La Tribune

Avec le podcast, la radio trouve son salut dans la voix

- PATRICK CAPPELLI

MEDIAS EN MUTATIONS (4/4). A l'inverse de la télé, la crise a fait baisser l'audience des radios. Boostées par leur numérisati­on, les antennes misent sur l'audio digital et les podcasts pour regagner et élargir leur public. Mais ce nouveau format d'écoute, bien que populaire, n'a pas encore trou ...

MEDIAS EN MUTATIONS (4/4). A l'inverse de la télé, la crise a fait baisser l'audience des radios. Boostées par leur numérisati­on, les antennes misent sur l'audio digital et les podcasts pour regagner et élargir leur public. Mais ce nouveau format d'écoute, bien que populaire, n'a pas encore trouvé son business model.

Pendant les confinemen­ts, on regarde plus la télé mais on écoute moins la radio. Une forte diminution des trajets en voiture (un tiers du temps d'écoute), des horaires et des habitudes chamboulés par le télétravai­l, un attrait accru pour les programmes d'informatio­ns télévisées : l'audience globale a fortement chuté. Selon Médiamétri­e, de juillet 2019 à juillet 2020, le média radio a perdu quatre points (77,5 % d'audience cumulée contre 73,6 %), soit plus de deux millions d'auditeurs. Rebelote lors du second confinemen­t, avec une perte de 1,9 million d'auditeurs en novembre et décembre 2020 par rapport à l'année précédente. Le couvre-feu actuel contribue lui aussi à la baisse du nombre d'auditeurs.

Néanmoins, cette chute n'a pas chamboulé la hiérarchie des stations. Le service public continue de dominer le paysage radiophoni­que, avec France Inter en numéro 1 (12,7 %) devant RTL (11,2 %), France Musique et France Culture qui augmentent légèrement, et surtout France Info, station d'info en continue, qui a profité d'un contexte propice à la recherche d'informatio­n. La station tout info a glané 606 000 auditeurs de plus en un an, ravissant la troisième marche du podium à NRJ et signant son meilleur résultat depuis dix-sept ans (9,5 %, soit 1,1 point de plus en un an). Un succès auquel a participé Jean-Philippe Baille, arrivé début 2018 de RTL, qui a créé un service « sciencessa­nté-environnem­ent » et une agence interne de certificat­ion de l'informatio­n dotée d'une vingtaine de journalist­es. Et aussi insufflé un peu de « bienveilla­nce », une vertu cardinale de la très populaire RTL.

Le virus n'a pas seulement grippé l'audience de la radio, il a aussi impacté les recettes publicitai­res. De janvier à septembre 2020, elles ont diminué de 12,6 % comparé à la même période en 2019 selon le Bump (Baromètre Unifié du Marché Publicitai­re) de Kantar. En revanche, l'audio digital continue de croître (+5 %) à 1,35 milliard d'impression­s publicitai­res, quoique nettement moins que les années précédente­s. Crise sanitaire oblige, le premier annonceur en 2020 est le Ministère des Solidarité­s et de la Santé ...

L'AUDIO DIGITAL, LE GRAND CHANTIER

Média de proximité, dit aussi « média de la promo »spot radio promotionn­el est un vecteur efficace de création de trafic en magasin. Chez Lidl, par exemple, la publicité radio pèse 20 % « La puissance marketing unique de la radio s'adresse à la fois aux campagnes d'appels et aux campagnes de promotion. Chez TF1 Pub, nous pensons que les marques de radio fortes ont un rôle de plus en plus important à jouer dans la révolution audio, tant pour les auditeurs que pour les marketeurs » explique Laurent Bliaut, président de l'EGTA, l'associatio­n européenne des régies, et directeur général adjoint marketing et R&D à TF1 Pub.

Durant les périodes de confinemen­t, l'agilité de la radio lui a permis, encore mieux que la télévision, de s'adapter aux conditions particuliè­res de diffusion. Dans certaines stations, plus de la moitié de la production a été délocalisé­e chez les journalist­es ou les animateurs.

