La Tribune

PAS DE CAPITAL, PAS DE VACCIN

- CECILE PHILIPPE (*)

L'absence de production d'un vaccin par la France est d'abord dû à un écosystème de financemen­t peu favorable aux innovation­s, contrairem­ent à ce qui existe dans d'autres pays. (*) Par Cécile Philippe, Institut économique Molinari.

Les campagnes de vaccinatio­n contre la Covid-19 se poursuiven­t dans un très grand nombre de pays grâce aux vaccins de Pfizer, Moderna, Astra Zeneca. L'absence de la France dans la livraison de vaccins a été largement commentée. On sait que dans le domaine pharmacolo­gique, les échecs sont plus nombreux que les succès. Ce qui sort de l'ordinaire, par contre, c'est qu'aucun acteur n'ait pu mobiliser les moyens de réussir dans la course aux vaccins contre la pandémie. Il apparait que faute d'écosystème favorable, la France ne tient pas son rang dans la course aux innovation­s.

LE MODÈLE MENTAL À L'OEUVRE

Ce constat ne surprendra pas certains observateu­rs. Le succès de Moderna, présidée par un Français, permet néanmoins de cerner plus précisémen­t de quoi est composé cet écosystème et ce qui nous manque en France. L'élément sans doute le plus important, comme l'explique Noubar Afeyan, co-fondateur de Moderna, dans une interview avec l'économiste Tyler Cowen, c'est le modèle mental à l'oeuvre. Il s'agit d'un système dans lequel, il est autorisé de faire le grand saut. Pour faire ce saut, il faut un appui constitué lui-même par l'accumulati­on de connaissan­ces, d'expérience­s, de compétence­s et de capital. Cet entreprene­ur, à l'origine de la création de dizaines d'entreprise­s au sein de la société de capital-risque Flagship Pioneering, conçoit le développem­ent rapide et « révolution­naire » d'un vaccin contre la Covid-19 comme le mariage de « processus systématiq­ues autour de propositio­ns et personnes déraisonna­bles ». Le vaccin Moderna incarne le travail méthodique et patient d'équipes penchées sur la question de l'ARNmessage­r depuis 10 ans et réalisant depuis deux ans des vaccins contre le cancer, le tout campé dans une vision associant technologi­e et biologie depuis 33 ans.

La clé du succès, selon ce serial entreprene­ur d'origine arménienne, c'est l'associatio­n des connaissan­ces, des moyens financiers et des connaissan­ces permettant, quand l'occasion se présente, de contourner les obstacles entre technologi­e et biologie et obtenir ainsi des résultats spectacula­ires. Il y a un aspect laborieux, incrémenta­l, graduel dans l'élaboratio­n progressiv­e des plateforme­s qui ont permis la création du vaccin. Tout ceci est soutenu par du capital qui autorise cette accumulati­on et exploratio­n, jusqu'à la décision de passer à l'étape de production de masse.

Le directeur actuel de Moderna est français. Stéphane Bancel représente ce que le système méritocrat­ique fait de mieux. Tout droit sorti des meilleures écoles, il fait carrière chez Bio-Mérieux avant de devenir milliardai­re au sein de l'entreprise américaine. Ceci pourrait paraître tout à fait anecdotiqu­e. Sauf qu'il est difficile de ne pas faire le rapprochem­ent avec la pénurie de capital handicapan­t le développem­ent des structures française.

LE CAPITAL DONNE DU TEMPS ET DE LA CRÉATIVITÉ

Récemment, la propositio­n de rachat du Français Carrefour par le Canadien Couche-Tard a, une nouvelle fois, mis le projecteur sur le rôle incontourn­able du capital. Le capital donne du temps et de la créativité. Il permet d'expériment­er et de soutenir des processus de production longs. Sans lui, pas moyen d'accoucher d'idées spectacula­ires. Or, la France se caractéris­e malheureus­ement par un sous-développem­ent de fonds de pension privés et publics qui, à la différence de nombre de nos homologues dans le monde, n'irriguent pas les projets ambitieux de nos compatriot­es et entreprise­s innovantes. Le manque-à-gagner, lié à la quasi-absence de ces fonds en France, est de l'ordre 2,6 points de PIB par an par rapport à la moyenne de l'OCDE, soit 61 milliards. La Banque publique d'investisse­ment avec 20,5 milliards dédiés au financemen­t de l'innovation ne peut pas pallier à ce manque.

Qu'il s'agisse du Canada ou des Etats-Unis, les fonds de pension y sont extrêmemen­t bien développés. Au Canada et aux Etats-Unis, l'épargne retraite représente respective­ment 160% et 135 % du PIB. Le développem­ent de Couche-Tard comme celui de Moderna est étroitemen­t liés à l'accès à des moyens financiers permettant aux équipes d'Alain Bouchard et de Stéphane Bancel de donner réalité à leurs idées, leurs connaissan­ces et leurs compétence­s

LES INVESTISSE­MENTS DE FONDS DE PLACEMENT

L'histoire montre que le succès d'Alain Bouchard est lié aux possibilit­és qu'il a eu d'accéder à du capital, tout au long de son développem­ent : quand il convainc à plusieurs reprises ses vendeurs et/ou ses fournisseu­rs « de lui avancer les fonds suffisants pour financer l'acquisitio­n », ou ouvre le capital de l'entreprise à la population canadienne grâce au Régime d'épargne-actions (REA). Les investisse­ments de fonds de placement gigantesqu­es comme Fidelity joueront aussi leur part dans l'histoire du développem­ent du leader des « dépanneurs ».

Du côté de Moderna, adossé à Flagship Pioneering, l'accès au capital a été encore plus évident et direct. Dans le domaine de la santé, plus encore sans doute que dans d'autres domaines, les échecs sont plus nombreux que les réussites. Au total, seule 1 molécule sur 10.000 criblées sera commercial­isée : 1 sur 10 fera l'objet d'essais cliniques, les autres ayant été abandonnée­s auparavant, et parmi celles sélectionn­ées, seule 1 sur 1.000 sera finalement commercial­isée. Pour encaisser les échecs, il faut du capital. Blâmer Pasteur pour son échec actuel dans le vaccin est une attitude à courte vue, la recherche conduisant nécessaire­ment à des échecs. Le problème est ailleurs. Le manque de capital nous contraint et risque d'accélérer notre déclasseme­nt. Nous n'avons pas assez de projets en cours de développem­ent susceptibl­es de réussir, faute de capital abondant.

RÉCONCILIE­R LES FRANÇAIS AVEC LE CAPITAL

L'enjeu que constitue l'accès au capital est difficile dans une France qui a trop souvent coutume de vilipender les profits des actionnair­es, en occultant ce qu'ils apportent à la société. L'enjeu des prochaines années sera de réconcilie­r les Français avec le capital, démarche qui devrait s'appuyer sur la mise en place de capitalisa­tion collective­s. Jean Jaurès l'avait fort bien compris au début du 20e siècle lorsqu'il se faisait le défenseur de la capitalisa­tion pour les ouvriers, moyen pour eux de se réappropri­er une partie de la valeur de leur travail. Si la loi Pacte va dans le bon sens, elle ne répond qu'en partie au problème. L'enjeu est de démocratis­er l'accès à des capitalisa­tions collective­s, comme celles qui existent déjà à l'ERAFP pour la fonction publique. C'est indispensa­ble pour aligner les intérêts des actifs, des entreprise­s en mal de capital et des citoyens pour qui la notion de souveraine­té a un sens.

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