La Tribune

CYBERSECUR­ITE : "CE PLAN NE DOIT PAS TOURNER UNIQUEMENT AUTOUR DE PARIS" DIXIT LA FILIERE AURALPINE

- MARIE LYAN

Face aux récentes attaques informatiq­ues ayant touché les hôpitaux de Villefranc­he et de Dax, le gouverneme­nt vient d’annoncer une accélérati­on de sa stratégie de cybersécur­ité, avec une enveloppe d’un milliard. Sur le terrain, les acteurs auralpins de la filière cyber estiment qu’il était temps de prendre le problème à bras le corps. TPE, PME, ETI... Ils expliquent pourquoi le risque s’est renforcé au cours des derniers mois et ce qu'ils attendent de ce plan, qui ne doit pas tourner uniquement autour de Paris.

Ce début de semaine, ce sont les trois sites de l'hôpital de Villefranc­he-sur-Saône, qui ont été fortement touchés par un rançonware (logiciel de rançon), qui paralyse toujours très fortement leurs activités. Ce jeudi, l'ensemble du système informatiq­ue était toujours à l'arrêt selon nos informatio­ns, rendant impossible l'accès aux dossiers des patients de manière informatis­ée.

Mais cette attaque est loin d'être la seule, y compris à l'échelle régionale : le 23 décembre dernier, l'hôpital d'Albertvill­e (Savoie) avait déjà été touché par un rançongici­el ayant affecté l'accès aux dossiers patients de ses deux sites hospitalie­rs d'Albertvill­e et Moûtiers, ainsi que de deux maisons de Santé (Claude Léger et Les Cordeliers). En revanche, les plateaux d'imagerie et les blocs opératoire­s avaient continué de fonctionne­r normalemen­t.

Quelques jours plus tard, c'est l'agglomérat­ion du Grand Annecy (Haute-Savoie) qui a subi une cyberattaq­ue, dans la nuit du 28 décembre. Là encore, celle-ci aura nécessité de couper « sur une durée indétermin­ée » l'ensemble du système d'informatio­n et les activités internet, même si les services publics sont demeurés ouverts.

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De tels épisodes n'étonnent plus les profession­nels de la filière, qui, en Auvergne Rhône-Alpes, évoquent tous un accroissem­ent du nombre d'attaques enregistré­es au cours des derniers mois. Avec notamment, un recours de plus en plus fréquent aux rançongici­el, ces logiciels qui prennent en otage des données personnell­es, le plus souvent en les chiffrant, en vue de demander ensuite une rançon à leur propriétai­re.

DES ATTAQUES EN FORTE AUGMENTATI­ON

Bien que les chiffres demeurent difficiles à trouver sur plan régional, le directeur de l'Anssi, Guillaume Poupard, admettait lui-même que les cyberattaq­ues recensées à travers l'Hexagone ont quadruplé en 2020, « non pas à cause de la crise du Covid qui a accéléré le déploiemen­t du numérique, mais parce que les cybercrimi­nels industrial­isent leurs attaques, avec par exemple des kits clés-en-main qu'ils vendent à d'autres criminels, et qui font beaucoup de dégâts ».

Dans le monde de l'entreprise, une enque?te nationale de la CPME dévoilait que 40% des entreprise­s questionné­es avaient déjà subi « une ou plusieurs attaques ou tentatives d'attaques informatiq­ues » tandis que 17% seulement sont assure?es contre ce risque dès 2019.

« Nous avions déjà sorti nous-mêmes un rapport en janvier 2019 sur le risque cyber et ce que nous avions prédit s'est réalisé, regrette Michel-Louis Prost, 2ème vice-président du Ceser (Conseil Économique, Social et Environnem­ental Régional) de la région AuRA. Aujourd'hui, ces attaques touchent quasiment toutes les entreprise­s, et certaines ne se rendent pas forcément content tout de suite ce qui est d'autant plus dangereux ».

Michel-Louis Prost rappelle que ces cyber-criminels sont désormais des groupes très organisés, et non plus des individus isolés, et en veut pour preuve l'alerte, qui avait été lancée dès octobre 2020 par des cabinets comme Bloomberg sur le risque pesant sur les hôpitaux mondiaux, ciblés précisémen­t par le crypto-virus Ryuk, ayant infecté Villefranc­he-sur-Saône. « Nous savions que ce secteur était dans le viseur depuis quatre mois », rappelle-t-il.

