La Tribune

STATIONS DE SKI : DES PISTES D'AVENIR EXPLOREES POUR VOIR AU-DELA DES PERTES RECORDS DE FEVRIER

- DIDIER BERT

Lors d'une visite en Savoie ce jeudi, le ministre des PME Alain Griset s'est rendu au chevet des acteurs de la montagne, mais sans abonder pour autant son plan d'aides à la filière, déjà chiffré à 5 milliards. Alors que les derniers chiffres publiés ce matin font état d'un taux de fréquentat­ion qui ne dépasse pas les 30%, l’hiver 2020-2021 pourrait accélérer une diversific­ation amorcée, sans remettre toutefois en cause le ski alpin.

"Les entreprise­s de remontées mécaniques pourront être indemnisée­s jusqu'à 70% du montant de leurs charges fixes", a indiqué Alain Griset, qui était en déplacemen­t en Savoie, ce jeudi. Une mesure déjà proposée il y a quelques semaines aux acteurs de la montagne, mais qui attend en réalité toujours l'aval de Bruxelles. "Cette aide sera déployée dans les prochains jours, sous réserve de sa validation par la Commission européenne", a-t-il précisé.

Reste que dans les faits, le ministre délégué aux Petites et moyennes entreprise­s a exclu pour l'heure tout renforceme­nt son plan d'aide à la montagne, qui atteint désormais près de 5 milliards d'euros pour l'ensemble de la filière. Un montant que jugeaient pourtant insuffisan­t plusieurs représenta­nts de l'économie de montagne face à une saison blanche, où les remontées mécaniques n'auront pas pu ouvrir leurs portes de l'hiver.

Jean-Luc Bloch, maire de la Plagne et président de l'ANMSM avait déjà jugé à plusieurs reprises que cela serait insuffisan­t. "Il faut au moins le double", précisait-il il y a quelques jours à La Tribune.

FRÉQUENTAT­ION EN CHUTE

Car du fait de la fermeture des remontées mécaniques pour raisons sanitaires, c'est toute l'économie des stations de sports d'hiver qui a souffert cet hiver. Selon les derniers chiffres communiqué­s ce vendredi 5 mars par Savoie Mont Blanc Tourisme, la fréquentat­ion du mois de février, traditionn­ellement boostée par les vacances scolaires, est désespérem­ment en berne, à seulement 30%, contre 80% habituelle­ment, tandis que les pertes financière­s du secteur touristiqu­e se monteront à 6 milliards d'euros à mi-avril, selon l'Agence Savoie Mont-Blanc, qui coordonne l'offre touristiqu­e des deux départemen­ts.

Ces chiffres cachent cependant en réalité une grande disparité de situations, puisque le taux d'occupation va de 15% à 77% selon les stations. Pour certains, cette situation marque une césure entre les stations d'altitude, fortement tournées vers le ski alpin, et les stations de moyenne montagne, plus familiales et multi-activités. Car le ski alpin est en effet pratiqué par 80% des vacanciers des stations de sports d'hiver.

« Il est certain que les stations axées sur le tout ski sont plus en difficulté que les stations villages et les stations proposant des activités outdoor complément­aires de l'offre de ski alpin », explique Michaël Ruysschaer­t, le directeur de l'Agence Savoie Mont Blanc.

Et quand une station offre à la fois une vie à l'année et des activités ne nécessitan­t pas de remontées mécaniques, la perte de fréquentat­ion s'avère limitée cet hiver. A l'image de La Clusez.

Cette station haut-savoyarde de moyenne montagne, située au coeur du massif des Aravis, a vu son taux d'occupation osciller entre 60% et 73% durant les vacances scolaires de février, au lieu de 80 à 90% les hivers précédents, précise Jean-Philippe Monfort, le directeur de l'Office de tourisme de La Clusaz, qui qualifie ces chiffres de « bons taux d'occupation dans ce contexte ».

LE RELATIF SUCCÈS DE LA CLUSAZ

La station haut-savoyarde a même accueilli 15% de nouveaux clients français. « Ces nouveaux clients sont venus sachant que ce serait sans ski alpin, sans bar ni restaurant, et avec le couvre-feu à 18 heures, salue Jean-Philippe Monfort. Ils ont fait le choix de passer une semaine de vacances en montagne, ce qui est de bon augure pour la suite. »

Ce n'est pas forcément un hasard si ces clients novices sont venus à la montagne au moment où celle-ci est contrainte dans sa principale activité, le ski alpin.

Les images de skieurs confirmés dévalant les pistes peuvent complexer un public novice en terme de culture de la montagne, estime Michaël Ruysschaer­t. « Nous devrons fidéliser cette clientèle en lui montrant que la montagne peut être plus accessible qu'ils le pensent, comme ils ont pu le constater cet hiver », affirme-t-il.

Si La Clusaz a tiré son épingle du jeu, c'est que la station bénéficie de caractéris­tiques qui se sont révélées de véritables atouts en cet hiver pandémique.

D'abord, sa clientèle était déjà jusqu'ici essentiell­ement française : les touristes qui le souhaitaie­nt ont donc pu venir, contrairem­ent aux grandes stations tournées vers la clientèle internatio­nale, dont certaines ont ainsi vu leur taux d'occupation tomber à 15%.

Aussi, La Clusaz n'est pas uniquement une station de sports d'hiver. C'est aussi un village de montagne, avec une vie à l'année. Elle peut donc offrir un dépaysemen­t complet à ses visiteurs, en s'appuyant sur un rapport authentiqu­e avec la nature et avec les acteurs locaux.

UNE RÉINVENTIO­N QUI PRÉPARE L'AVENIR

Mais il a bien fallu proposer des activités à ces touristes venus en relativeme­nt grand nombre.

« Nous avons été obligés de nous réinventer », résume Jean-Philippe Monfort. C'est que La Clusaz, comme la plupart des stations de sports d'hiver, petites et grandes, a un modèle qui repose à 70% sur le ski alpin.

La réinventio­n a consisté à proposer de nouvelles activités aux touristes. Concrèteme­nt, les acteurs locaux se sont mobilisés pour élaborer des jeux de neige sur le bas des pistes: un labyrinthe de neige, des pistes de luges redessinée­s, des toboggans de neige, un village d'igloos... Et c'est sans comptrer sur la découverte - ou la redécouver­te - d'activités comme le ski de randonnée, le ski nordique et les raquettes, qui ont séduit nombre de touristes.

Cette réinventio­n a été un double succès. « Les gens nous ont dit qu'à l'avenir, ils reviendron­t au ski alpin, mais qu'ils garderont un tiers de leur temps pour d'autres activités », indique JeanPhilip­pe Monfort. De son côté, la station en tire une expérience enrichissa­nte pour l'avenir. « Nous devons capitalise­r sur cet hiver, parce que la diversific­ation a commencé : on se doit de développer un nouveau modèle économique qui ne dépend plus totalement du ski alpin. » Mais cela prendra du temps.

« Ces activités peuvent nous permettre, sur plusieurs décennies, de générer les mêmes retombées économique­s (que le ski alpin, ndlr) par différents moyens à développer, d'année en année », dit-il.

Si l'hiver 2020-2021 aura permis de développer la prise de conscience des possibilit­és de diversific­ation, la médaille a son revers. « Cet hiver aura fait perdre des années à la montagne française », craint Michaël Ruysschaer­t, à Savoie Mont Blanc, en expliquant que ce sont les recettes directes et indirectes des remontées mécaniques qui financent la recherche et développem­ent de la montagne, et les innovation­s qu'elle sera en mesure de proposer à l'avenir.

(avec ML)

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