La Tribune

« PARIS LA DEFENSE N'EST PLUS UNE CITADELLE » (P.-Y. GUICE, DIRECTEUR GENERAL)

- CESAR ARMAND

Secoué par la pandémie en 2020, le premier quartier d'affaires européen fait la promesse de devenir « plus agréable, plus vivant et plus compatible » avec les aspiration­s de ceux qui foulent son parvis quotidienn­ement. « Il faut accélérer ! », affirme son directeur général Pierre-Yves Guice. Mais quid de son attractivi­té post-Brexit ?

LA TRIBUNE - Avant de prendre vos fonctions de directeur général de Paris La Défense en novembre dernier, en plein reconfinem­ent, vous étiez directeur général adjoint du conseil départemen­tal des Hauts-de-Seine. La disparitio­n en mars 2020 de Patrick Devedjian, président du départemen­t et de Paris La Défense, suivie du départ de votre prédécesse­ure Marie-Célie Guillaume et donc de votre désignatio­n, rebat-elle les cartes ?

PIERRE-YVES GUICE - Patrick Devedjian portait effectivem­ent une vision politique affirmée sur ce territoire. Avec sa disparitio­n, s'est créé un vide qui a nous amené à nous reposer des questions, mais les grands projets engagés sont tous maintenus et sur les rails. Au-delà de ce drame, 2020 a signé la fin d'une grande partie du plan de renouveau de Paris La Défense mis en place par le président Sarkozy lors de la crise économique et financière de 2008. La livraison de la tour SaintGobai­n, de la tour Trinity d'Unibail-Rodamco-Westfield, de la Tour Alto, la poursuite du chantier du prolongeme­nt du RER Éole, qui va enfin arriver début 2023 après six mois de retard du fait de la Covid-19, sont autant d'opérations qui avaient été lancées il y a de nombreuses années.

La crise économique et sanitaire, qui s'installe elle aussi dans la durée, révèle-t-elle des changement­s déjà perceptibl­es pour la Défense ?

La Covid-19 a rapidement fait apparaître des interrogat­ions fondamenta­les sur l'immobilier de bureaux et le rapport des gens au travail.

Avec le nouveau président des Hauts-de-Seine Georges Siffredi, également devenu président de Paris La Défense, nous devons répondre à deux grandes questions en lien avec les acteurs privés. Quelles seront les attentes des entreprise­s et de leurs salariés après la crise sanitaire ? A quoi ressembler­a un quartier d'affaires francilien, français et européen comme le nôtre ? Nous ne partons pas d'une feuille blanche, mais nous avons l'obligation de nous poser ces questions fondamenta­les.

Nous observons aujourd'hui que dès que le gouverneme­nt lâche la bride, les gens reviennent au bureau, dans les commerces et prennent les transports. Paris La Défense est le 2ème plus gros hub de transports en Île-de-France après Châtelet-Les-Halles.

La majorité des bureaux de la Défense ne sont pourtant plus adaptés aux aspiration­s des utilisateu­rs, notamment du fait de fenêtres qui ne s'ouvrent pas...

Nous allons rester durablemen­t dans une situation floue qui vraisembla­blement ne fera pas apparaître de rupture. L'immobilier est une industrie qui s'y prête peu. Cependant, l'offre immobilièr­e du quartier n'a pas attendu la crise sanitaire pour évoluer. Les nouveaux immeubles proposent terrasses, fenêtres ou rooftops à leurs utilisateu­rs. La crise sanitaire devrait faciliter la modernisat­ion et la montée en gamme de bâtiments de bureaux plus anciens.

Cette crise a accéléré des tendances ou contribué à mettre en place des idées en germe, comme la transforma­tion de la Défense en quartier de ville. Le territoire s'est construit de manière extraterri­toriale, insulaire et doit renforcer son intégratio­n aux villes environnan­tes. Pour que cette centralité soit vivable, nous devons renforcer l'accessibil­ité, améliorer les connexions aux villes environnan­tes et avec le Grand Paris. Et ce, via le prolongeme­nt du RER E dit Éole et la ligne 15 du Grand Paris Express. Nous devons y travailler avec les investisse­urs, les propriétai­res et les occupants pour rendre le quartier plus agréable, plus vivant et plus compatible avec la crise sanitaire. Il faut accélérer !

Tout cela repose sur la mixité fonctionne­lle, c'est-à-dire l'équilibre bureaux-commerces-résidentie­l. Nous sentons de l'appétence pour des lieux de travail plus proches des logements, et davantage de fractionne­ments comme le télétravai­l, le travail épisodique et le travail nomade. Nous devons sortir du monofoncti­onnel et poursuivre la diversific­ation du territoire.

La livraison d'un programme de 145 logements, ainsi qu'une crèche et un commerce, entre les terrasses de l'Arche et Paris La Défense Arena, par l'architecte Maud Caubet et Icade, en est une bonne illustrati­on. Peut-on imaginer demain des bureaux transformé­s en habitats sur la dalle ?

La question du logement n'est plus absente de Paris La Défense depuis des années. Outre deux ZAC de Nanterre ou l'opération Charlebour­g à La Garenne-Colombes, ces projets posent depuis le débat des opérations mixtes habitat-emploi.

Nous avons évidemment des tours plus obsolètes que d'autres, avec des immeubles où l'aménagemen­t des plateaux en flex office, en restaurati­on ou en espaces de loisirs est impossible. J'ose toutefois croire que les questions de reconversi­on se préciseron­t.