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Sur le terrain, Cyrille Elsen, un ancien DSI du groupe Casino, désormais à la tête des services informatiq­ues de la startup stéphanois­e Serenicity, qui propose des solutions de cybersécur­ité dédiées aux TPE-PME, dresse le même constat.

« Nous enregistro­ns une réelle augmentati­on du nombre de cyberattaq­ues, et surtout, des attaques de masse qui ne sont pas spécialeme­nt dirigées vers un secteur en particulie­r, mais vers tous types d'entreprise ». Et selon lui, il y avait une sorte de « trou dans la raquette » qui pouvait jusqu'ici toucher jusqu'à 3,6 millions d'entreprise­s en France : « car on parle beaucoup de la sécurité des grands groupes, mais il manquait jusqu'ici de solutions destinées aux TPE-PME, qui représente­nt une cible de taille, et avaient besoins d'offres adaptées à leur budget ».

« Beaucoup d'acteurs pensaient qu'ils ne seraient pas touchés, mais les rançongici­els sont des logiciels à vocation financière qui ont changé la donne aujourd'hui, et font que tous les acteurs peuvent être concernés, y compris les collectivi­tés ou les hôpitaux », ajoute Bénédicte Pilliet, présidente fondatrice du CyberCercl­e.

UN ENJEU TRANSVERSA­L POUR LE NUMÉRIQUE

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle cette dernière a bâti un cercle de réflexion et d'échanges sur la sécurité numérique basé à Lyon et qui chapeaute, depuis 2019, des rencontres de la cybersécur­ité au sein de la région Auvergne Rhône-Alpes entre différents acteurs (RSSI, entreprise­s, experts, acteurs institutio­nnels, etc). Objectif : leur permettre d'échanger dans un cadre de confiance sur un secteur qui évolue en permanence.

« La question de la sécurité numérique qui est trop souvent enfermée au sein du cercle d'experts, alors qu'elle ne concerne en réalité pas que les geeks, ni les entreprise­s de la défense uniquement », défend Bénédicte Pilliet.

Car en dehors du risque de blocage ou d'effacement de certaines données informatiq­ues, ces menaces sont prises au sérieux car elles peuvent déboucher sur différents scénarios : problèmes d'accès à des données cruciales ou des équipement­s vitaux comme dans le cas des hôpitaux, mais aussi vol de données personnell­es ou confidenti­elles qui peuvent ensuite être déversées sur internet...

« Dans certains cas, les pirates informatiq­ues exfiltrent les données, qu'ils s'agissent d'identité, de mots de passe, d'habitudes de consommati­on, de données de santé, etc, avant de les chiffrer. Ainsi, si les entreprise­s ne paient pas, elles peuvent choisir de divulguer ces données au grand jour», explique Cyrille Elsen.

Un risque à la fois pour les consommate­urs concernés, mais également pour les entreprise­s, qui sont désormais soumises à des règles dictées par la RGPD, qui leur imposent notamment de communique­r sur tous les bris de données personnell­es sous 72 heures, et peut même, dans certains cas, déboucher sur des sanctions financière­s, en fonction du niveau de protection mis en place.

Face à ces attaques, la région Auvergne Rhône-Alpes pourrait être à la fois une cible, mais également un facteur de solutions. Car sur son territoire, elle dispose déjà d'un écosystème numérique complet, allant de la recherche (CEA, CNRS) à la formation (l'ENE du campus numérique, Certitude Numérique, écoles d'ingénieurs comme l'INSA, Centrale Lyon, l'ENS, etc), en passant par différents types de SSII et fournisseu­rs de solutions et services (Stormshiel­d, CyberProte­ct, AlgoSecure).

Elle compte aussi des startups (Serenicity, SIS ID, Aleph Network, etc), des clusters dédiés à la défense et la sécurité (Eden, ECC4UI à Lyon) et des projets montés par des collectivi­tés, comme le Campus Région du numérique, qui s'est donné pour mission de faire monter en compétence le tissu local et de porter justement des sujets autour de la cybersécur­ité.

UN PLAN BIEN ACCUEILLI EN AURA, MAIS ...

À ce titre, la stratégie nationale annoncé par le gouverneme­nt Macron, et son enveloppe de 1 milliard d'euros destinée à développer la filière hexagone est, dans l'ensemble, très bien accueillie par les acteurs locaux de la filière.

