La Tribune

"UN CAMION QUI ENTRE DANS UNE ZFE NE DOIT PAS AVOIR 1 CM3 DE LIBRE" (LA POSTE AURA)

- MARIE LYAN

Enquête. Comment Lyon repense sa logistique urbaine (3/4). Arrivée aux commandes en juin dernier, Mylène Franceschi est la nouvelle patronne du Groupe La Poste en AuvergneRh­ône-Alpes. A Lyon, l'opérateur postal anticipe l'arrivée des nouvelles étapes de la ZFE, dans une région qui avait déjà accueilli, en 2019, la première implantati­on de sa filiale Urby. Organisati­on et maillage local, relations avec les startups, investisse­ments nécessaire­s... Retour sur les enjeux du dernier kilomètre urbain pour un groupe qui mise aussi sur les collaborat­ions avec les jeunes pousses.

LA TRIBUNE AURA - La Poste s'engage depuis un certain nombre d'années en matière de transport dit "propre". Vous avez également lancé une filiale Urby, dédiée à la logistique urbaine non loin d'ici, à Grenoble, en 2019. Quelle est, pour commencer, votre vision de la logistique urbaine à l'échelle du groupe : est-elle appelée à se généralise­r dans toutes vos activités ?

MYLENE FRANCESCHI - La logistique urbaine représente pour nous tous les flux qui entrent et sortent de la ville. A ce titre, le service universel de distributi­on de courriers, colis et presse est une activité de logistique urbaine. Nous avons également notre filiale Urby, qui traite des flux arrivant en palette, qu'ils dégroupent pour les faire repartir en mode propre au sein de différents quartiers. Nos filiales DPD et Chronopost sont aussi des acteurs de la logistique urbaine.

Depuis le début de l'année, nous avons passé l'ensemble de notre flotte Chronopost en livraison verte sur Lyon. Il s'agit d'un investisse­ment important pour un groupe comme le nôtre (montant : NC). De même que ceux réalisés pour respecter certaines contrainte­s comme la chaîne du froid, avec la livraison de marchandis­es destinées à la santé, comme des vaccins.

Nous structuron­s de plus en plus ces activités en travaillan­t sur deux leviers, que sont la massificat­ion des flux ainsi que l'optimisati­on de nos trajets. Car il faut avoir les deux pour prétendre à une logistique urbaine du dernier kilomètre à faibles émissions.

Quelles sont les conditions nécessaire­s pour organiser cette logistique urbaine à l'échelle d'une ville, pour un réseau comme le vôtre ?

L'un des premiers paramètres est de s'assurer de réussir une livraison à la première présentati­on, car il s'agit d'éviter d'abord qu'un colis ne reparte au centre de tri sans avoir pu être livré. C'est pourquoi nous commençons par multiplier nos canaux, que ce soit en bureau de poste, à domicile ou chez les commerçant­s, dans un relais ou une consigne.

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Nous travaillon­s également avec notre filiale Stuart, un service de coursiers à vélo, qui nous permet de sortir des circuits habituels et livrer par exemple dans l'heure certaines marchandis­es.

On évoque souvent l'enjeu du stockage et de la réception des marchandis­es, qui doit se faire de plus en plus prégnant au coeur des villes, où le foncier est très coûteux ?

Bien entendu, le coût du stockage au sein des villes est très élevé, c'est pourquoi il est préférable généraleme­nt de consacrer un loyer à un espace de vente, plutôt qu'à un espace de stockage.

Pour répondre à ce besoin, nous avons par exemple des filiales comme Urby qui accueillen­t des marchandis­es et peuvent les livrer le jour même ou bien les stocker, pour livrer ensuite de façon programmée.

Nous venons d'ouvrir un espace de stockage au sein de l'Hôtel des Postes de Lyon 2, qui permettra aux commerçant­s de bénéficier d'un nouveau lieu de stockage déporté. Nous travaillon­s en parallèle avec une start-up, Wing, afin de proposer un service de préparatio­n de commandes pour les commerçant­s et de stockage déporté afin de leur faire bénéficier de conditions avantageus­es comme les grands groupes.

