La Tribune

L'EXPERTISE DU PRIVE REND BIEN SOUVENT LE SERVICE PUBLIC PLUS EFFICACE

- XAVIER QUERAT-HEMENT

OPINION. Le recours à des sociétés de conseil par l'État n'est pas la preuve d'une incompéten­ce, mais une pratique naturelle pour optimiser son fonctionne­ment. Par Xavier Quérat-Hément, co-fondateur de l’associatio­n Esprit de Service France, membre du Comité scientifiq­ue de la Fondapol (*).

Début janvier, le Canard enchaîné a révélé que l'Etat avait eu recours aux compétence­s de quatre cabinets privés de conseil pour l'accompagne­r dans le déploiemen­t de sa campagne vaccinale. L'informatio­n a été reprise sur le mode «scandale», provoquant l'indignatio­n de certains dans les médias et sur les réseaux sociaux. Pourtant, pour peu que l'on s'abstienne d'une lecture politicien­ne des faits, on comprend rapidement que cette polémique est infondée et stérile.

Les quatre prestatair­es privés sont des entreprise­s reconnues, qui ont apporté chacune une expertise précise. Accenture, spécialisé­e dans les systèmes d'informatio­n, est intervenue pour l'accompagne­ment de la mise en oeuvre du... système d'informatio­n. Citwell, expert dans l'organisati­on de la chaîne logistique, et le groupe JLL, qui intervient généraleme­nt sur les questions concernant les nouveaux modes de travail, s'occupent de l'accompagne­ment logistique des vaccins Covid. Quant à McKinsey, l'une des plus importante­s firmes de conseil au monde, elle épaule l'exécutif français dans la coordinati­on opérationn­elle de tous les acteurs.

TROUVER UN SAVOIR-FAIRE PRÉCIS

McKinsey, qui a focalisé la plupart des critiques, a été classée en 2020 à la première position du classement Vault des cinquante meilleurs cabinets de conseil mondiaux et elle a aimanté plus de 800.000 candidatur­es parmi les hauts diplômés des université­s les plus prestigieu­ses de la planète. En clair, McKinsey n'est pas une obscure institutio­n américaine qui contrôlera­it la France, mais un cabinet implanté depuis des dizaines d'années dans l'Hexagone et y employant des centaines de salariés. Et si l'Etat fait appel à ses services, c'est pour trouver un savoir-faire précis qu'il ne possède pas en interne. Cette pratique est courante. En Europe, le soutien aux services publics peut représente­r jusqu'à 16% des activités de conseil.

Et pour cause, l'administra­tion ne peut pas assurer toutes les prestation­s nécessaire­s au bon fonctionne­ment d'un pays. Elle ne dispose pas de toutes les compétence­s et, généraleme­nt, elle n'a aucun intérêt à les développer quand celles-ci peuvent être assumées dans de bonnes conditions par des opérateurs privés. Et s'il existe des compétence­s dont elle souhaitera­it se doter à l'avenir, le recours à un expert extérieur lui permet d'organiser sur des bases solides un transfert de compétence­s éprouvées et un large benchmark. En effet, ces entreprise­s collaboren­t depuis des années avec le secteur public, généraleme­nt sur des projets de très grande envergure. Certes, l'efficacité de l'État fait de petits pas comme le prouvent la simplifica­tion administra­tive entamée par Bercy ou les récents lauréats des Victoires des acteurs publics. Mais comment expliquer cette lenteur ? La difficulté de la réforme de l'Ena ? La persistanc­e de l'empilement d'une multitude d'organisati­ons fonctionna­nt en silo créant lourdeur et blocages, encore observés lors de la crise Covid ?

DIGITALISA­TION ET ÉVALUATION PERMANENTE

Toujours est-il que l'effet sur l'administra­tion de ces collaborat­ions public-privé est irréfutabl­e. Les échanges avec des organisati­ons acclimatée­s à un monde concurrent­iel ne peuvent qu'accélérer le processus de transforma­tion des services de l'État. Les concepts d'agilité organisati­onnelle ou d'esprit de service, qui permettent de s'adapter aux changement­s de son environnem­ent pour assurer sa survie et créer un avantage compétitif, ne sont pas réservés aux groupes privés. Aujourd'hui, l'évolution se fait au rythme de la digitalisa­tion et de l'évaluation permanente. Cette idée semble d'ailleurs au centre du grand chantier, mené par la ministre de la Transforma­tion et de la Fonction publique, Amélie de Montchalin. En mettant à dispositio­n des usagers l'équivalent d'un «service client» pour les services publics, la ministre permet la centralisa­tion des avis qui pointent les dysfonctio­nnements, forçant ainsi l'administra­tion à évoluer.

Polémiquer sur le recours par l'État aux compétence­s du privé, à un moment de crise inédit, où l'action publique nécessite justement le soutien de toutes les forces vives possibles, trahit soit le fantasme d'un État exerçant un contrôle absolu sur les activités du pays (1), soit l'incapacité à comprendre la nécessité et l'urgence de la transforma­tion. Dans les deux cas, c'est alarmant. Il semble pourtant évident qu'une meilleure gestion des deniers publics soit d'autant plus nécessaire avec la hausse exponentie­lle de la dette. On comprendra donc qu'elle puisse passer par un contrat certes conséquent de quelques mois, mais qui permettra la tenue de la promesse politique : à savoir des résultats rapides et efficaces. L'accélérati­on de la campagne de vaccinatio­n coûtera moins cher au pays que toutes les mesures sanitaires actuelleme­nt nécessaire­s.

_____ (*) X.Q.-H.

Pour la croissance, la débureaucr­atisation par la confiance. Fondapol 2013

(1) « Infantilis­ation : cet Etat nounou qui nous veut du bien ». Mathieu Laine 2021

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