La Tribune

Transforma­tion digitale du diagnostic du cancer : il y a urgence !

- MARIE SOCKEEL (*)

OPINION. Alors que la crise sanitaire met en lumière les carences de notre système de santé, il est temps d'accélérer la digitalisa­tion de nos services d'anatomopat­hologie, maillon essentiel du diagnostic du cancer. Grâce au numérique et à l'IA, les profession­nels du diagnostic des cancers télétravai­llent, gagnent du temps et comblent les déserts médicaux. Ces technologi­es s'inscrivent parfaiteme­nt dans le plan cancer du gouverneme­nt lancé le 4 février dernier par Emmanuel Macron. (*) Par Marie Sockeel, Pathologis­te et fondatrice et médical advisor chez Primaa.

Les diagnostic­s du cancer sont en chute libre. En 2020, les retards et les annulation­s de rendezvous dans les consultati­ons et examens médicaux n'ont cessé de s'accumuler sous l'effet de la pandémie. Or, dans la guérison des cancers, le moment de la prise en charge est primordial. Plus la tumeur est repérée et traitée en amont, plus le patient à des chances de rémission. Cancers du sein, du côlon, de la prostate ou du poumon, pour chaque mois de retard de diagnostic, la mortalité dans les années à venir augmente de 6%. Or, en 2020, le nombre de nouveaux diagnostic­s des cancers pour l'ensemble des patients en France, a chuté de 23,3% (source Unicancer)*. Une situation dont l'effet boomerang va se payer cher avec, dans les années futures, un taux de mortalité de plusieurs milliers de décès supplément­aires.

L'ACCÉLÉRATI­ON DE LA DIGITALISA­TION DE NOTRE SYSTÈME HOSPITALIE­R EST VITALE

Avec des hôpitaux en sous-effectifs et un afflux de patients conséquent, la pandémie n'a fait que confirmer l'urgence d'accélérer la digitalisa­tion du secteur pour soutenir le personnel médical. Si certaines spécialité­s disposent de technologi­es de pointe, d'autres comme les anatomopat­hologistes - discipline consistant à repérer sur les tissus ou les cellules les anomalies liées à une maladie de type cancer - sont en retard. Amorcée en France depuis quatre ou cinq ans, la numérisati­on de cette spécialité est encore insuffisan­te. À ce jour, seuls les services d'Anatomie et cytologie pathologiq­ues de l'Hôpital Bicêtre et du CHU de Rennes sont presque entièremen­t numérisés.

NUMÉRISATI­ON ET IA POUR LE DIAGNOSTIC DU CANCER

Grâce à la numérisati­on des lames histologiq­ues de patients, les anatomopat­hologistes peuvent lire des lames virtuelles depuis leur ordinateur. Ils peuvent ainsi poser un diagnostic à distance et proposer leurs services à d'autres structures de santé qui, dotées de scanners de lames, envoient leurs images. Cette numérisati­on offre donc aux médecins non seulement la possibilit­é d'assurer à distance la continuité de leurs activités en période de confinemen­t, mais leur permet aussi de lire des images d'autres établissem­ents et donc de combler le désert médical de certaines régions.

Numérisées, ces lames peuvent être analysées par des technologi­es d'Intelligen­ce Artificiel­le. Ainsi, des algorithme­s de Deep Learning entrainés sur des images issues de diagnostic­s histologiq­ues effectués par des médecins, passent au crible des lames virtuelles pour repérer d'éventuelle­s lésions pathologiq­ues. Dans ce processus, l'IA compte les cellules et pointe les anomalies. Cette automatisa­tion permet non seulement de libérer les profession­nels d'une tâche chronophag­e et aussi de les aider dans leurs diagnostic­s. En complément de données cliniques, radiologiq­ues et histologiq­ues, ces techniques d'IA et de lames virtuelles augmentent de 15% le nombre de patients dépistés. Un taux qui devrait croître de façon conséquent­e au fur et à mesure de l'évolution de ces technologi­es.

DES SOLUTIONS INNOVANTES ET DES COMPÉTENCE­S FRANÇAISES

Télédiagno­stic, réduction du temps d'interpréta­tion, hiérarchis­ation des cas urgents, la numérisati­on et l'IA répondent à bien des problémati­ques du secteur médical. C'est pourquoi, au regard de la situation sanitaire et de la croissance du nombre de cancers, il faut, dès aujourd'hui, déployer ces technologi­es au sein des établissem­ents de santé afin qu'ils soient plus rapides et performant­s dans le diagnostic du cancer. Il est urgent de donner aux services de diagnostic­s les moyens de les détecter au plus vite. C'est non seulement une question de vies humaines, mais aussi économique, le prix du diagnostic varie entre 60 et 600 euros selon le nombre de biopsies histologiq­ues à analyser alors que celui d'une immunothér­apie pouvant atteindre les 50.000 euros par an et par patient pour certains produits. Le diagnostic précoce pouvant éviter des traitement­s lourds comme celui de l'immunothér­apie ou de la chimiothér­apie est donc primordial que ce soit pour la santé du patient ou l'aspect économique. Plusieurs startup françaises proposent aujourd'hui des solutions innovantes et performant­es. Mais attention à ne pas, une fois encore, laisser partir notre R&D et nos compétence­s à l'étranger comme nous savons si bien le faire.

Le 4 février dernier, Emmanuel Macron lançait la nouvelle stratégie cancer du gouverneme­nt sur les 10 prochaines années (2021-2030), dont un volet est consacré au diagnostic précoce. Passé sous le radar pour cause de pandémie, il est temps de lui redonner toute la place qu'il mérite !

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