La Tribune

UN HIVER AU TEXAS : QUELS ENSEIGNEME­NTS TIRER DE LA DEFAILLANC­E DU SYSTEME ELECTRIQUE?

- STEFAN AMBEC ET CLAUDE CRAMPES

Le Texas a fait la une des médias à cause de l'apparente fragilité de son système électrique. Pourtant il est relativeme­nt diversifié: environ la moitié de la production vient du gaz naturel, un quart du charbon, 10% du nucléaire, 12% de l'éolien et le reste du photovolta­ïque. Il est vrai que sur le plan environnem­ental ce n'est pas glorieux, mais la protection de l'environnem­ent n'était pas le souci premier des Texans entre les 13 et 17 février 2021. Le système qui est calibré pour passer les périodes de pointe estivales s'est révélé inadapté pour répondre à la demande lors d'évènements hivernaux exceptionn­els. Pour 2021, l'opérateur du système électrique (Ercot) qui alimente 90% des consommate­urs texans prévoyait une marge de réserve (écart entre puissance disponible et demande en pointe) de l'ordre de 10%, de quoi passer sereinemen­t l'été quand les climatiseu­rs fonctionne­nt à plein régime pour lutter contre les 40 degrés Celsius de l'extérieur. Mais la tempête hivernale Uri a changé la donne pendant quelques jours. La chute des températur­es a entrainé une forte hausse de la demande pour le chauffage au moment même où la production s'effondrait à cause de la neige et de la glace. Il a fallu organiser des délestages tournant pendant près de trois jours, coupant ainsi l'alimentati­on électrique de millions de ménages, mais aussi en de nombreux endroits leur alimentati­on en eau et en gaz naturel. Sur le marché de gros de l'électricit­é, le prix a atteint son plafond réglementa­ire de 9 000$/MWh, plombant le budget des consommate­urs qui avaient souscrit des contrats indexés sur les prix du marché de gros, et mettant dans le rouge le compte d'exploitati­on des opérateurs courts en énergie et porteurs de contrats de livraison ferme.

Un épisode de même nature mais moins grave s'était produit le 3 février 2011. Forts de cette expérience, les industriel­s auraient dû investir en équipement­s pour dégivrer les pales des éoliennes et réchauffer les gazoducs qui alimentent les centrales au gaz et les chaufferie­s, se plaignent les sinistrés. Néanmoins cet investisse­ment de précaution a ses limites car les coûts d'un approvisio­nnement en énergie garanti dans 99,9 % des heures de l'année (environ 5 heures) est déjà très élevé et aller à 100% est impossible. Accepter le risque que survienne un accident majeur une fois tous les dix ans plutôt que tous les vingt ans présente des gains et des coûts financiers. C'est un calcul économique réalisable mais dont s'affranchis­sent généraleme­nt les décideurs politiques. Il suffit de suivre les épisodes de la pandémie de covid 19 pour en trouver une illustrati­on.

SÉCURITÉ D'APPROVISIO­NNEMENT ET MARCHÉ

Quid alors de l'initiative privée ? Le Texas est allé très loin dans la libéralisa­tion de la production d'électricit­é, comptant sur la concurrenc­e entre opérateurs et leur rémunérati­on exclusivem­ent basée sur l'énergie vendue pour les inciter à investir suffisamme­nt dans la sécurité des installati­ons de production et d'achemineme­nt. Mais dans une industrie où les livraisons passent par un réseau sur lequel l'équilibre entre injection et soutirage doit être maintenu en temps continu, les investisse­ments pour améliorer la sécurité d'approvisio­nnement génèrent des externalit­és positives entre producteur­s. Quand un producteur ou un distribute­ur réalise des investisse­ments en sécurité sur ses installati­ons, les bénéfices sont donc partagés avec ses concurrent­s puisqu'ils réduisent le risque d'un black-out dommageabl­e à l'ensemble des agents connectés au réseau, mais il est seul à en supporter le coût. On est face à un problème de passager clandestin où tous les opérateurs attendent que leurs concurrent­s fassent l'effort d'investir. Cette défaillanc­e de marché doit être corrigée par l'interventi­on publique, en imposant des contrainte­s réglementa­ires ou en subvention­nant des capacités de production de réserve. Ce qui nous ramène à la dimension politique du problème.

UNE ÎLE ÉLECTRIQUE

Le système électrique du Texas est organisé de façon à ne pas dépendre des règles fédérales.

Une bonne synthèse de cette politique de méfiance vis-à-vis de Washington est donnée par l'ancien gouverneur de l'état, Rick Perry, pour qui « les Texans seraient prêts à se priver d'électricit­é pendant plus de trois jours pour empêcher le gouverneme­nt fédéral de mettre son nez dans leurs affaires ». Pour ce faire, l'essentiel du territoire texan dont le système électrique est géré par Ercot n'a pas d'interconne­xion avec les états américains voisins. L'inconvénie­nt de cette situation est l'impossibil­ité de demander de l'aide aux autres systèmes qui, de toute façon, avaient leurs propres problèmes d'alimentati­on électrique lors de la tempête Uri. L'avantage est qu'il n'est pas nécessaire de chercher les responsabl­es à l'extérieur.

Aujourd'hui, c'est le bureau des dirigeants de Ercot qui se trouve dans l'oeil du cyclone. Les responsabl­es politiques texans, oubliant qu'ils ont défini le cadre réglementa­ire dans lequel leur système électrique est exploité, trouvent dans le gestionnai­re du système le bouc émissaire idéal, d'autant que quatre des membres du bureau vivent à l'extérieur de l'état. A ce jour, sept membres ont démissionn­é, certains après des menaces de mort. Difficile de connaitre la ligne de défense de Ercot car l'accès à son site web est cadenassé : les tentatives de connexion se voient opposer un « Access denied. Error 16 ». La Chambre des représenta­nts et leSénat texan (deux assemblées à majorité républicai­ne) ont commencé des auditions le 25 février. Il faudra donc attendre pour savoir qui du gouverneur, du régulateur sectoriel, de l'opérateur du marché ou des producteur­s et distribute­urs d'énergie sera cloué au pilori, en attendant la prochaine tempête.

Ercot se défendra probableme­nt en arguant que ses délestages ont évité l'effondreme­nt complet du réseau électrique puisque la fréquence est tombée en dessous de 59,4Hz (au lieu du réglage nominale de 60Hz) pendant plus de 4 minutes. Comparés à la catastroph­e évitée, les délestages tournants sont un moindre mal. Mais le coup est passé très près et la gravité de l'épisode devrait amener les responsabl­es politiques texans, et leur bras armé la Commission des services publics (PUC), à imposer à Ercot de durcir ses consignes de sécurité, d'autant qu'on prévoit une multiplica­tion des épisodes extrêmes en raison du réchauffem­ent climatique.

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