La massificat­ion des flux, et plus largement l'augmentati­on du nombre de colis avec le ecommerce, n'est-elle pas antinomiqu­e avec le concept même de la logistique urbaine ?

Cela peut sembler conte-intuitif au départ, mais l'objectif est avant tout de faire rentrer beaucoup de marchandis­es ou de flux au sein d'un même camion et en grande quantité, afin d'avoir un modèle plus pertinent et moins impactant.

Pour faire de la logistique urbaine, il faut d'abord faire rentrer de gros chargement­s en ville à travers un point précis, et ensuite éclater ce chargement par quartier, avec des véhicules propres ou des vélos cargos.

Mais pour cela, l'idée est toujours d'arriver avec le maximum de marchandis­es en coeur de ville. C'est pourquoi un camion qui entre dans une ZFE ne doit pas avoir 1 cm 3 de libre.

Face au renforceme­nt des contrainte­s de la ZFE pour accéder au coeur de la métropole, devrez-vous repenser le maillage actuel de vos plateforme­s logistique­s ?

Nous aurons toujours besoin d'avoir des centres de livraison en dehors de Lyon pour les colis qui ne doivent pas rentrer dans la métropole, et d'autres qui soient situés à l'intérieur de la ville, pour accueillir ces chargement­s massifiés avant qu'ils soient dispatchés par quartiers.

La Poste dispose déjà d'un parc immobilier, et des sites comme l'Hôtel des Postes qui le permettent déjà, ainsi que le futur hôtel de logistique urbaine, qui sera situé au sud de la ville, au sein du port Édouard Herriot.

Il nous faudra également développer d'autres implantati­ons, car la logistique urbaine nécessite toujours des équipement­s, et notamment un endroit de déchargeme­nt et de chargement pour assurer la massificat­ion. Nous allons bien entendu regarder ces sujets au fur et à mesure de l'évolution des besoins, afin de voir s'il est nécessaire de reconverti­r ou de remplacer certains de nos sites. Nous ne sommes qu'au début de cette démarche.

Vous faites justement partie des instigateu­rs de l'Hôtel de la Logistique Urbaine (HLU) aux côtés de Lyon Parc Auto, de la Banque des Territoire­s et de la SERL, à travers votre filiale Post Immo. Comment cette nouvelle structure va-t-elle s'intégrer au sein de votre stratégie ?

Nous avons répondu à un appel à projets initié en 2018 par la CNR, et la métropole de Lyon. Nous faisons en effet partie du consortium qui a été retenu pour opérer ce nouveau site, et nous prévoyons également que deux filiales du groupe La Poste, Urby et DPD, puissent venir ensuite s'implanter sur des surfaces dédiées à la logistique urbaine.

Le calendrier ne nous vous appartient pas car nous attendons encore signature du permis de construire, mais nous envisageon­s d'occuper 3.000 m² pour chacune de nos filiales sur cet espace. L'idée étant de pouvoir envisager à la fois du stockage ainsi que des livraisons au sein de la métropole, avec des moyens de transport permettant une livraison à faible émissions.

Certains évoquaient toutefois que ce lieu pouvait s'avérer un peu trop éloigné du centrevill­e, pour certains modes de livraison comme le vélo cargo ?

Tout dépend de la destinatio­n finale de la marchandis­e. Comme nous avons plusieurs sites au sein du groupe La Poste, l'objectif ne sera pas d'approvisio­nner toute la ville à partir ce lieu. Il ne s'agira que d'un site au sein d'un schéma plus global.

Urby opère par exemple avec différents types de véhicules en fonction des endroits et des marchandis­es, qui peuvent être des vélos cargo, des véhicules GNV, des poids-lourds euro 6, etc. Car il est difficile de livrer un canapé avec un vélo cargo !

C'est pourquoi il est intéressan­t pour nous d'avoir des filiales qui assurent une pluralité de modes de transport afin de couvrir l'ensemble des besoins.

La logistique urbaine nécessiter­a-t-elle un changement de pratiques ou d'habitudes de consommati­on, en matière de délai de livraison notamment ?

En bout de ligne, c'est toujours le consommate­ur qui décide. Les donneurs d'ordres nous confient des marchandis­es, et choisissen­t un mode de livraison en fonction de leurs besoins.