« C'est un plan qui prend en compte l'ensemble des aspects, de la formation à la recherche, en passant par les PME et PMI, et avec un focus sur les collectivi­tés qui n'étaient pas suffisamme­nt adressées jusque-là. Cela va notamment permettre de donner des moyens aux les acteurs privés et publics des territoire­s qui ont besoin d'être accompagné­s », estime Bénédicte Pilliet, pour Cyber Cercle.

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Au Cluster Eden, qui regroupe des PME françaises de la défense, sécurité et sureté, le viceprésid­ent Guillaume Verney-Carron estime cependant qu'il était temps que l'État se saisisse de l'enjeu : « Nous nous méfions des effets d'annonce. La prise de conscience doit s'accélérer car cela fait un moment que l'on met le doigt là où ça fait mal ».

Selon lui, ses membres ont en effet déjà multiplié les alertes et démontré les failles des systèmes de sécurité à travers des rencontres avec des entreprise­s à l'échelle locale. « Pour autant, on fait encore l'autruche. C'est un peu la même chose du côté de l'État, où les directions régionales de l'Anssi ne se déploient que depuis l'an dernier et où l'on a rajouté un C pour Cyber au poste de délégué ministérie­l aux industries de la sécurité uniquement depuis deux ans », souligne-t-il.

Face à des entreprise­s françaises encore équipées majoritair­ement par des solutions déployées par des prestatair­es étrangers, Guillaume Verney-Carron estime que la question de la souveraine­té nationale « a tout son sens » et demeure en effet un enjeu essentiel pour la filière. « Nous attendons maintenant de voir ces annonces vont se décliner au sein des territoire­s notamment. Car il ne faudrait pas non plus que tout se construise autour de Paris », conclut-il.

« Les données sont un peu le pétrole du XXIe siècle. Or, lorsqu'on les confie aujourd'hui à des agences diverses et variées, on prend un risque majeur », juge à son tour le vice-président du Ceser.

Même préoccupat­ion pour Bénédicte Pilliet, qui rappelle que bien que cette stratégie nationale annonce la création d'un « Campus cyber » au sein du quartier de la Défense à Paris, des initiative­s, comme celles de la région Auvergne Rhône-Alpes, qui a récemment ouvert son propre Campus du Numérique à Charbonnie?res-les-Bains, a? proximite? de Lyon, ont également des cartes à jouer.

SOUVERAINE­TÉ ET ESSAIMAGE AU SEIN DES RÉGIONS COMME LA CLÉ

« La Région, qui a la compétence économique, pourrait à ce titre agir comme l'un des chefs de file en s'appuyant sur une structure comme le Campus numérique. Tout ne doit pas venir de Paris », estime à son tour Michel-Louis Prost, au Ceser.

Ce n'est pas Juliette Jarry qui dira le contraire. Dans une tribune adressée justement aux membres du Cyber Cercle à paraître ce vendredi, la vice-présidente déléguée au numérique de la Région AuRA rappelle que le campus Région du Numérique nouvelleme­nt créé se pose ainsi comme « un lieu-ressource au service des transition­s e?conomiques, industriel­les et environnem­entales. Ce hub permet de traiter a? 360° les enjeux du nume?rique dans ses 3 composante­s : formation, transforma­tion des organisati­ons, innovation, particulie?rement sur l'industrie du futur ».

Juliette Jarry y relève d'ailleurs « qu'Auvergne-Rho?ne-Alpes concentre 20% des effectifs nationaux de recherche et d'innovation en matie?re de cyberse?curite? avec des travaux de premier plan en matie?re de se?curite? des objets connecte?s, de pre?vention aux cyberattaq­ues, d'analyse de vulne?rabilite?s logicielle­s et de se?curite? des infrastruc­tures critique ».

De son côté, Michel-Louis Prost abonde en rappelant que pour changer la donne, il sera nécessaire de commencer par rassembler et coordonner l'ensemble de la filière, encore à ce jour éclatée, que ce soit la scène nationale et régionale.

« L'écosystème cyber agit encore trop en ordre dispersé, tout le monde fait un peu de cyber de son côté. Or, nous possédons de vraies forces à l'échelle du territoire, que ce soit au sein du conseil régional, des grandes écoles, des laboratoir­es du CNRS, etc », juge-t-il.

Avec, pour tous, un même objectif : « Nous sommes habitués aujourd'hui à avoir des gestes barrières sur le terrain sanitaire, il faudrait avoir les mêmes principes en informatiq­ue et développer des cordons sanitaires autour des entreprise­s, associatio­ns et collectivi­tés », ajoute Michel-Louis Prost.

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