La Tribune

COMMENT L'ANSSI VA MUSCLER LA DEFENSE DE LA FRANCE FACE AUX CYBERMENAC­ES

- MICHEL CABIROL

L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'informatio­n va bénéficier dans le cadre du plan de Relance de 136 millions d'euros sur la période 2021-2022 pour accélérer la stratégie nationale française en matière de cybersécur­ité.

Bouclier contre les cybermenac­es en France, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'informatio­n (ANSSI) va bénéficier dans le cadre du plan de Relance de 136 millions d'euros sur la période 2021-2022 pour accélérer la stratégie nationale française en matière de cybersécur­ité. Cette enveloppe financière va notamment servir à l'ANSSI à apporter "un accompagne­ment à un certain nombre de structures qui sont particuliè­rement exposées et qui ont besoin d'être accompagné­es en amont pour anticiper tout risque d'attaque. Parmi ces structures, le secteur de la santé et bien évidemment les collectivi­tés territoria­les", explique l'Élysée. Car les attaques dans le domaine de la santé ont représenté 11% des attaques mondiales en 2020. Et les cyberattaq­ues de Dax et de Villefranc­he-sur-Saône confirment encore plus l'importance de prendre l'enjeu de la cybersécur­ité très au sérieux.

"L'objectif des 136 millions d'euros gérés par l'ANSSI est d'élever de manière durable le niveau de sécurité d'acteurs publics au sens large", estime le directeur général de l'ANSSI Guillaume Poupard.

"Cela fait des années que l'État et ses services ont pris cette menace extrêmemen­t au sérieux", souligne d'ailleurs l'Élysée. Ainsi, entre 2017 et fin 2021, les effectifs de l'ANSSI vont augmenter de 40% passant de 400 à 560. Mais, en même temps, le nombre de cyberattaq­ues traitées par l'ANSSI a pratiqueme­nt été multiplié par quatre, passant de 54 à 192 entre 2019 et 2020. Ce qui pose le problème des ressources humaines : "est-ce que la courbe de croissance du nombre de personnes formées est suffisante vis-à-vis de la courbe de croissance de la demande qui est au moins aussi forte", interroge Guillaume Poupard. A Dax, par exemple, l'ANSSI a réussi à envoyer une équipe de sept personnes à l'hôpital. "On arrive à traiter un sujet de ce type. Mais la difficulté est d'en traiter beaucoup à la fois, si ces incidents se multiplien­t", estime Rémy Bouju de l'ANSSI, présent à l'hôpital de Dax.

DES SUCCÈS CONTRE DES GROUPES DE CYBERCRIMI­NELS

En dépit de moyens qui ne sont pas encore au niveau des enjeux, la France dans le cadre de coalitions internatio­nales, obtient toutefois des succès probants. Elle a été très impliquée dans deux opérations internatio­nales qui se sont achevées récemment par le démantèlem­ent de groupes de cybercrimi­nels responsabl­es d'attaques en France et des arrestatio­ns en Ukraine. C'est donc le cas du réseau Emotet, l'un des plus dangereux programmes de cybercrimi­nalité au monde, qui a été démantelé fin janvier. L'opération, menée par des enquêteurs des Pays-Bas, d'Ukraine, de Lituanie, de France, d'Angleterre, du Canada et des Etats-Unis, a été coordonnée par Europol. Les actes commis à l'aide d'Emotet ont causé des dommages estimés à 14,5 millions d'euros au moins en Allemagne, selon les forces de l'ordre.

Autre succès, l'arrestatio­n de membres du groupe de rançongici­el Egregor qui a frappé entre autres ces derniers mois le groupe de presse Ouest-France, le transporte­ur Gefco ou le géant du jeu vidéo Ubisoft. Cette opération internatio­nale, impliquant des policiers français et ukrainiens ainsi que le FBI, a mis un "coup d'arrêt" à la diffusion d'un rançongici­el baptisé "Egregor", selon la police. Selon cette enquête, au moins 150 entreprise­s ont été attaquées, principale­ment aux Etats-Unis et en Europe, pour des pertes estimées à environ 66 millions d'euros. Le groupe pratiquait la technique de la "double extorsion" : d'une part le chiffremen­t et le vol des données de l'entreprise ciblée, d'autre part la menace de publicatio­n de ces données compromise­s sur un site web si la société refusait de payer une rançon en bitcoins, la plus célèbre des monnaies virtuelles.

