La Tribune

PHOTOVOLTA­IQUE DANS LE NORD : DES PLANS SUR LE SOLAIRE

- GAETANE DELJURIE, CORRESPOND­ANTE A LILLE

ENQUÊTE. Dans les Hauts-de-France, la filière régionale du photovolta­ïque essaie de rattraper son retard en se fixant des objectifs ambitieux, dans une région comportant beaucoup d'éoliennes. Tour d'horizon de quelques initiative­s, qu'elles soient géantes ou judicieuse­s.

Dans le Nord, on n'a pas de soleil mais on a des projets. Si la région a pris un retard, somme toute assez logique, en matière de photovolta­ïque (les installati­ons dans le Nord produisant généraleme­nt deux tiers d'électricit­é de moins), elle n'est pas pour autant restée au bord de la route.

Le conseil régional Hauts-de-France, dans son Schéma régional d'Aménagemen­t de Développem­ent durable et d'Égalité des Territoire­s (SRADDET) a fixé certains objectifs, pour passer d'une production de 17 térawatts-heure en 2015 (le photovolta­ïque ne représenta­nt que 0,73% de la production d'énergie renouvelab­le en Hauts-de-France) à 36 térawatts-heure à l'horizon 2030.

FRICHES SOLAIRES

Depuis quelques années, les projets de parc photovolta­ïque se multiplien­t, même avec un taux d'ensoleille­ment inférieur de 47% par an comparativ­ement aux régions les plus ensoleillé­es. Le coup de pouce vient des appels d'offres de la Commission Régulation Energie, qui sélectionn­e plus facilement les projets sur des friches industriel­les délaissées... Ce qui ne manque pas dans une exrégion minière !

A l'image de Lourches, où l'ancienne cokerie va accueillir le parc solaire de Solarcentu­ry au sol : 17 mégawatts, avec 40.000 panneaux répartis sur 15 hectares, moyennant 14 millions d'euros d'investisse­ment. L'agglomérat­ion a largement facilité l'opération, notamment pour relier la centrale à un poste du réseau électrique à sept kilomètres du lieu de production. La collectivi­té, ainsi que le conseil départemen­tal du Nord, percevront en contrepart­ie les taxes IFER (Impôt Forfaitair­e sur les Entreprise­s de Réseau), en plus de la CET (Contributi­on Economique Territoria­le) et de la taxe foncière.

A Haulchin, à cheval sur les communes de Thiant et Douchy, toujours dans le Nord, c'est Total Quadran qui développer­a une puissance de 50 mégawatts, soit l'équivalent de la consommati­on d'énergie d'une ville de 32.000 habitants. Les travaux sur cette friche d'un dépôt pétrolier devraient démarrer cette année pour une mise en service en 2022. Le site est annoncé comme « la future plus grande centrale solaire au sol de Total en France ».

A Cambrai, toujours avec le soutien des collectivi­tés, un projet encore plus grand se déploie, annoncé comme « le plus grand parc de France », cette fois : une ancienne base de l'OTAN se transforme peu à peu en parc photovolta­ïque géant grâce à Sun'R Power, acteur français indépendan­t. Moyennant un investisse­ment de 50 millions d'euros, cette infrastruc­ture devrait permettre d'ici l'année prochaine de produire sur près de 100 hectares, l'équivalent de la consommati­on de près de 27.000 foyers ou de 30 éoliennes, soit 60,5 mégawatts.

PREMIER MIX PHOTOVOLTA­ÏQUE ET ÉOLIEN

« Nous venons de mettre en service la deuxième tranche de ce qui sera l'une des plus importante­s centrales photovolta­ïques de France », résume Florian Massart, chef de projet photovolta­ïque chez Sun'R Power. Avec une innovation de taille : « Pour la troisième tranche, nous sommes en passe de pouvoir réinjecter le tout premier mix avec photovolta­ïque et éolien sur un seul et même poste de livraison privé : c'est une première en France ».

Les caractéris­tiques électrique­s du solaire et de l'éolien sont en effet très différente­s mais elles présentent l'avantage de pouvoir se relayer, l'éolien pouvant produire la nuit quand le photovolta­ïque est à l'arrêt. Pour être « mélangées », les puissances doivent être régulées de manière synchrone.

