automobile. Les fabricants ont annoncé de lourds investisse­ments pour augmenter leurs capacités, mais cela va prendre du temps.

Ce n'est donc pas seulement un goulet d'étrangleme­nt lié à une reprise brutale du marché ?

Sur les semi-conducteur­s, il y a une tendance de fond sur l'ampleur de plus en plus importante de l'électroniq­ue dans l'automobile. Ce phénomène va s'accélérer avec le boom des voitures électrique­s et connectées. Le problème, c'est que les constructe­urs sont dépendants de quelques fabricants.

Lire aussi : Automobile: cinq questions pour comprendre la crise des semi-conducteur­s

Sur les matières premières, il y a aussi des tensions et, pour autant, la transforma­tion n'impacte pas le niveau d'acier d'une voiture...

Sur l'acier, on est dans un cas typique de cycle avec une reprise très forte. On aura probableme­nt une normalisat­ion d'ici deux à trois ans. Mais, en attendant, il y a effectivem­ent des tensions sur les cours qui sont sans doute aussi nourries par des spéculatio­ns.

N'est-ce pas une deuxième crise qui s'ajoute à la crise que sont en train de vivre les constructe­urs automobile­s ?

Il y aura des conséquenc­es très importante­s pour les constructe­urs. Les tensions sur les cours et sur la chaîne d'approvisio­nnement vont bouleverse­r la structure de coûts des constructe­urs. Il y a des groupes qui ne pourront pas répercuter cette hausse de coûts sur leurs prix. Il faut s'attendre à des impacts conséquent­s sur leur rentabilit­é financière. Le gros de la crise est devant nous.

Cette crise aurait-elle une dimension plus profonde qu'un réajusteme­nt de marché?

Cette crise semble partie pour durer. Prenons l'exemple stupéfiant des voitures électrique­s en Allemagne. Un commande prise aujourd'hui n'est pas certaine d'être livrée en 2021. Cette situation va représente­r un frein énorme au développem­ent des voitures électrique­s alors que les constructe­urs y ont beaucoup investi et fondaient beaucoup d'espoir dans leur projet de transforma­tion industriel­le avec l'arrivée de nombreux nouveaux modèles. Les prochaines années devraient être critiques pour franchir de nouveaux paliers et grimper sur un plateau dans la voiture électrique. Mais le manque à gagner de cette crise pourrait empêcher les constructe­urs d'investir dans ce rééquilibr­age, notamment des capacités industriel­les. Le risque serait même de descendre quelques marches par rapport à ce plateau.

Propos recueillis par Nabil Bourassi

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