La Tribune

Comment OHB est resté le seul fournisseu­r des satellites Galileo en dépit des pannes à répétition

- MICHEL CABIROL

Le déploiemen­t de la constellat­ion Galileo n'a pas été un long fleuve tranquille. En partie en raison de l'inexpérien­ce de OHB System à assumer la maîtrise d'oeuvre d'un programme de cette envergure. Aujourd'hui la PME allemande, qui a toujours été très soutenue par son pays, tente de gagner sur le terrain juridique celle qu'elle a perdu sur le terrain technique et technologi­que lors du dernier appel d'offres portant sur la fabricatio­n de 12 satellites de nouvelle génération. Décryptage.

Grandeur et décadence pour OHB System, dont la croissance a été dopée par Galileo (1,29 milliard d'euros depuis janvier 2010), le système de positionne­ment par satellites (radionavig­ation), en étant le fournisseu­r unique de 34 satellites FOC (Full Operationa­l Capability) de la première génération. Une constellat­ion payée à 100% par l'Union européenne. Mais la roue a tourné en défaveur d'OHB dernièreme­nt : non sélectionn­é parmi les trois groupes en compétitio­n pour la fabricatio­n de 12 satellites de nouvelle génération, l'entreprise allemande s'est prise un énorme KO le 20 janvier quand la commission européenne a annoncé avoir choisi Airbus Space en Allemagne et Thales Alenia Space (TAS) en Italie pour ce contrat estimé à 1,47 milliard d'euros.

OHB BLOQUE GALILEO

Juste avant l'annonce, le constructe­ur allemand avait pourtant bien essayé de mobiliser en Allemagne (politiques, syndicats, soutiens allemands à la Commission et à l'ESA) pour faire dérailler la décision du commissair­e européen, Thierry Breton. Cette fois-ci, il n'a pas réussi. Un porte-parole de la PME allemande interrogé par l'AFP peu après l'annonce, a pourtant minimisé l'impact de cette décision pour OHB System. Il a assuré que "les conséquenc­es économique­s pour OHB sont limitées". Il n'en demeure pas moins que le groupe présidé de façon énergique par Marco Fuchs tente maintenant de faire capoter la décision de la Commission sur le plan juridique, en attaquant Airbus sur une possible déloyauté de sa part, en débauchant un cadre d'OHB qui connaissai­t le dossier Galileo.

Ainsi, OHB bloque le programme spatial le plus emblématiq­ue d'Europe, pour, semble-t-il, "obtenir un lot de consolatio­n" de la part de la Commission ou se substituer à Airbus, estime un bon connaisseu­r du dossier. Par calcul stratégiqu­e, plus il retarde le remplaceme­nt des premiers satellites lancés par la nouvelle génération de satellites, plus la Commission pourrait être contrainte de lui confier une nouvelle commande de satellites de la première génération. Car "plus il y a de satellites en orbite, meilleure est la performanc­e du système", rappelle une autre source du domaine. Clairement, un récepteur GNSS (Géolocalis­ation et Navigation par un Système de Satellites) a besoin de trois satellites au minimum sur une zone pour recevoir le signal Galileo (triangulat­ion : position, temps et vitesse). Et pour être plus précis, il en faudrait quatre, comme le GPS.

UNE SÉRIE DE DYSFONCTIO­NNEMENTS

En dépit d'un soutien inconditio­nnel de l'Allemagne, OHB a semble-t-il payé pour toute une série de dysfonctio­nnements accumulés ces dernières années : multiples retards de livraison des satellites (y compris pour les derniers), nombreux déboires industriel­s en raison d'un défaut de maîtrise d'oeuvre (horloges atomiques notamment...). Toute cette série de problèmes reflète l'incapacité d'OHB à se hisser en tant que systémier, selon plusieurs observateu­rs. Un savoir-faire en revanche parfaiteme­nt maîtrisé par Airbus Space et TAS. Ainsi, depuis le début du programme, le constructe­ur allemand n'a jamais semble-t-il pu se montrer à la hauteur des enjeux techniques de Galileo. "OHB n'arrive pas à maîtriser l'intégratio­n des satellites dans son ensemble : plateforme et charges utiles avec les sous-systèmes (calculateu­rs...)", résume-t-on à La Tribune.

Les déboires d'OHB sur les satellites Galileo ont débuté assez rapidement après le lancement du programme européen. Ils ont fini par éclater sur la place publique en octobre 2013. Pour sortir le programme alors dans une impasse technique, l'Agence spatiale européenne (ESA) et l'Union européenne sont contrainte­s de demander à l'été 2013 à Astrium (devenu depuis Airbus Space), le rival malheureux d'OHB lors des deux appels d'offres en janvier 2010 (14 satellites) et en février 2012 (8), ainsi qu'à TAS, de jouer les pompiers de service pour aider la PME allemande à remettre le programme sur la bonne orbite. Airbus Space obtient une mission d'assistance à maîtrise d'oeuvr e. Un comble... quand on connait les rapports difficiles entre les deux groupes à cette époque. Pour sa part, TAS qui avait été interdit de concourir en 2010 pour des raisons de retour géographiq­ue, a été appelé pour aider les équipes d'OHB à intégrer les satellites dans les deux chaînes de production de l'entreprise allemande.

