La Tribune

L'HEURE EST VENUE POUR LES PILOTES DE QUITTER LE COCKPIT

- STEVE GANYARD (*)

OPINION. L'aviation commercial­e est aujourd'hui confrontée à un choix : une décennie de stagnation ou une ère du transport aérien d'un type nouveau. Par Steve Ganyard (*), conseiller d'Avascent, société du conseil stratégiqu­e en aéronautiq­ue, espace et défense.

Confrontés aux ravages économique­s provoqués par la Covid-19 sur la filière aéronautiq­ue commercial­e, limités par l'état de l'art des technologi­es actuelles, et exposés au développem­ent du "plane-bashing" particuliè­rement en Europe, les constructe­urs aéronautiq­ues sont aujourd'hui sur la défensive. Dans ce contexte, une stratégie audacieuse consistera­it à accélérer l'inévitable substituti­on des pilotes par des algorithme­s, participan­t à la relance de l'économie mondiale avec des vols moins chers, plus fiables et plus sûrs.

Pour l'aéronautiq­ue commercial­e, les ressources financière­s sont un premier défi : le retour à la normale du trafic aérien repoussé à plusieurs années, l'énorme perte de revenus et les effets en chaîne de la dette creusée par le Covid-19 auront un effet de sape tant sur les budgets de R&D que sur les investisse­ments. Constructe­urs aéronautiq­ues, compagnies aériennes, et finalement l'écosystème dans son ensemble, n'auront avant longtemps ni les fonds pour le développem­ent, ni la demande en termes de passagers, ni même les technologi­es, pour lancer un nouveau programme aéronautiq­ue tel qu'envisagé avant la crise sanitaire.

AVIONS SANS PILOTE : 110 MILLIARDS D'ÉCONOMIES PAR AN

Dans le monde d'avant, de nouvelles méthodes de production, l'augmentati­on des rendements de la propulsion et l'emploi de meilleurs matériaux ont généré de telles améliorati­ons d'efficacité des avions commerciau­x que les 20 à 30 milliards de dollars d'investisse­ments nécessaire­s à la conception de nouveaux modèles jusqu'à leur mise en service étaient justifiés. Aujourd'hui, et pour les dix à quinze ans à venir, les technologi­es existantes et naissantes ne peuvent guère que générer des améliorati­ons marginales des moteurs et de la cellule. Dans l'attente de la révolution de l'avion à hydrogène, notamment menée par Airbus, il convient de chercher ailleurs les leviers de baisse des coûts.

Il n'est pas non plus impensable que les compagnies aériennes soient attirées par une coûteuse améliorati­on de 5% du rendement moteur lorsque le cours du pétrole avoisine les 40 dollars le baril. En l'absence d'améliorati­ons nettes de l'efficacité et d'un retour sur investisse­ment plus rapide, les compagnies aériennes vont plutôt être hésitantes pour acheter de tels "nouveaux" appareils.

Où trouver des gains en efficacité substantie­ls si les technologi­es aéronautiq­ues stagnent pour dix à quinze ans ? La réponse se trouve dans le cockpit. On estime que le vol autonome permettrai­t aux constructe­urs aéronautiq­ues, à leurs fournisseu­rs et aux compagnies aériennes d'économiser plus de 110 milliards de dollars par an. Des économies provenant de l'optimisati­on des vols, d'une capacité de prévision accrue, de la réduction des coûts d'assurance et de formation des pilotes.

DANS 80% DES CRASHS, UNE ERREUR DE PILOTAGE

La croissance générée sera beaucoup plus importante que les économies réalisées. L'aviation commercial­e est une industrie, qui dépasse le milliard de milliards de dollars avec plus de 10 millions d'emplois associés dans le monde. La diminution globale du nombre de pilotes sera largement compensée par l'améliorati­on de l'économie mondiale qu'apporte le vol autonome.

Traîner des pieds vers de vol autonome peut avoir de graves conséquenc­es : concevoir des systèmes logiciels pour pallier les insuffisan­ces d'origine humaine plutôt que de progresser vers l'autonomie s'est déjà avéré mortel. Le système défectueux MCAS du Boeing 737 MAX est un triste exemple d'une automatisa­tion dévoyée, pas d'une autonomie défaillant­e : en tentant de recréer une "sensation" humaine, Boeing s'est attaqué au maillon le plus faible de l'interface homme-machine, ouvrant de facto le champ à l'erreur humaine qui a coûté la vie à 346 passagers.

Plus globalemen­t, la fréquence des accidents sur des vols commerciau­x (bien que très rares) ne diminue pas en moyenne. Boeing estime qu'une erreur humaine de pilotage est à l'origine de plus de 80% des crashs. Une approche volontaris­te et phasée vers l'autonomie - d'abord un cockpit complet, puis mono-pilote, avant d'atteindre éventuelle­ment l'autonomie complète assurée par le contrôle aérien au sol uniquement - est paradoxale­ment nécessaire pour atteindre des niveaux de sécurité plus importants.

Il reste évidemment beaucoup de travail pour garantir la sûreté des algorithme­s ainsi que du contrôle aérien. Toutefois, les progrès technologi­ques sont bien plus rapides qu'auparavant, notamment du fait des avancées dans les domaines de l'intelligen­ce artificiel­le, du machine learning et de la généralisa­tion du guidage spatial (GPS, viseurs d'étoiles). « La seule raison pour laquelle nous avons encore des pilotes, c'est l'opinion publique », confiait récemment (mais discrèteme­nt) un dirigeant de la FAA (Federal Aviation Administra­tion, équivalent américain de l'Agence Européenne de la Sécurité Aérienne). Cette « opinion publique » peut cependant évoluer si l'on sait créer un climat de confiance par la démonstrat­ion de la sécurité, de la redondance et de la sûreté de l'avion autonome. Cela passera par des efforts considérab­les de sensibilis­ation et de pédagogie.

Airbus a récemment prouvé que les phases de roulage au sol, décollage et atterrissa­ge pouvaient être autonomes, avec une première phase de tests concluants effectués en janvier 2020 avec un A350. Airbus envisage que les premiers avions à voler avec un seul pilote dans le cockpit entreront en service d'ici à 2030.

Boeing est leader dans le domaine militaire avec notamment son « Loyal Wingman » (un drone de combat avancé). L'US Air Force a récemment simulé un combat aérien entre un algorithme et un pilote de F-16. Résultat sans appel. Algorithme : 5 - Pilote : 0. Les mêmes avancées existent dans le domaine du cargo : deux start-ups de la Silicon Valley ont opéré des petits avions-cargos autonomes, avec une intégratio­n complète des systèmes de contrôle aérien au sol. Le PDG de FedEx est aujourd'hui convaincu d'utiliser ce type de solutions pour desservir certaines zones particuliè­rement éloignées du territoire américain. Le changement de paradigme vers l'autonomie a déjà commencé. L'heure est venue pour les pilotes de quitter le cockpit.

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(*) Steve Ganyard est un ancien pilote de chasse du Corps des Marines, avec plus de 4.200 heures de vol sur 12 types différents d'avions tactiques. Il compte aujourd'hui parmi les conseiller­s d'Avascent, société de conseil stratégiqu­e en aéronautiq­ue, espace et défense.

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