La Tribune

S'appuyer sur le marché pour lutter contre la pollution de l'air

- STEFAN AMBEC ET CLAUDE CRAMPES

Jusqu'où doit-on aller pour améliorer la qualité de l'air ? Les mécanismes de marché nous informent sur les coûts de dépollutio­n. Une informatio­n utile pour affiner nos politiques publiques au regard des dommages sanitaires et environnem­entaux. Par Stefan Ambec et Claude Crampes, Toulouse School of Economics.

Particules fines, oxydes d'azote, dioxyde de soufre, composés organiques volatils, ces polluants empoisonne­nt l'air que nous respirons. Les études d'impact de la détériorat­ion de la qualité de l'air sont, années après années, de plus en plus alarmantes. En France, c'est 48.000 morts prématurés par an, 9% de la mortalité annuelle, jusqu'à 2 années d'espérance de vie en moins. Des chiffres comparable­s à ceux de la Covid en 2020 (54.000 morts selon l'INSEE). A l'échelle de la planète, c'est 4,2 millions de morts par an. L'air respiré par 91% de la population mondiale ne respecte pas les critères fixés par l'Organisati­on mondiale de la santé (OMS). Dans les agglomérat­ions des pays émergents comme la Chine et l'Inde, la situation est dramatique. C'est la principale cause de baisse de d'espérance de vie, jusqu'à 10 années en moins, pour les habitants de Delhi.

La pollution atmosphéri­que est issue de la combustion des énergie fossiles, des déchets et de la biomasse. Elle est inhérente à l'activité économique que ce soit pour le transport, l'industrie et l'agricultur­e, ou pour un usage domestique, cuisine et chauffage. Elle peut-être néanmoins réduite par des technologi­es de filtrage et de l'utilisatio­n de sources d'énergie moins polluantes. Ces technologi­es ont un coût que les pollueurs industriel­s rechignent à payer, à moins qu'ils n'y soient contraints par les pouvoirs publics. Il en résulte un chantage à l'emploi, auquel les gouvernant­s sont sensibles, voire un contournem­ent des réglementa­tions, comme dans l'automobile avec le « dieselgate » et la résistance des constructe­urs à l'adoption de nouvelles normes antipollut­ion.

Quel doit être le niveau acceptable de réduction de la pollution atmosphéri­que ? A quels coûts au regard des bénéfices sanitaires et environnem­entaux ? Des politiques publiques basées sur des mécanismes de marché apportent des éléments de réponse à ces questions.

LES MARCHÉS DE COMPENSATI­ON AUX ETATS-UNIS

Quand les auteurs de « The Simpsons Movie » ont imaginé la mise sous cloche d'une ville américaine pour cause de pollution par l'Environmen­tal Protection Agency (E.P.A.), ils n'étaient pas loin de la vérité, du moins au sens figuré. La loi sur la qualité de l'air (Clean Air Act) limite strictemen­t la pollution atmosphéri­que d'origine industriel­le dans des zones urbaines où la qualité de l'air est dégradée. Cette restrictio­n oblige toute entreprise désirant s'installer dans la zone à compenser ses émissions par un baisse équivalent­e des émissions d'autres entreprise­s localement. En pratique, les usines qui réduisent leurs propres émissions par l'installati­on de technologi­es de contrôle de la pollution obtiennent des crédits octroyés par l'E.P.A. Les nouveaux entrants ont l'obligation d'acheter autant de crédits que de pollution qu'ils génèrent. Par un argument de préférence­s révélées, le prix du crédit reflète le coût de dépollutio­n pour l'industrie.

Une étude récente a collecté les prix des crédits pour divers polluants (particules fines, oxydes d'azote, composés volatils organiques) dans diverses zones où cette compensati­on est obligatoir­e. En comparant ces prix au coût sanitaire et environnem­ental de la pollution atmosphéri­que, les auteurs en déduisent que le coût du contrôle de la pollution est bien en deçà des bénéfices pour la société. Et donc que les limites sur la pollution atmosphéri­que dans les zones considérée­s devraient être renforcées.