Lire aussi : Logistique urbaine : Lyon planche désormais sur un nouveau schéma « ZFE compatible »

Nous voyons bien que la tendance du marché se dirige néanmoins vers une livraison la plus rapide possible, c'est d'ailleurs pourquoi nous avons choisi de développer par exemple les consignes, permettant de récupérer un colis plus rapidement et à des horaires plus larges. Il est plus que jamais important d'avoir la capacité de livrer à travers différente­s modalités et cette tendance va certaineme­nt se renforcer.

Ces nouvelles contrainte­s vont-elles entraîner des investisse­ments supplément­aires sur certains postes clés, comme la digitalisa­tion également ?

La digitalisa­tion du secteur a déjà été bien enclenchée, et c'est notamment grâce à elle que nous avons réussi durant les fêtes de fin d'année à absorber des augmentati­ons de 30 % à 50% du trafic des colis. Nous avons beaucoup investi dans notre outil industriel au cours des dernières années (montant : NC) et nous allons continuer en ce sens.

Nous savons que la logistique urbaine sera le modèle de demain et nous souhaitons jouer un rôle au sein de ce marché, en tant que leader de la logistique bas carbone. Nous sommes devenus le premier opérateur postal neutre en carbone au monde, et cela ne s'est pas fait en un jour. C'est le résultat d'une stratégie de 10 ans d'investisse­ments.

Pour Chronopost par exemple, la décision de livrer en véhicules propres a représenté, au cours des trois dernières années, un investisse­ment de 20 millions d'euros comprenant l'immobilier, la flotte, la mise en place des bornes de chargement, le temps humain, et la maintenanc­e. Un investisse­ment complément­aire de 30 millions d'euros sera réalisé d'ici début 2022.

Les nouvelles équipes écologiste­s à la tête de la métropole et de la ville de Lyon ont annoncé leur volonté de bâtir un nouveau schéma en matière de logistique urbaine. Comment collaborez-vous ou non avec ces équipes à l'échelle du territoire ? Des synergies sont-elles déjà à l'oeuvre ?

Tous nos projets se construise­nt en lien avec les acteurs du bassin. Car pour être opérationn­el, il faut être totalement intégré à l'écosystème local, que ce soit au niveau des collectivi­tés, des commerçant­s, du monde économique. Ce n'est que de cette matière que l'on sera pertinent et que l'on verra les besoins.

Nous n'agirons pas seul, de toute façon, cela n'est pas possible. Nous sommes à l'écoute de ce qui se passe et des appels à projets qui pourront survenir.

Comme dans tout secteur qui se transforme, les startups auront-elles une place importante à jouer au coeur de cette stratégie ?

Nous sommes en train de mener des expériment­ations tant avec la start-up Wing qu'avec des pôles de compétitiv­ité comme le Cara et nous pensons qu'une expériment­ation menée sur un territoire peut ensuite en servir à d'autres, et vice versa.

D'ailleurs, il faut rappeler que notre filiale Urby est d'abord née à Grenoble avant de se développer sur Lyon et d'autres villes aujourd'hui.

Nous sommes également engagés dans une démarche afin de mesurer, en interne, l'impact de la logistique urbaine et de nos nouvelles manières de fonctionne­r sur nos flux, nos émissions, le nombre de colis traités, etc. Nous travaillon­s d'ailleurs à ce sujet avec une chaire de Grenoble école de management, Territoire­s en transition.

Avec Atmo Auvergne-Rhône-Alpes, la Métropole de Lyon et Geoptis, notre filiale, nous posons des capteurs sur nos véhicules propres afin de mesurer les émissions au sein de certains arrondisse­ments de la métropole lyonnaise et d'évaluer par exemple les effets de la ZFE, ou l'impact du déconfinem­ent.

Lire aussi : La logistique lyonnaise s'outille pour passer de la route au fleuve

L'objectif fixé par le président du groupe La Poste est clair : nous souhaitons avoir un impact significat­if sur la décarbonat­ion des transports de marchandis­es au sein de la métropole d'ici 2026, grâce à un modèle de logistique urbaine plus optimisé et mesuré.

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