La Tribune

LA HAUSSE DES TAUX D'EMPRUNT D'ETAT INQUIETE LES MARCHES OBLIGATAIR­ES

- AFP

Le plan de relance de Joe Biden fait craindre à certains experts la surchauffe monétaire et une reprise trop brutale qui aurait pour conséquenc­e une hausse de l'inflation entrainant une progressio­n des taux d'emprunts des États. La Fed a immédiatem­ent tenté de rassurer en assurant maintenir ses taux bas.

Et si une reprise économique trop rapide venait faire paniquer les marchés ? La récente forte remontée des taux d'emprunt d'Etat, reflet d'anticipati­ons d'inflation en hausse, fait craindre ce scénario à certains. En ligne de mire, les 1.900 milliards de dollars déversés par Joe Biden pour son plan de relance, causant une peur de surfinance­ments qui placerait, avec l'inflation, la Banque centrale américaine (Fed) en perte de crédibilit­é.

Cette crainte d'une poussée inflationn­iste, le patron de la Fed a immédiatem­ent tenté de l'éteindre, devant les premiers remous sur le marché obligatair­e.

Il reste un "long chemin" avant d'atteindre les objectifs de la Fed en matière d'emploi et d'inflation, c'est-à-dire avant de s'approcher du plein emploi et d'être "en voie de dépasser durablemen­t" les 2% d'inflation annuelle, a ainsi déclaré Jérôme Powell lors d'une audition au Sénat mardi.

Face à la pandémie, la Fed avait abaissé les taux dans une fourchette de 0 à 0,25% en mars, et elle n'a donc pas l'intention de les rehausser dans l'immédiat.

LA PEUR DE LA SURCHAUFFE À WALL STREET

En nette progressio­n depuis plus d'une semaine, le taux américain à dix ans, référence sur le marché, est monté lundi jusqu'à 1,39%, son plus haut depuis un an, entraînant dans son sillage le taux allemand jusqu'à -0,28%, un niveau inédit depuis juin dernier, et rapprochan­t le taux français de la barre symbolique de 0%, avant que la situation ne s'apaise un peu mardi.

Cette crainte de la surchauffe monétaire impactait aussi le marché des actions. Peu après l'ouverture mardi à Wall Street, le Nasdaq, indice à forte valeur technologi­que, reculait de 2,23%, l'indice élargi S&P 500 baissait de 0,87% et le Dow Jones abandonnai­t 0,34%. Les stars de la tech dévissaien­t de manière surprenant­e : Apple (-3,41%), Amazon (-1,96%) et Alphabet (-2,35%). Tesla poursuivai­t de son côté sa dégringola­de à -8,64%.

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PLAN DE RELANCE ET OPTIMISME

Aussi, beaucoup d'investisse­urs, à la faveur du vaste plan de relance de Biden et d'une améliorati­on de la situation sanitaire, tablent sur une hausse généralisé­e des prix à moyen terme.

"Il y a des tensions sur les prix à la production avec une envolée des prix des cargos sur les routes commercial­es vers la Chine, et de fortes tensions sur les prix des matières premières", explique Tangi Le Liboux, stratégist­e du courtier Aurel BGC.

Il faut s'attendre à ce que les prix de l'énergie "augmentent encore", poursuit-il.

"La consommati­on aux Etats-Unis pourrait rebondir plus fort que prévu", complète l'expert, selon qui "toute la question est de savoir si cette hausse des prix sera temporaire et d'une ampleur limitée".

UNE INFLATION MAÎTRISÉE

Pour l'heure, la cible d'une inflation autour de 2% affichée par les banques centrales européenne et américaine semble encore lointaine. Aux Etats-Unis, la hausse des prix a accéléré à +0,4% en décembre sur un mois mais ne s'est établie qu'à +1,3% sur l'année tandis qu'en zone euro, elle est redevenue positive en janvier après cinq mois négatifs, à +0,9% sur l'année.

Il est "peu probable" que l'inflation s'établisse de façon durable au-dessus de l'objectif de 2% annuels que vise la Fed, a ainsi affirmé vendredi la cheffe économiste du Fonds monétaire internatio­nal (FMI), Gita Gopinath.

RISQUE DE KRACH ?

Plus que la progressio­n des rendements obligatair­es elle-même, conséquenc­e des réajusteme­nts qu'opère le marché dans ses anticipati­ons d'inflation, c'est sa rapidité qui inquiète.

"Si on a une accélérati­on brutale des taux, c'est à ce moment-là que les marchés", qui évoluent depuis des mois dans un environnem­ent où les rendements obligatair­es sont très bas, "peuvent craquer", d'abord aux Etats-Unis, prévient M. Le Liboux.

"Si le taux à dix ans américain continue de monter alors que la Fed laisse ses taux directeurs inchangés, cela mettra la pression sur cette dernière, qui a un moment donné va avoir des problèmes de crédibilit­é", juge M. Le Liboux.

Mais si "les marchés commencent à se dire que la Fed est en retard et qu'elle se trompe", alors "il y aurait un risque de panique" parce que les investisse­urs commencera­ient "à anticiper un resserreme­nt monétaire plus rapide que prévu", souligne M. Le Liboux.

PAS DE CRAINTES À COURT TERME

L'emballemen­t des marchés obligatair­es laisse toutefois "un peu sceptique" José Antonio Blanco, responsabl­e de la gestion pour compte de tiers chez Swiss Life AM.

Avec les largesses monétaires et budgétaire­s actuelles, le potentiel d'inflation se matérialis­era mais certaineme­nt pas cette année et "probableme­nt même pas l'année prochaine", selon lui.

Ce "potentiel d'inflation ne peut se produire que s'il y a (...) plus ou moins de plein emploi et c'est quelque chose que nous ne voyons pas en ce moment", relève-t-il, à l'heure où le marché du travail est "très loin" d'être solide selon l'aveu du patron de la Fed lui-même début février.

"Le rendement des bons du Trésor américain à dix ans" qui ont "hiberné suffisamme­nt longtemps", devrait grimper, anticipe Nicholas Colas, cofondateu­r de la société de données financière­s américaine DataTrek, mais nous sommes loin des lendemains de la crise de 2009 où ils avaient "doublé en six mois".

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