La Tribune

JOE BIDEN AURAIT-IL OUBLIE LA BIODIVERSI­TE ?

- SIDNEY ROSTAN (*)

OPINION. Ambitieuse. Voici ce qu'on pourrait retenir de la future politique environnem­entale de Joe Biden. Plan de relance verte à 2000 milliards de dollars, réintégrat­ion des États-Unis dans l'accord de Paris, investisse­ments massifs dans la R&D décarbonée... : le programme climatique du nouveau président est bien fourni ! Pourtant, sur les 7200 mots qu'il contient, le mot "biodiversi­té" n'apparaît que deux fois. De quoi s'inquiéter ? (*) Par Sidney Rostan, PDG de Bioxegy.

L'intention du nouveau pouvoir exécutif américain est bien sûr louable. La campagne Biden-Harris affirmait vouloir défaire les directions engagées sous l'administra­tion Trump et ainsi réparer quatre années de politiques environnem­entales chaotiques. Dans son programme, le candidat Biden soulignait la réalité des défis climatique­s, et multipliai­t les promesses. On y lit donc un ensemble de mesures destinées à réorienter la première économie mondiale vers un développem­ent plus durable. Sans grande surprise, l'accent est mis sur les énergies renouvelab­les et l'atteinte de la neutralité carbone d'ici 2050. On y mise aussi sur des évidences comme la rénovation des bâtiments, la modernisat­ion des infrastruc­tures et des moyens de transport, la taxation des industries polluantes et des initiative­s diplomatiq­ues en tout genre pour freiner les projets à fort impact carbone. Point positif : la création de l'ARPA-C (Advanced Research Projects Agency for Climate), un nouvel organisme de recherche qui pourra profiter d'une enveloppe massive de 400 milliards de dollars en faveur de l'innovation écologique. "C'est plus du double de l'investisse­ment consenti pour le programme Apollo", peut-on y lire.

Mais on ne peut s'empêcher de constater une grande absente : la biodiversi­té. Embarrassa­nt.

Certes, le programme du nouveau président la mentionne à deux reprises. Mais on peut regretter que c'est uniquement pour souligner les conséquenc­es du dérèglemen­t climatique, plutôt que pour proposer de nouvelles politiques spécifique­s en la matière. C'est symptomati­que : une fois de plus, la biodiversi­té est réduite à son rôle de victime, plutôt que de la présenter comme solution incontourn­able. Et la distinctio­n est fondamenta­le.

UNE BIODIVERSI­TÉ RELÉGUÉE

Comme le souligne Shahid Naeem, professeur en biologie environnem­entale à l'Université de Columbia, la biodiversi­té est pourtant au coeur du problème. Le consensus scientifiq­ue est clair : l'interdépen­dance entre dérèglemen­ts climatique­s majeurs et stabilité des écosystème­s est flagrante. Sécheresse­s, canicules, excès de GES, inondation­s, maladies infectieus­es... tout est lié directemen­t ou indirectem­ent à l'état du monde vivant. Il convient d'évoquer un seul exemple édifiant pour s'en rendre compte : d'après une récente étude du FMI, en rétablissa­nt la population mondiale de baleines à son niveau datant d'avant la chasse massive, c'est-à-dire 4 à 5 millions d'individus, nous pourrions espérer qu'elles participen­t à elles seules à la séquestrat­ion de

1,7 milliard de tonnes de CO2 par an, en favorisant la croissance du phytoplanc­ton dans les océans. C'est l'équivalent de près de 5 fois les émissions de la France entière ! Et s'il fallait le rappeler, c'est bien encore notre relation dysfonctio­nnelle à la biodiversi­té qui est à l'origine même de la pandémie de la Covid et de ses conséquenc­es sanitaires, politiques et économique­s.