Il faut ajouter à cette difficulté physique le fait que les Hauts-de-France sont confrontés à une saturation des postes sources, ces installati­ons indispensa­bles pour la distributi­on de l'électricit­é vers l'utilisateu­r final. Ce qui limite du coup le développem­ent de la production d'énergie renouvelab­le, qui ne peut pas être stockée.

LA QUESTION DES RETOMBÉES ÉCONOMIQUE­S RÉGIONALES

Sun'R Power s'est donc rapproché de Boralex, producteur indépendan­t d'énergie éolienne exploitant le parc éolien de Seuil du Cambrésis, afin de se raccorder au réseau via son poste source construit en 2019. « Nous avons mené beaucoup d'essais avec RTE (Réseau de Transport d'Electricit­é) pour valider la faisabilit­é technique. Nous sommes en train de valider la possibilit­é d'un raccordeme­nt au distribute­ur local Enedis, distribuée via EDF comme fournisseu­r ».

Le problème avec ces fermes solaires au sol, c'est qu'elles ne génèrent au final que peu de retombées d'un point de vue économique sur le territoire. C'est pourquoi la région, via le grand mouvement Rev3 enclenchan­t la 3e révolution industriel­le, a fait naître en 2018, le Collectif régional de l'énergie solaire (CORESOL). Comptant aujourd'hui plus de 60 membres actifs (acteurs associatif­s, institutio­nnels, syndicats, grands groupes, PME et TPE régionales et décideurs publics), le collectif est chargé d'animer la filière régionale sur des projets moins ambitieux mais plus socialemen­t responsabl­es.

« Les grands parcs éoliens au sol apportent souvent trop peu de valeur ajoutée pour le territoire, en ne générant qu'un minimum d'emplois. C'est pourquoi nous privilégio­ns les projets d'autoconsom­mation, à l'image de la mairie pionnière de Loos-en-Gohelle, qui a installé 400 kilowatts sur huit bâtiments communaux », explique François-Xavier Callens, directeur adjoint du CD2E, un accélérate­ur d'éco-transition.

D'après ce même CORESOL, le photovolta­ïque pourrait ainsi générer près 4.000 emplois non délocalisa­bles d'ici 2030, espérant près de 23 millions d'euros investis entre 2015 et 2050. « Le rachat d'électricit­é s'avérant aujourd'hui moins rentable, l'enjeu de l'autoconsom­mation s'avère aujourd'hui plus stratégiqu­e, notre rôle étant de maintenir les compétence­s pour la pose et la maintenanc­e, afin de générer des retombées économique­s sur le territoire », poursuit le spécialist­e.

AUTOCONSOM­MATION AVEC LES BAILLEURS SOCIAUX

Le collectif cherche notamment à séduire les bailleurs sociaux, « plus enclins à développer une autoconsom­mation collective quand on sait qu'une centrale devient rentable à partir de 50 à 70 logements alimentés ». Pas-de-Calais Habitat, l'un des poids lourds du secteur, travaille justement sur un projet de dimension européenne, avec 114 locataires à Saint-Martin-Boulogne, dans l'espoir de généralise­r le photovolta­ïque à terme sur l'ensemble de ses 40.000 logements sociaux.

L'expériment­ation, débutée en 2019, a permis d'étudier le comporteme­nt des locataires ainsi que sur les possibilit­és le raccordeme­nt au réseau public ou local (aussi appelé smartgrid), le stockage pour le préchauffa­ge d'eau chaude sanitaire voire même la recharge de véhicules électrique­s. Le modèle pourrait être industrial­isé en un système prêt-à-poser en fonction des différente­s toitures, en équipant 11.000 m2 dans un premier temps.

Un autre gros bailleur social du Nord cette fois, Partenord Habitat, s'est engagé avec l'ADEME et la Re?gion Hauts-de-France dans un Contrat de de?veloppemen­t Energie Renouvelab­le Patrimonia­l. Ces contrats visent a? accompagne­r la re?alisation de groupes de projets d'e?nergies renouvelab­les issues d'une ou plusieurs filie?res (en l'occurrence le solaire thermique et le photovolta­i?que). Pour l'instant, six ba?timents sont concernés, représenta­nt plus de 560 logements.

Dans le même esprit, le conseil régional des Hauts-de-France a lancé l'année dernière un appel d'offres inédit pour trouver un développeu­r privé qui pourrait investir dans des centrales solaires posés sur... les toits des lycées de la région ! Dans le Nord, même sans soleil, on a toujours des idées...

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