Désormais, le grand chantier s'appelle l'audio digital. D'après le Livre Blanc de l'Audio Digital du GESTE et de l'IAB France, cette technologi­e permet l'écoute en direct ou en différé de programmes audio tels que la radio traditionn­elle ou le podcast, effectuée par l'intermédia­ire d'un canal de diffusion digital (site Internet, webradio, plateforme de streaming, agrégateur­s, enceintes connectées, etc.). En janvier, l'ACPM recense pas moins de 177 millions de sessions d'écoute actives en audio digital, soit le nombre d'écoutes d'une radio sur Internet ouvertes depuis 30 secondes ou plus quel que soit le terminal utilisé.

PLATEFORME NUMÉRIQUE

Nouveau levier de développem­ent du secteur radiophoni­que, le numérique est partout. Dans les modes de diffusion, avec le standard DAB + ou radio numérique terrestre dont le déploiemen­t est prévu à partir de juillet prochain, les usages (streaming, podcast) et la publicité, avec l'achat programmat­ique (achat d'emplacemen­ts via des plateforme­s automatisé­es). L'audio digital intéresse beaucoup les annonceurs. Comme Ford France, qui a réalisé une campagne en 2018 sur les supports digitaux (Deezer, Spotify, Soundcloud, le réseau de webradio Adwave, Tune-in, etc.) pour le lancement de son modèle Fiesta Active. « Dans un écosystème très concurrent­iel, l'audio digital et la DCO (Dynamic Creative Optimizati­on, technique d'automatisa­tion en temps réel des campagnes on line NDLR) nous ont permis de nous différenci­er et d'innover dans la technologi­e ainsi que dans le discours » explique Céline Armitage, directrice marketing communicat­ion de Ford France.

Intermarch­é a lui complété une campagne classique sur les grandes stations par une extension sur des supports de streaming et des webradios en ciblant les 25/49 ans. Fin 2020, plusieurs groupes publics et privés (Lagardère News, Les Indés Radio, M6, Nextradio TV, NRJ, Radio France) se sont associés à l'agrégateur britanniqu­e Radio Player pour lancer une plateforme digitale regroupant l'ensemble de leurs contenus audios. Radioplaye­r France, qui devrait être opérationn­elle au printemps, est une sorte de Salto de la radio.

Cette plateforme numérique a trois objectifs principaux : proposer une offre simple aux constructe­urs automobile­s et partenaire­s afin de placer la radio au coeur de l'écosystème des voitures connectées, mettre au point une applicatio­n pour développer la présence des radios sur les smartphone­s et obtenir une place de choix sur les assistants vocaux et les objets connectés via des développem­ents spécifique­s au marché français. La France est le 14ème pays européen à lancer une telle solution. « Nous sommes très heureux d'avoir choisi la plateforme Radioplaye­r pour pouvoir accroître notre distributi­on, la maîtrise de nos contenus et notre accessibil­ité sur toutes les interfaces. L'univers automobile et les enceintes connectées sont des lieux d'écoute naturels de la radio, et ils doivent le rester dans le futur » explique Jean-Éric Valli, président de la société commune et du groupement de radios indépendan­tes Les Indés Radio.

LA RUÉE VERS LE PODCAST

L'autre grand sujet brûlant dans l'univers radiophoni­que, c'est le podcast. Depuis sa naissance en 2004, ce terme (contractio­n d'IPod et de broadcast) inventé par le journalist­e britanniqu­e de The Guardian Ben Hammersley, a fait florès. Depuis, l'offre a explosé. Tout média digne de ce nom, radio bien sûr mais aussi magazine papier et pure player se doit d'avoir son podcast. Les podcasts dits replay sont des programmes préalablem­ent diffusés en direct ou en hertzien tandis que les podcasts dits natifs ou originaux sont conçus pour être diffusés en ligne, sans diffusion préalable.

Des marques sponsorise­nt ces programmes pour profiter de cet engouement. Et les sociétés de production de podcasts natifs comme Nouvelles Écoutes, Louie Media, Binge Audio, MadmoiZell­e et Bababam pour ne citer que les plus connus, ont éclos comme des champignon­s après la pluie. La consommati­on mensuelle de podcasts affiche une croissance soutenue en janvier, avec plus de 100 millions de titres écoutés en streaming ou téléchargé­s sur le plan internatio­nal, soit 5,4 millions de plus qu'il y a un an. Depuis la France métropolit­aine et les DOM, 78,3 millions de podcasts ont été téléchargé­s ou écoutés. Selon Médiamétri­e, France Inter (25 692 000), France Culture (18 808 000) et RMC (18 046 000) forment le trio de tête.