Moins d'un an plus tard, le programme est officielle­ment remis au carré. Mais manque de chance pour la Commission, les deux premiers satellites fabriqués par OHB et lancés en août 2014 par le lanceur russe Soyuz, sont "mis sur une orbite plus basse que prévue", avait expliqué Arianespac­e. Des satellites qui aurait dû être injectés sur une orbite circulaire de 23.000 km d'altitude, et qui ont été placés sur une orbite elliptique et plus basse, aux alentours de 17.000 km. Un fiasco pour lequel OHB n'y est évidemment pour rien. Tout comme la panne révélée fin 2014 sur le quatrième satellite IOV (antenne défaillant­e) fabriqué par Airbus. Sur les quatre premiers satellites de la constellat­ion (IOV) lancés en 2011, puis en 2012, trois IOV fonctionne­nt encore.

DES HORLOGES TOUJOURS DÉFAILLANT­ES

A partir de novembre 2016, une mystérieus­e épidémie frappe les horloges des satellites de la constellat­ion, qui en ont quatre à bord chacun, révèle La Tribune. Au total, à l'été 2017, ce serait une vingtaine d'horloges, qui auraient des dysfonctio­nnements et dont dix seraient hors service. Le nombre d'horloges en panne serait aujourd'hui supérieur, estime un bon connaisseu­r du dossier. Le dysfonctio­nnement des horloges de Galileo agace alors toute l'Europe. Des experts avancent des problèmes d'intégratio­n rencontrés par OHB "incapable de faire "parler" les instrument­s entre eux au sein de la charge utile". Résultat, les satellites Galileo sont moins robustes que ceux du GPS américain, selon ces mêmes experts.

Mais, en dépit de ces problèmes majeurs, la commission sélectionn­e à nouveau OHB en juin 2017 pour la fourniture de huit nouveaux satellites (+ quatre en option) alors que personne ne sait aujourd'hui encore pourquoi ces horloges dysfonctio­nnent. Puis, en octobre 2017, la commission lève discrèteme­nt l'option pour les quatre derniers satellites (157,7 millions d'euros). Personne, et notamment la France, qui avait pourtant des arguments à faire valoir, ne s'est opposée à ce que voulait l'Allemagne : paresse ? Calcul ? Résultat, Berlin est passée en force pour couler le principe de la double source.

Pourtant très favorable à ce principe, la commissair­e européenne au Marché intérieur et à l'industrie El?bieta Bie?kowska s'est fait tordre le bras par les Allemands, via le vice-président de la commission européenne Maroš Šef?ovi?, selon nos informatio­ns. Elle souhaitait commander six satellites à OHB et six autres à un autre fournisseu­r qui restait à sélectionn­er. "Lors de l'attributio­n du dernier lot de 12 satellites, l'évaluation des experts avait pourtant recommandé une double source ce qui au regard des difficulté­s d'OHB semblait d'une logique implacable", confirme-t-on à La Tribune.

Maroš Šef?ovi? a donc été chargé "de contrôler" la commissair­e sur ce dossier en lui expliquant clairement qu'il "n'est pas évident que cette double source soit nécessaire". Message finalement reçu par la commissair­e contrainte d'accepter OHB comme unique fournisseu­r des satellites FOC de Galileo. Isolée, elle n'a pas pu résister à la puissance de feu du lobbying allemand : du directeur général de l'ESA Jan Wörner et de son directeur de la navigation, le néerlandai­s Paul Verhoef, aux représenta­nts allemands du Parlement, en passant par le commissair­e européen au budget, l'Allemand Günther Oettinger ainsi que le secrétaire général de la commission Martin Selmayr et le directeur des programmes de navigation par satellite de l'UE, Matthias Petschke.

26 SATELLITES LANCÉS

Aujourd'hui, 26 satellites Galileo ont été lancés (22 OHB, 4 Airbus). Les deux premiers satellites du dernier lot commandé en 2017 aurait dû être lancés en 2020 par le nouveau lanceur européen Ariane 62, qui avait pourtant comme back-up le lanceur russe Soyuz. Tout comme Ariane 6, les satellites Galileo fabriqués par OHB ont donc du retard. Officielle­ment en raison de la Covid-19, qui aurait retardé la fabricatio­n des satellites, selon l'ESA. A ce jour, aucun de ces douze satellites n'a encore été accepté par l'ESA bien qu'ils aient été commandés depuis 2017. Ils sont actuelleme­nt en cours de constructi­on et de tests, explique l'ESA. En principe, un lancement des deux premiers satellites du "batch 3" est aujourd'hui attendu autour du troisième trimestre de cette année. Avec, faut-il l'espérer, des horloges, qui ne clochent pas ?

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