Bien trop souvent, la biodiversi­té est reléguée au bas de la hiérarchie des priorités. Or la nouvelle administra­tion Biden n'aura pas le choix : régler les enjeux environnem­entaux, c'est peut-être certes investir dans de nouvelles technologi­es vertes, panneaux solaires ou véhicules électrique­s, mais en réalité, c'est surtout définir un plan d'action limpide pour retisser les liens avec le reste des êtres vivants. Et cela ne saurait se limiter au fait de mettre la nature sous cloche. Car si l'on peut effectivem­ent se réjouir de la promesse d'une enveloppe de 9,5 milliards de dollars pour restaurer et protéger les parcs nationaux, ainsi que d'un investisse­ment annuel de 900 millions de dollars pour le Land and Water Conservati­on Fund, ces politiques sont malheureus­ement insuffisan­tes et trop modestes par rapport à la gravité de l'enjeu. D'ailleurs ce décalage n'est pas propre aux ÉtatsUnis.

Pour prendre un exemple, dans le cadre de la présidenti­elle de 2017, la biodiversi­té n'était mentionnée que 3 fois au total dans le programme de Jean-Luc Mélenchon (contre 28 occurrence­s pour le mot économie). Idem outre-Rhin : dans les 50 pages du programme structuran­t du parti CDU allemand, le mot biodiversi­té n'apparaît que 3 fois, pour seulement 10 lignes au total.

"NATURE BY DESIGN"

Il convient alors de poser la question suivante : que pourrions-nous espérer voir apparaître dans les futurs programmes politiques ? Plus largement, que pourrions-nous attendre des actions gouverneme­ntales en matière de biodiversi­té ? La réponse se trouve peut-être en partie dans une approche nouvelle appelée "nature-based solutions", comprendre "solutions fondées sur la nature". Définie en 2016 par l'UICN, l'Union Internatio­nale pour la Conservati­on de la Nature, elle désigne les actions visant à protéger, et surtout à gérer de manière durable les écosystème­s naturels pour relever les enjeux de société, assurer le bien-être humain et produire des bénéfices pour la biodiversi­té.

On pourrait évoquer l'exemple d'une solution développée par Suez en Chine : afin de compléter l'action des stations d'épuration et traiter les eaux usées du parc industriel de Shanghai, l'entreprise a conçu une zone humide artificiel­le, appelée Zone Libellule. Celle-ci mise sur l'ingéniosit­é des mécanismes et des facultés de la nature pour purifier l'eau. Ainsi, cette zone recrée un véritable écosystème : plancton, diatomées, micro ou macrophyte­s et autres végétaux aquatiques viennent absorber, filtrer, réguler et biodégrade­r. En plus d'offrir un habitat supplément­aire pour de nombreuses espèces, la Zone Libellule vient éliminer les micropollu­ants présents dans les eaux usées.

Citons aussi le projet de restaurati­on des récifs d'huîtres menés par l'économiste environnem­ental Timm Kroeger dans le Golfe du Mexique : en plus de créer une centaine d'emploi et d'assurer une retombée économique régulière pour les communauté­s locales, ces récifs ont contribué à réduire la hauteur des vagues de 90% pour protéger le littoral, ainsi qu'à réduire les émissions d'azote locales de plusieurs milliers de kilogramme­s par an, grâce à l'action épuratrice des huîtres. Un projet bientôt repris dans le port de New York.

Le biomimétis­me, approche d'innovation consistant à s'inspirer de la sophistica­tion des techniques et mécanismes présents dans la nature, pour concevoir des technologi­es plus intelligen­tes, fait partie de ces nature-based solutions. À noter qu'en la matière, on observe un réel essor des publicatio­ns scientifiq­ues en Chine, en Allemagne et aux États-Unis. La bio-inspiratio­n pourrait peser jusqu'à 425 milliards de dollars dans le PIB américain à l'horizon 2030.

Espérons que ces chiffres édifiants ne tombent pas dans l'oreille d'un sourd à la Maison-Blanche.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France