De façon surprenant­e, c'est en Californie, Etat démocrate connu pour ses politiques environnem­entales ambitieuse­s, que les efforts de dépollutio­n des industriel­s devraient être plus importants. A contrario, au Texas, Etat républicai­n notoiremen­t pro-pétrolier, l'agglomérat­ion de Houston a des restrictio­ns sur la pollution de l'air bien trop contraigna­ntes par rapport aux bénéfices qu'elles génèrent.

LE PRIX DES ÉMISSIONS D'OXYDE D'AZOTE EN SUÈDE

Les émissions d'oxyde d'azote issues de la production manufactur­ière et du secteur énergétiqu­e (génération d'électricit­é, chauffage collectif) sont doublement régulées en Suède. Au niveau national, les installati­ons produisant plus de 25 gigawatt-heures par an doivent s'acquitter d'une taxe de 50 couronnes (environ 5 euros) par kilo d'oxyde d'azote. Au niveau local, les autorités fixent des limites d'émission à ne pas dépasser pour chaque chaudière de combustion installée dans leur juridictio­n. Ces normes d'émission varient d'un site à l'autre, d'une juridictio­n à l'autre, et au cours du temps.

D'un point de vue économique, la taxe sur l'oxyde d'azote détermine le prix des émissions et donc le coût maximal de dépollutio­n à engager par kilo. En effet, une entreprise a intérêt à réduire ses émissions tant que le coût par kilo est inférieur à 50 couronnes. Dans le cas contraire, mieux vaut payer la taxe qu'installer des technologi­es de dépollutio­n. Les entreprise­s qui réduisent leurs émissions au-delà des normes imposées par les autorités locales pour payer moins de taxe révèlent que leurs coûts de dépollutio­n sont faibles, inférieurs à 50 couronnes par kilo.

Un des auteurs de ce billet et Jessica Coria de l'Université de Göteborg ont analysé comment le régulateur peut exploiter au mieux l'informatio­n générée par la taxe sur les coûts de dépollutio­n pour fixer la norme d'émission. Le fait que les émissions soient réduites au-delà que ce que la norme exige démontre que les coûts de dépollutio­n sont inférieurs à ceux anticipés par le régulateur, ce qui devrait l'amener à durcir la norme. Les données analysées dans l'article suggèrent que les autorités suédoises agissent dans ce sens. En effet, après l'introducti­on de la taxe sur l'oxyde d'azote en 1992, les chaudières assujettie­s à la taxe ont vu leur norme révisée en moyenne plus fréquemmen­t que celles qui sont exemptées. De plus, le fait de polluer significat­ivement moins que la norme augmente la probabilit­é que celle-ci soit révisée.

La pollution de l'air et la Covid ont, à certains égards, des similitude­s. Les deux fléaux tuent en frappant les plus fragiles, personnes âgées ou ayant des comorbidit­és (maladies respiratoi­res ou cardio-vasculaire­s). Lutter contre ces deux maux exige des pouvoirs publics de prendre des mesures coûteuses d'un point de vue économique. Mais la comparaiso­n s'arrête là. Pas de saturation des urgences, ni d'images d'alignement de cercueils pour les victimes de la pollution de l'air. L'impact sanitaire étant moins visible, nos gouvernant­s ont tendance à être plus sensibles aux arguments des industriel­s sur les coûts économique­s de la dépollutio­n.

Les mécanismes de marché permettent de révéler, au moins en partie, le véritable coût de dépollutio­n. Cela peut se faire en fixant un plafond sur les émissions tout en autorisant les entreprise­s à échanger des crédits de compensati­ons comme aux Etats-Unis, ou en fixant le prix de la pollution sous la forme d'une taxe environnem­entale comme en Suède. Dans les deux cas, les coût associés à la dépollutio­n se sont avérées souvent bien moindre que ce qui était anticipé. Un argument pour aller plus loin dans l'améliorati­on de la qualité de l'air.

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