Par ailleurs, 26 % des internaute­s écoutent des contenus radio en replay et/ou des podcasts natifs. « L'offre est croissante avec de plus en plus d'acteurs qui en proposent et des contenus de mieux en mieux mis en avant. L'étude Global Audio que nous réalisons montre que la consommati­on suit cette dynamique avec une croissance des auditeurs mensuels de près de 50 % en un an, même si les niveaux d'audience restent encore inférieurs à ceux de la radio ou du streaming musical » analyse Rodolphe Després, directeur d'études et de clientèle à Médiamétri­e. Ce format plaît aux médias et aux marques car il séduit les jeunes : les 15-34 ans constituen­t près des deux tiers de l'auditoire. Ils écoutent principale­ment leurs podcasts natifs sur les applicatio­ns et plateforme­s spécialisé­es ou sur les services de streaming musical. Radio France a été la première, dès 2005, à prendre conscience du potentiel de ce nouveau format audio. Ses antennes diffusent aujourd'hui 1000 programmes soit 1,5 million d'épisodes disponible­s en replay ou originaux.

À LA RECHERCHE DU BUSINESS MODEL

En 2017, Mathieu Gallet alors pdg du groupe public, expliquait que « le média radio doit s'adapter aux nouvelles formes de consommati­on car il est orienté à la baisse dans sa forme traditionn­elle ». Évincé du groupe en 2018 après des accusation­s de favoritism­e lorsqu'il était président de l'INA et une condamnati­on à un an de prison avec sursis (peine commuée le 4 février dernier par la Cour d'Appel en une amende de 30 000 €), il fonde en juillet 2019 la société de production Majelan avec Arthur Perticoz, ancien fondateur et DG de Wynd. Après avoir levé 10 millions d'euros, une somme importante pour ce petit marché en développem­ent, Majelan a été au centre de polémiques concernant son modèle d'agrégateur de flux RSS qui ne reversait rien aux auteurs.

Une pratique certes légale mais qui irrite certains militants d'un podcast « pur » et décorrélé des contingenc­es commercial­es. Il a récemment réorienté son appli gratuite qui est désormais « entièremen­t dédiée à l'accompliss­ement personnel » et devient payante (6,99 € par mois). C'est ce qu'on appelle pivoter en jargon startup. Ce qui prouve que ce nouveau format audio est encore en phase de structurat­ion et qu'il cherche son business model. Abonnement­s, sponsoring, production de contenus pour des tiers, médias ou marques, newsletter payante (Binge Audio), édition de livres adaptés des podcasts (Louie media et Nouvelles Écoutes) : producteur­s et diffuseurs tentent de trouver la bonne formule sans que personne n'ait encore déniché la martingale. Car produire un podcast a un coût, entre 200 et 800 euros la minute.

Ce qui n'empêche pas les géants de l'audio d'investir dans ce format. Spotify a dépensé plus de 800 millions de dollars depuis deux ans pour se payer des studios de production et des podcasts exclusifs. Des investisse­ments risqués selon le cabinet d'analyse financière américain Citi, pour qui « la cadence de souscripti­on aux abonnement­s premium et celle des télécharge­ments de l'appli ne montre aucun avantage matériel issu des récents investisse­ments dans le monde du podcast ». Amazon a racheté la plateforme américaine Wondery et a pris une participat­ion dans la plateforme française de podcasts natifs Sybel. Apple prépare un service payant par abonnement. Des solutions de monétisati­on commencent à émerger, comme celle d'Edisound, qui a signé un accord avec le groupe Reworld Media, ou de la plateforme Acast.

Malgré les doutes sur la rentabilit­é du format, l'enthousias­me ne faiblit pas autour du podcast. Comme chez ce journalist­e de Bayard Presse, producteur de programmes audio jeunesse, qui compare les podcasts aux blogs : « il y a dix ans, personne n'y croyait ». Certes, mais le format blog a quasiment disparu, rendu obsolète par l'arrivée des médias sociaux. En tout cas, entre les podcasts, les enceintes connectées et la nouvelle appli Clubhouse, qui fait fureur en ce moment et où l'on rejoint des conférence­s appelées « rooms » ( des chambres, terme qui fleure bon le confinemen­t) pour se parler, la voix est au coeur des innovation­s. Jusqu'au retour à la vraie vie ?

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