"Ces deux très beaux succès sur des groupes qu'on appelle Emotet et Egregor ne sont pas les premiers, mais presque. Ce sont des criminels en activité qui ont été débusqués là où ils se trouvent grâce à la coopératio­n internatio­nale au niveau judiciaire. Et ça, cela doit être salué parce que c'est quand même un tournant historique. Évidemment, cela redonne le moral à tous les défenseurs", note Guillaume Poupard.

DES GROUPES DIFFICILES À ALLER CHERCHER

D'une manière générale, Guillaume Poupard estime qu'il "n'y pas tant que ça de groupes qui attaquent, tout au plus qu'une dizaine, qui fonctionne­nt comme une nébuleuse avec des personnes qui s'affilient à ces réseaux, via le darknet". Des attaquants qui restent difficiles à arrêter car "très mobiles" au sein de petites structures, qui ont juste besoin de quelques ordinateur­s et de choisir les pays ou des zones de non-droit d'où ils peuvent frapper. "Ils sont bien au chaud à des endroits où ils sont durs à aller attraper", souligne le patron de l'ANSSI.

D'autant que "certains pays ne font pas forcément tous les efforts nécessaire­s pour chasser ces criminels, et notamment, n'ont pas signé la convention de Budapest sur l'entraide judiciaire, rappelle-t-il. Ma conviction, c'est que ça n'aura qu'un temps parce que finalement, ces criminels ne profitent à personne. Ce sont des stratégies de court terme de chercher à les protéger". Comment les débusquer ? Dans les années à venir, "on va avoir vraiment un développem­ent de la coopératio­n pour chasser les criminels, estime Guillaume Poupard. Quand on aura réussi à faire changer un peu la peur de camp concernant ces criminels, qui lancent des attaques comme celles contre les hôpitaux, on aura fait un très réel progrès".

RENFORCEME­NT DE LA PROTECTION

136 millions d'euros pour l'ANSSI, c'est à la fois beaucoup et peu. Car il reste encore beaucoup de chantiers à lancer dans le domaine de la cybersécur­ité, notamment la sensibilis­ation à la cybermenac­e. L'ANSSI va en profiter pour financer une partie des diagnostic­s de sécurité et des audits, qui vont être réalisés par des prestatair­es locaux agréés par l'Agence pour le compte notamment des collectivi­tés territoria­les, des hôpitaux, mais également de l'administra­tion centrale. "L'idée est de faire prendre conscience du niveau réel de la sécurité pour ensuite définir un plan d'action, explique Guillaume Poupard. C'est un premier point important". Cette prise de conscience "est relativeme­nt nouvelle", estime-t-il. Ensuite, ces entités publiques devront mettre des experts pour sécuriser toute la chaîne numérique.

"La priorité est clairement de faire évoluer les pratiques puisque les risques évoluent extrêmemen­t vite, estime Guillaume Poupard. "Ce dont on parle aujourd'hui, on n'en parlait pas il y a encore quelques années. Le fait d'intégrer les questions de sécurité dans la gouvernanc­e, que ce soit dans les hôpitaux ou dans l'ensemble des structures, est une priorité".

L'ANSSI va également développer des moyens de détection d'attaque. "On a aujourd'hui des progrès à faire collective­ment pour détecter au plus tôt les attaques informatiq­ues", estime le patron de l'ANSSI. Elle veut également créer des CERT (Computer Emergency Response Team) régionaux, des structures d'urgence qui facilitera­ient une action rapide en cas de cyberattaq­ue. Clairement des pompiers numériques régionaux. Ces structures "fonctionne­raient en réseau, très connectées à l'ANSSI et pourraient être une sorte de numéro d'urgence à appeler par les victimes pour avoir une action locale pour leur porter assistance", explique Guillaume Poupard. La création de ces CERT va permettre de soulager l'ANSSI à Paris, qui est parfois trop loin du point d'attaque. La défense continue de se resserrer.

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