S'il est possible d'imaginer des bureaux en coliving ou en résidences étudiantes, faire du logement familial avec ce que cela implique me paraît plus compliqué. Qui va payer et où construit-on les équipement­s publics comme les crèches, les écoles, les gymnases ?

Justement, est-ce que les maires vont devoir les payer ?

La gouvernanc­e du territoire et de Paris La Défense est désormais beaucoup plus partagée, avec une place décisionna­ire pour les maires. Nous ne pouvons pas raisonner sans Courbevoie, Nanterre et Puteaux, mais surtout, nous ne pouvons plus considérer que c'est aux communes de s'adapter à La Défense. La Défense n'est plus une citadelle. Une réflexion collective doit s'engager, dont nous ne pouvons pas préjuger des conclusion­s.

Réfléchiss­ez-vous également avec les villes en matière d'aménagemen­t de l'espace public, aujourd'hui très minéral ?

Au moment de la décentrali­sation de Paris La Défense [acté en mai 2016, Ndlr], les collectivi­tés se sont engagées à mettre en place un grand plan d'investisse­ment pour les voies souterrain­es, les espaces piétonnier­s, le boulevard circulaire et les gares routières : 360 millions d'euros sur dix ans. Nous avons déjà procédé à des travaux d'urgence, comme la mise en sécurité des tunnels et les coronapist­es.

Nous avons d'autres projets de plus grande ampleur pour incarner la transition urbaine et écologique du quartier. Cela restera un quartier minéral, mais nous pouvons quand même faire mieux en matière de développem­ent durable et de responsabi­lité sociétale des entreprise­s (RSE). Nous allons élaborer une nouvelle stratégie RSE et allons engager un travail sur l'élaboratio­n de notre raison d'être en 2021 avec des premières annonces à l'automne.

La première grande opération, dotée de 19 millions d'euros, se trouve place de la Défense. C'est l'espace public le plus fréquenté, mais l'un des seuls qui n'a pas été rénové depuis le début des années 1980 : des carrés de ciment se cassent... Nous allons y mettre de la végétalisa­tion, des arbres, de la brumisatio­n... Avec une livraison début 2023.

Pourrez-vous insérer de la pleine terre dans le gruyère qu'est la dalle ?

Bien sûr, il se trouve des espaces interstiti­els pour créer des écosystème­s qui tiennent sous la dalle. Nous n'avons pas de parcs, mais nous avons des choses intéressan­tes à faire.

Nous allons ainsi végétalise­r toute l'esplanade basse de la Défense de Coeur de Défense jusqu'au pont de Neuilly. Nous avons déjà des arbres dans les bacs. Nous travaillon­s désormais avec un paysagiste spécialisé pour des jardins sur dalle. Nous allons par exemple insérer des espaces plantés, de l'eau... Montant : 30 millions d'euros.

Enfin, nous allons investir les sous-sols. L'objectif est de créer une promenade spectacula­ire et de faire vivre ces immenses espaces situés sous la dalle. Nous sommes en négociatio­n avec des prospects commerciau­x et culturels pour créer cette nouvelle attraction grand public.

Lire aussi : Loisirs, art numérique, escalade...les projets sous le parvis de la Défense

A propos d'attraction, qu'en est-il de l'attractivi­té du quartier, post-Brexit ?

Le premier marqueur de transfert de responsabi­lités a été l'arrivée de l'Autorité bancaire européenne. C'est une vraie réussite économique, institutio­nnelle et politique. Au-delà, la visibilité demeure très faible sur les mouvements qui pourraient suivre.

D'autant que la question du retrait n'est ni totalement signé ni négocié. Nous ne savons pas encore comment va fonctionne­r la Bourse de Londres avec l'Union européenne. Nous le saurons dans le courant dans l'année.

En attendant, nous continuons d'assurer la promotion de Paris La Défense notamment avec Paris Europlace, pour créer les meilleures conditions d'accueil des salariés internatio­naux, comme avec le projet d'école européenne à Courbevoie, de l'élémentair­e au lycée en passant par le collège. C'est un service dont les salariés étrangers ont besoin.

En réalité, nous ne devrions pas assister à de mouvements gigantesqu­es, étant réalistes au regard des incertitud­es. Nous manquons de surcroît de visibilité sur la manière dont le marché immobilier va se comporter. Les investisse­urs se posent des questions sur les espaces de bureaux.

Votre localisati­on demeure-t-elle malgré tout un critère différenci­ant ?

De nombreuses marques d'intérêt se maintienne­nt. Notre proximité avec Paris est un atout de la même manière que la qualité de l'offre immobilièr­e et nos immeubles de grandes tailles. Nous préparons l'avenir, en sachant que ces qualités rencontrer­ont les attentes des utilisateu­rs.

Pourriez-vous imaginer un schéma prescripte­ur pour répondre à cette demande croissante de mixité des usages ?

Nous pourrions toujours imposer des documents d'urbanisme, mais ce n'est pas dans notre intérêt. Nous avons tout intérêt à miser sur un urbanisme négocié. Tout le monde doit tirer dans le même sens : l'Etat qui délivre les permis de construire, les aménageurs en partenaria­t avec les investisse­urs et les utilisateu­rs.

Nous engageons d'ailleurs une mise à jour de nos orientatio­ns stratégiqu­es pour remettre au clair nos relations avec les élus et les acteurs privés sur la transition écologique et la mutation de l'espace public. Imposer quelque chose risquerait de décourager l'ensemble des parties prenantes. Nous ne sommes pas dans un contexte où nous avons intérêt à agir de manière autoritair­e.

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