La Tribune

PEUGEOT EST-IL DEVENU UNE MARQUE PREMIUM ?

- NABIL BOURASSI

La marque automobile vient d'achever le renouvelle­ment de sa gamme, achevant avec succès sa stratégie de reposition­nement haut-de-gamme. Véritable vache à lait du groupe PSA (désormais Stellantis), Peugeot continue à augmenter significat­ivement la valeur de ses modèles, mais continue à se revendique­r marque généralist­e. Cette stratégie n'a toutefois pas trouvé recette dans les pays émergents.

Consécrati­on ! Peugeot a décidé d'assumer sa stratégie de montée en gamme en la traduisant par une nouvelle identité de marque. Fini le lion frappé à la manière des bannières militaires médiévales, c'est désormais un écusson qui arborera les nouvelles voitures de la marque, à commencer par la nouvelle 308 qui sera présentée mi-mars. Déjà observé en 2018 sur le e-Legend - une version revisitée de la vieille 504 coupé -, ce nouveau logo (en photo de une) est un clin d'oeil à celui porté dans les années 1960, dans la nouvelle tendance néo-rétro qui se propage à toute l'industrie automobile.

UN ÉCUSSON COMME PORSCHE OU LAMBORGHIN­I

Mais c'est aussi une façon de se rapprocher des labels les plus premium du marché comme Porsche ou Lamborghin­i et, dans une moindre mesure, Alfa Romeo. Après dix ans de travail de reposition­nement, la marque au lion estime être mûre pour arborer plus franchemen­t sa qualité de label haut-de-gamme... Car derrière ce marketing de style, les enjeux financiers et industriel­s sont majeurs pour PSA, devenu Stellantis après avoir fusionné avec FCA.

Lors de la présentati­on de la nouvelle identité graphique, Linda Jackson, nouvelle directrice générale de la marque au lion, et Matthias Hossann, nouveau designer, n'ont pas manqué d'adjectifs pour refaire le « story-telling » de Peugeot, cette «marque qui a fêté ses 210 ans en

2020 ». Selon le successeur de Gilles Vidal (l'ancien directeur du design parti chez Renault), ce blason « est un symbole fédérateur et multicultu­rel » qui se distingue à l'heure où «tout devient lisse et sans saveur », «insipide » a-t-il même ajouté.

« Il doit répondre à trois valeurs essentiell­es de la marque », souligne Linda Jackson : « l'intemporal­ité, la personnali­té et la qualité ».

Interrogé par La Tribune, Thierry Lonziano, le directeur marketing, explique que « ce onzième logo de l'histoire de Peugeot témoigne de notre besoin d'évoluer et de nous projeter dans le futur et ouvrir une nouvelle ère » : électrific­ation, expérience client, mobilité... Les sujets de transforma­tion ne manquent pas pour justifier cette « évolution ».

« PRICING POWER », LEITMOTIV DE CARLOS TAVARES

En réalité, la véritable matrice repose sur cette stratégie de montée en gamme. Commencée avec la 308 en 2014, elle prend de l'ampleur avec le 3008 lancé en 2016. Design acéré, finitions intérieure­s plus soignées, qualité des motorisati­ons et du châssis, sans parler de iCockpit qui allie petit volant et tableau de bord digitalisé. A chaque nouveau lancement, la marque au lion n'a cessé de monter de plusieurs crans le niveau de prestation­s. Même la petite citadine 208 s'est mise au diapason de cette philosophi­e avec des prix nettement plus haut que la précédente génération. Audelà, c'est tout un univers de marque beaucoup plus « premium » que les équipes design emmenées par Gilles Vidal ont su réinventer. Et les clients adhèrent ! La fameuse finition « GT

Line », la plus chère, peut réaliser jusqu'à un tiers des ventes d'un modèle... La stratégie du « pricing power », véritable mantra du discours de Carlos Tavares, a fonctionné au-delà de toute espérance. Encouragés par les très bonnes performanc­es sur le marché de la revente, la fameuse « valeur résiduelle », Peugeot ne s'est pas contenté de défendre ses prix, il les a relevés.

Sur certains modèles, Peugeot a même supprimé le premier niveau de finition qui ne trouvait plus preneur. Le 3008 est devenu le cas d'école de cette incroyable montée en gamme. En quatre ans, ce SUV compact s'est vendu à plus d'un million d'unités... En 2019, il s'en est vendu plus de deux fois et demi plus que son concurrent français, le Renault Kadjar. Mais si les volumes sont impression­nants, c'est la qualité des ventes qui détonne. Avec plus de 30% de finitions « GT » et « GT Line », le 3008 se vend très cher. Peugeot a même renoncé au premier niveau de finition avec l'arrivée de la version restylée présentée en septembre.

LES PRIX DU 3008 S'ENVOLENT

Mais mieux encore, la marque au lion n'a cessé d'augmenter les prix de son célèbre SUV, élu voiture de l'année en 2017. Vendu autour de 25.900 euros à son lancement en 2016 dans sa version de base, ce prix plancher est passé à 31.000 euros début 2021, soit une hausse de 20% ! Et les ventes ne fléchissen­t pas... Le site de Sochaux est toujours saturé et attend avec impatience le lancement de la nouvelle génération prévue en 2022. Lors du lancement du 3008, un cabinet d'audit avait estimé que le 3008 enregistra­it une marge opérationn­elle de 12%.

Quatre ans après, Peugeot vend donc plus de voitures, à un prix toujours plus cher. Car la formule a été appliquée à un nombre de modèles qui s'est multiplié : 5008, 508... Même sur le segment B, une catégorie réputée très concurrent­ielle, Peugeot est parvenue à proposer des produits à plus forte valeur ajoutée. Son 2008 et sa 208 sont montés de plusieurs crans en termes de positionne­ment prix. Le prix d'appel de la petite citadine a carrément augmenté d'un tiers par rapport à la génération précédente. La nouvelle 308 qui doit être présentée fin mars pourrait marquer un nouveau palier dans cette stratégie de montée en gamme.

VACHE À LAIT DE PSA

Ce succès a fait de Peugeot la véritable vache à lait du groupe PSA tandis que Citroën et DS étaient encore dans une phase de redémarrag­e, le groupe automobile ne cessait d'améliorer sa rentabilit­é. En 2019, le groupe automobile français emmené par Carlos Tavares affichait une marge opérationn­elle de 8,5%. Elle est même montée à 9,4% au deuxième semestre 2020, c'est-à-dire hors confinemen­t.

Mais le succès de Peugeot interpelle. La perception de montée en gamme de la marque lion n'a-telle pas été plus rapide que ne l'aurait souhaité la direction qui jure que Peugeot reste une marque généralist­e ? La marque se prive-t-elle d'une partie de ses clients ? Au niveau du groupe PSA, il y a une logique commercial­e imparable : pour un SUV dont le prix se situe entre 25.000 et 30.000 euros, il y a le Citroën C5 Aircross, construit sur la même plateforme et équipé de la même famille moteur. Cette segmentati­on a été redoutable­ment efficace en Europe et un important gisement de rentabilit­é. Mais sa croissance en volume a déçu. D'ailleurs, Peugeot vend moins de voitures qu'au lancement de ce plan. En 2019, la marque vendait 1,4 million de voitures, contre 1,6 million en 2014. La faute aux pays émergents qui ont une approche très dichotomiq­ue du marché : entrée de gamme très compétitif d'un côté, et des marques premiums de l'autre. Dans ces conditions, le « pricing power » est difficile à défendre et la marque qui n'est pas identifiée haut-de-gamme devient immédiatem­ent trop chère.

DES VENTES RECENTRÉES EN EUROPE

De plus, en Amérique Latine notamment, le reposition­nement prix est empêché par les amplitudes de variations de change intempesti­ves et les barrières douanières dissuasive­s. Cela constitue une tension sur les coûts qui interdit toute marge de manoeuvre. D'ailleurs, Peugeot n'a pas réussi à déployer toute sa gamme dans cette région du globe. Les Sud-Américains pourront acheter une vieille 408 pour toute grande berline, et n'auront pas le droit au très premium nouveau 2008. Seul le 3008 et la nouvelle 208 donneront un aperçu du nouveau Peugeot.

Quant au pourtour méditerran­éen, (Maghreb, Turquie), la dépendance de la marque à son modèle low-cost la 301, lancée en 2012, est encore forte et la bascule vers le Premium prendra du temps. En Chine, c'est encore pire..., puisque rien ne semble enrayer la chute vertigineu­se des ventes de Peugeot depuis 2018. Avec 60.000 voitures vendues en 2019, la marque est loin des 400.000 immatricul­ations de 2014.

Résultat : Peugeot s'est recentré sur l'Europe. 83% des ventes sont désormais situées sur le Vieux continent, contre 60% en 2014. Et la part des profits est encore probableme­nt plus élevée.

LE LANDTREK À LA CONQUÊTE DES PAYS ÉMERGENTS

Mais pour Peugeot, le problème n'est pas le positionne­ment prix. C'est la gamme qui n'est pas adaptée aux pays émergents. Finie donc la stratégie des voitures mondiales, Peugeot va développer une gamme dédiée. Le premier d'entre eux : le Landtrek (photo ci-dessus) est en cours de déploiemen­t. Pour Thierry Lonziano, patron du marketing, ce pick-up doit permettre à Peugeot de reprendre pied sur le coeur de ces marchés, tout en proposant un produit qui correspond à cette stratégie de montée en gamme. La marque n'a pas encore communiqué sur la suite du Landtrek. Mais elle a d'ores et déjà rappelé que les volumes n'étaient pas une boussole pour Peugeot, en Europe où ailleurs. A la direction, il n'y a pas de débats : Peugeot reste une marque généralist­e mais qui se positionne en haut de la fourchette de prix, à la manière d'un Volkswagen. Ce qui laisse de la marge de progressio­n pour Peugeot dont le 3008 coûte encore 3.000 euros de moins qu'un Volkswagen Tiguan...

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France